Audrey Lacroix a vécu des moments exaltants dans les bassins l'an dernier: finaliste sur 200 mètres papillon aux Mondiaux de Melbourne, médaillée d'or aux Universiades de Bangkok, quatrième chrono mondial et record canadien. Mais son fait marquant, elle l'a vécu hors de l'eau, plus précisément dans l'ascenseur d'un hôtel de Tokyo, la veille de sa dernière compétition de la saison.

Libby Trickett, la nouvelle superstar de la natation australienne, l'a reconnue et l'a félicitée pour son chrono réussi à Bangkok. Surprise et flattée, Lacroix a senti à ce moment précis qu'elle avait rejoint le cercle des grandes de la natation. Aussi bien dire le début d'un rêve qu'elle prévoit vivre éveillée au moins jusqu'aux Jeux olympiques de Londres, en 2012.

Plusieurs mois plus tard, l'enthousiasme de Lacroix ne fléchit pas lorsqu'elle raconte l'anecdote japonaise. «J'avais déjà parlé à Libby à quelques reprises et juste qu'elle se souvienne de moi, j'aurais été contente, explique l'athlète de 24 ans en entrevue. Mais là, en plus, elle était au courant du temps que j'avais fait la semaine précédente, dans une épreuve qu'elle ne nage même pas. Wow! Ça m'a marquée. C'est comme si maintenant je faisais un peu partie de ce groupe-là.»

À Tokyo, Lacroix a aussi fraternisé avec la Zimbabwéenne Kirsty Coventry, nouvelle recordwoman mondiale du 200 m dos. La gentillesse de ces grandes championnes a beaucoup impressionné la Québécoise.

Adolescente timide et renfermée, Lacroix n'avait pas l'habitude de s'ouvrir aux autres lorsqu'elle nageait pour le club CSQ, dans la région de Québec. Elle se souvient des cancans que cela provoquait parfois autour des bassins. Excellente dans l'eau dès son jeune âge, la jeune championne était jugée froide et distante par ses pairs. «Ça arrivait souvent qu'on parle dans mon dos, relate-t-elle. Il y avait comme des mythes autour de moi. Pas nécessairement méchants. Il y en avait qui m'admiraient, mais je n'étais pas accessible et je ne me rendais pas accessible. J'étais un peu dans mon monde.»

En 1999, Lacroix, alors âgée de 15 ans, a quitté son Pont-Rouge natal pour venir s'établir à Montréal. Elle a joint les rangs du club CAMO, au complexe sportif Claude-Robillard, suivant ainsi les traces de son entraîneur Claude Lamy. En 2001, elle a intégré le groupe de Claude St-Jean, qui a entre autres mené Marianne Limpert à une médaille d'argent aux JO d'Atlanta en 1996. La menue papillonneuse se fait d'ailleurs une petite fierté d'être la seule nageuse québécoise qualifiée pour Pékin qui ne soit pas issue du centre national d'entraînement de la piscine du Parc olympique.

Lacroix a mis quelques années avant de comprendre qu'elle avait tout intérêt à socialiser et à se faire connaître. Elle attribue son changement d'attitude à une plus grande maturité, qui coïncide avec le début de ses études au baccalauréat en communication et politique à l'Université de Montréal. Elle s'est fait de nouveaux amis sur les bancs d'école en plus d'exceller sur le plan scolaire - elle a été choisie meilleure athlète-étudiante en 2006-07 avec une moyenne frisant le A.

«En arrivant là, j'ai réalisé que j'étais maintenant plus adulte, relève Lacroix. Socialement, je me suis davantage ouverte aux autres. Je crois que ça m'a aidée à nager plus vite. Même sur le bord de la piscine, ça a fait une différence. J'ai commencé à parler plus au monde, aux autres nageurs. Avant, je parlais seulement à ceux que je connaissais ou j'attendais qu'on vienne me parler.»

Cette nouvelle ouverture a effectivement coïncidé avec d'excellents résultats dans l'eau, dont une participation à deux demi-finales aux Mondiaux aquatiques de Montréal en 2005 - où une température froide l'avait malheureusement tétanisée au 200 m papillon! - et une médaille de bronze aux Jeux du Commonwealth de Melbourne de 2006.

Timidité n'équivaut cependant pas à bonasserie dans le cas de Lacroix. Derrière son éternel sourire se cache un caractère explosif. Malgré ses cinq pieds quatre pouces, personne ne lui marche sur les pieds. «Quand quelque chose ne fait pas son affaire, tu le sais assez vite», confie son entraîneur St-Jean. «Si quelqu'un est dans son chemin durant un échauffement, même un gars de plus de six pieds, tassez-vous de là! Il y en a qui restent surpris.»

Peu importe ses résultats à Pékin, où elle nagera les 100 et 200 m papillon et possiblement le relais 4 X 100 m libre, Lacroix a l'intention de poursuivre sa carrière sportive pour au moins un autre cycle olympique. Sur le plan psychologique, elle se sent de plus en plus sereine vis-à-vis des entraînements toujours aussi difficiles sur le plan physique. Parce que le 200 mètres papillon, c'est tout sauf une partie de plaisir!

«Il me semble que je viens tout juste d'atteindre le niveau que je voulais, souligne Lacroix. Si je m'améliore encore, tant mieux. Sinon, j'aimerais rester là le plus longtemps possible. Dans le fond, je commence à vivre mon rêve, celui d'être parmi les meilleures au monde. Ça commence, je n'arrêterai pas ça là.»