L'Alpe-d'Huez n'est pas la plus dure, ni la plus longue, ni la plus haute, ni la plus extrême ascension du Tour: ses 21 virages sont pourtant le temple d'altitude du cyclisme, qui s'alimente de légendes et s'enivre de folklore.

Mercredi, le peloton fait escale pour la 26e fois dans ce «lieu de mémoire» de la Grande Boucle.

«L'Alpe-d'Huez, c'est un joli nom, une belle route, des virages numérotés et un public», résume Jean-René Bernaudeau. «Mais je n'ai jamais souffert dans l'Alpe comme j'ai pu souffrir dans la Madeleine ou dans Joux-Plane, ajoute le manager de Bouygues Telecom, battu pour quelques centimètres par le Néerlandais Peter Winnen en 1983. L'Alpe, c'est une espèce d'euphorie, le domaine du psychologique, avec des points de repères, les virages, la petite église, les cinq kilomètres, qui te font avancer.»

«L'Alpe d'Huez est devenue mythique dans les années 70 parce qu'elle désignait quasi automatiquement le vainqueur du Tour. C'est moins vrai aujourd'hui mais le mythe s'est installé. Et quand un mythe s'installe...», souligne Bernard Thévenet, double vainqueur du Tour (1975, 1977).

Dix-huit fois sur vingt-cinq, l'homme qui a porté le maillot jaune au soir de «l'Alpe» est arrivé en vainqueur à Paris.

La belle de l'Oisans propose 14 kilomètres d'ascension avec une pente moyenne de 8% (dont le dixième kilomètre à 11,5%). Soit le même pourcentage mais deux kilomètres de moins que le Plateau de Beille, en Ariège.

La folie des grandeurs

«L'Aubisque dans les Pyrénées est bien plus dure que l'Alpe-d'Huez, estime Gilbert Duclos-Lassalle. Mais ce ne sont pas des arrivées. Ce qui fait la difficulté de l'Alpe, ce n'est pas sa pente, c'est le fait que tu y arrives complètement «sec» après deux, trois autres cols. L'Alpe-d'Huez, en elle-même, n'est pas si dure.»

«Mais il n'y pas une autre arrivée au sommet plus présente dans l'esprit des gens, poursuit Thévenet. En 19 ans, entre 1976 et 1995, le Tour y est venu 18 fois. A une époque, il y a eu un accord entre la direction du Tour et la station: il fallait que le Tour vienne au moins huit fois en dix ans.»

Personne aujourd'hui sur le Tour ne peut confirmer l'existence d'un tel contrat ni sa teneur. Mais la venue du Tour a bien été à l'origine un outil de promotion touristique de la station.

En 1952, pour la première arrivée à l'Alpe, et la première arrivée au sommet de l'histoire du Tour, ce sont les hôteliers, pas la commune d'Huez, qui avaient payé les frais d'organisation. Ils avaient obtenu que la journée de repos ait lieu là-haut. Opération gagnante.

L'autre chance de l'Alpe-d'Huez a été la télé, qui a commencé à retransmettre le tour la même année.

Car l'Alpe est télégénique. Pour le directeur sportif de la Française des jeux Marc Madiot, «c'est un stade à ciel ouvert. Quand tu arrives au pied, tu vois le haut et tout le public massé au bord de la route, ce qui est rare. C'est ce qui fait le mythe». «Du coup, tout grimpeur rêve de gagner là-haut, renchérit Roger Legeay. C'est une montée qui n'a jamais déçu.»

«La montagne des Hollandais» (huit succès, contre sept aux Italiens) est aussi l'objet de toutes les démesures. Comme toutes les légendes, celle de l'Alpe-d'Huez se forge parfois d'inventions, de rumeurs infondées ou de chiffres un peu farfelus.

En 2004, la vénérable montagne aurait ainsi accueilli un million de personnes sur ses flancs lors du contre-la-montre remporté par Lance Armstrong... C'est ça aussi c'est «l'Alpe», la folie des grandeurs.