Quelque 70 % des prostituées commencent à vendre leur corps dès l'adolescence. C'est à cet âge que la demande est la plus forte. Et qu'elles font le plus d'argent. Parce qu'à 20 ans, elles ont déjà trop de «kilométrage»... C'est ce que révèle le documentaire Trafic qui se penche sur l'univers pour le moins dérangeant de la prostitution juvénile.

Présenté sur le site de Télé-Québec, Trafic est un documentaire-choc, cru, qui tend le micro à des acteurs trop peu entendus: les proxénètes, les jeunes filles et, surtout, leurs clients.

Mais qui sont ces hommes qui cherchent ainsi volontairement les services sexuels de mineures? C'est la question qui sous-tend cette série de trois capsules documentaires et six balados, diffusée à partir d'aujourd'hui, et pour les deux prochains mardis. «Quand on parle d'exploitation sexuelle, on parle beaucoup des filles et des proxénètes. Mais le client est souvent dans l'ombre, dénonce la réalisatrice Catherine Proulx, rencontrée à quelques jours du lancement. Mais lui, c'est qui? Si les deux autres sont là, c'est parce que lui est là aussi. Et si on mettait la lumière sur lui?»

«Le client, tout le monde le banalise...»

Il faut savoir que c'est un enregistrement audio d'un jeune (ex-) proxénète, réalisé par un centre jeunesse, qui a été la bougie d'allumage du projet. L'enregistrement a d'abord été conçu par le centre jeunesse à titre d'outil d'intervention auprès des garçons, apparemment de plus en plus nombreux à choisir cette voie (parce que «c'est plus sécuritaire pour un gars de faire travailler une fille que de vendre de la drogue», apprend-on dans le balado).

On y entend un certain Kevin (qui a accepté que sa voix et ses propos soient ici repris, pour les besoins de la cause), qui se confie avec une franchise désarmante. Sans filtre, il y parle de jeunes filles «perdues», les plus faciles à «manipuler»: «Moi, je m'en fous d'elles, je veux juste abuser d'elles...» Pour lui, ce sont des «salopes», et surtout des «matérialistes»; «90 % des filles sont matérialistes dans ce milieu-là.» D'où la facilité de les acheter...

Aller plus loin

Une fois ces propos entendus - notamment qu'à 20 ou 21 ans, «t'as trop de kilométrage» -, Catherine Proulx a su qu'elle devait aller plus loin. «Je n'arrivais pas à me sortir ça de la tête», dit-elle à plusieurs reprises dans le documentaire. «Avec ce que je sais maintenant, il est impossible pour moi de ne rien faire...» On la suit donc, pendant toute la série, dans son enquête sur le terrain, questionner les intervenants (la police, les propriétaires de bars de danseuses) et surtout les principaux intéressés. La réalisatrice ne pose jamais de jugement de valeur sur le travail du sexe en soi, c'est toujours sur la présence des mineurs qu'elle se questionne. Et questionne tout le monde. Le verdict est d'ailleurs clair, et surtout terriblement dérangeant.

«Le client, c'est monsieur Tout-le-Monde. Ce n'est pas un prédateur.»

Qu'il cherche volontairement une mineure ou qu'il soit dans un certain déni, qu'il soit un homme riche, en voyage, pauvre ou malpropre, divorcé ou pas, infidèle ou pas, les profils sont variés, multiples, interchangeables. Quoi qu'il en soit, les travailleuses interrogées sont sans équivoque: «Ce qui marche beaucoup, c'est la nouvelle.» Les clients ne cherchent en effet ni la plus belle ni la plus expérimentée. Désormais, ils cherchent la plus jeune. Pourquoi? Catherine Proulx a sa petite idée sur la question: «On est tous pris là-dedans, analyse-t-elle. L'idéal de beauté est associé à la jeune fille. Les crèmes des filles se vendent avec ce profil-là. On vend la fraîcheur de l'adolescence. Et ça se retrouve là [dans l'industrie du sexe], aussi...»

Dérangeant, disions-nous...

De nouveaux épisodes seront mis en ligne les mardis 26 mars et 2 avril.

Visionnez Trafic, réalisé par Catherine Proulx en collaboration avec Arnaud Bousquet: https://trafic.telequebec.tv/