À chaque début d'année, La Presse force les joueurs de tennis québécois à se prêter au même exercice douloureux: prédire leur classement à la fin de la saison. Comme les athlètes n'aiment pas dévoiler leur jeu, il faut toujours insister un peu. Sauf avec Aleksandra Wozniak.

Si la numéro un au pays n'hésite pas à partager ses objectifs, ses réponses sont parfois surprenantes. À l'image de la jeune femme de 20 ans, finalement.

Éternelle outsider, Aleksandra Wozniak n'a jamais fréquenté les grandes académies de tennis québécoises. Chez les juniors, elle s'entraînait plutôt sous la supervision de son père Antoni. Les Wozniak n'étaient pas les plus populaires au sein de la petite famille du tennis québécois. Leur histoire n'est pas sans rappeler une autre famille qui suscitait la controverse partout où elle passait, les Rusedski.

En 2006, après une seule année complète chez les pros, Wozniak figurait déjà parmi les 100 meilleures raquettes au monde. Un baptême à la hauteur de son immense talent. Début 2007, elle faisait part de ses objectifs à La Presse: garder sa place au sein du top 100. Voilà un objectif bien modeste pour une jeune joueuse en pleine progression, lui avait-on fait remarquer. «C'est très difficile de défendre tous ses points pour la première fois», avait-elle répliqué.

L'avenir allait malheureusement lui donner raison. En 2007, Wozniak a connu une année catastrophique: blessures, résultats décevants, séparation professionnelle avec son père Antoni, qui a été remplacé par un entraîneur américain. Malgré une finale au Maroc en mai, elle a réussi l'exploit peu enviable de quitter le top 100 quelques mois plus tard.

Début 2008, la carrière de Wozniak n'allait nulle part quand elle a dû se prêter à nouveau à notre petit jeu des prédictions. «Je vais finir l'année dans le top 50», a-t-elle dit. Nous lui avons fait répéter, pour être certain d'avoir bien compris. Après tout, elle occupait alors le 136e rang mondial - et encore, un classement gonflé par sa finale au Maroc, sans laquelle elle aurait plutôt approché du 170e rang mondial.

Encore une fois, Aleksandra Wozniak avait raison. Après avoir passé l'automne dernier à la salle d'entraînement afin de perdre quelques livres et d'améliorer sa vitesse sur le terrain, elle réécrit le livre des records du tennis québécois depuis le début de l'année. Première Québécoise à gagner un match d'un tournoi du Grand Chelem - à Roland-Garros, où elle a atteint le troisième tour. Et hier, première Québécoise à gagner un tournoi de la WTA.

Une anecdote particulièrement révélatrice au sujet de la nouvelle coqueluche du tennis canadien. Il y a quelques semaines, Aleksandra Wozniak m'a laissé un message sur ma boîte vocale. Elle était mécontente d'un article à son sujet. Son ton était calme et posé - elle est d'une gentillesse exemplaire même quand elle est fâchée -, mais plus autoritaire qu'à l'habitude. Je l'ai rappelée une, deux, trois, quatre fois. Toujours pas de réponse.

Finalement, son entourage m'a fait comprendre que mes efforts étaient vains: Aleksandra s'entraînait et ne voulait pas être dérangée. Cet épisode m'a laissé songeur, moi qui ai toujours cru qu'elle finirait par rejoindre l'élite mondiale. Comment cette fille pourra-t-elle survivre dans l'univers parfois cruel du tennis professionnel, où les filles sont prêtes à tout pour gagner, si elle craint de se laisser distraire par un simple retour d'appel?

J'ai eu ma réponse la semaine dernière à Stanford, alors qu'Aleksandra a gagné son premier titre de la WTÀ - mais probablement pas son dernier - avec un calme déconcertant. Avec cette victoire, Aleksandra rejoint le club-sélect des 50 meilleures joueuses de tennis au monde - exactement comme elle l'avait prédit en début d'année.

Je rends les armes. Il n'y a rien à faire avec cette fille. Quoi qu'il arrive, elle finit toujours par avoir raison.

Titres canadiens sur le circuit de la WTA

Année / Joueuse / Tournoi

2008 / Aleksandra Wozniak / Stanford (États-Unis)

1988 / Jill Hetherington / Wellington (Nouvelle-Zélande)

1987 / Carling Bassett / Strasbourg (France)

1986 / Helen Kelesi / Tokyo (Japon)

1986 / Patricia Hy-boulais / Taipei (Taïwan)

Source: WTA

Classement de fin d'année d'A. Wozniak2004 / 491e au monde

2005 / 190e au monde

2006 / 91e au monde

2007 / 136e au monde

21 juillet 2008 / 45e au monde