Ils paient une partie de la note de ces «Jeux olympiques verts». Les résidants de Baoding, où 13 usines ont été fermées pour bleuir le ciel de Pékin, célèbrent pourtant l'esprit de ces Jeux. Enfin, à quelques exceptions près

Le gardien dort à l'entrée de la cimenterie. Les installations de la Tai Hang Xing Sheng, à Baoding, à 140 kilomètres au sud de Pékin, sont fermées depuis la fin juillet.

Trop polluante au goût des autorités. Dans les bureaux qui jouxtent la cimenterie, les travailleurs se font rares. Les piles de journaux s'accumulent sur le pas de quelques maisons.

Li Biao est habituellement chauffeur ici. Par les temps qui courent, il assure sa ronde de sécurité, pour être certain que les bureaux ne sont pas complètement déserts.

Quand on lui demande pour quelles raisons la petite usine est fermée, il soutient que «les cimenteries sont toujours un sujet sensible» et que «l'usine n'est pas polluante».

N'empêche, cette pause forcée fait son affaire, commence-t-il par dire. «Je suis content. On a des vacances pour voir les Jeux à la télé.»

Mais son sourire pourrait bientôt disparaître. «Ce n'est pas certain. Je vais savoir à la fin du mois combien je vais être payé.»

En entrevue au magazine Ti Yu Hua Bao, une responsable de l'usine, Gong Weirong, a soutenu qu'avec cet arrêt de production, l'usine perdait le sixième de ses revenus. Pas de garanties, donc, pour les indemnités aux travailleurs. «Nous nous efforçons de leur donner le plus possible, mais nous pourrions aussi ne rien leur verser.»

Treize usines ont beau avoir cessé leur production depuis le 20 juillet dans l'industrielle Baoding, l'air demeure chargé, épais, et laisse un léger goût de poussière dans la bouche. Après à peine deux heures dans la ville, les yeux du journaliste étranger sont déjà rouges.

À quelques kilomètres de la cimenterie, sur une route où la chaux des maisons de béton est d'un blanc délavé, se trouve une usine de produits chimiques. Elle aussi a cessé sa production depuis un mois.

À la Baoding Tian E, les gardiens de sécurité ne dorment pas. Ils sont cinq ou six à nous attendre avec le sourire.

Un appel à l'intérieur de l'usine et leur bonne humeur disparaît : «Il y a eu un ordre de ne pas accepter les entrevues des journalistes étrangers», raconte le gardien après avoir raccroché le téléphone.

De rares récriminations

Autour de l'usine, il y a plusieurs échoppes, dont celle de Mme Zhang qui vend des billets de loterie. «On ferme les usines pour que les gens voient de belles choses, pas la poussière», dit-elle. Une influence sur ses affaires? «Un peu», répond-elle sans s'en plaindre davantage.

Ce n'est pas le premier effort olympique que les gens de la région font. Déjà, plusieurs fermiers ont vu leurs champs amputés par le passage d'un immense canal censé apporter de l'eau à Pékin. Même s'il avait été pensé à l'époque de Mao, l'arrivée des Jeux a accéléré les travaux.

Il y a bien eu quelques récriminations qui ont fait surface dans des journaux locaux et qui sont même montées jusqu'à l'assemblée du peuple, mais Pékin est allé de l'avant. L'approvisionnement en eau de la capitale, c'est prioritaire.

Accroupis dans la boîte arrière de leur camionnette, quatre colosses, des travailleurs de la centrale au charbon, discutent en buvant leur thé d'après-midi. Eux travaillent encore, l'électricité étant une denrée rare en Chine.

Croient-ils que l'effort qui est exigé d'eux est trop grand pour la tenue de ces Jeux? «Pendant les Jeux olympiques, le premier slogan, c'est la protection de l'environnement, lance d'abord Wang Wei. Il y a beaucoup d'étrangers, donc il faut fermer les usines polluantes.»

Un de ses collègues réplique, d'un ton tranchant : «Oui. Et quand les étrangers seront partis, on va rouvrir les usines.» Le travailleur refuse de s'identifier et de préciser sa pensée.

«Certains pensent que c'est une bonne chose (de fermer les usines), d'autres pensent que non.» C'est le plus loin qu'il ira dans cette ville où de grandes banderoles rouges proclament la grandeur des Jeux olympiques.