Avant de pouvoir tenir la petite Camille dans leurs bras, Karine Cummings et Dave St-Pierre ont traversé 12 longues années de bataille contre l'infertilité. Leur « petit miracle » est né au bout d'une nuit de Noël de pleine lune.

Soir du réveillon de Noël 2015. Les amoureux festoient avec la future grand-maman, réquisitionnée depuis le 15 décembre pour prêter main-forte à l'accouchement. Malgré l'engagement à ne pas s'offrir de cadeaux cette année-là, Karine Cummings souhaite remettre un présent à son conjoint de la part de leur fille à naître. C'est à ce moment précis qu'elle perd les eaux et prend la direction du Centre hospitalier de l'Université Laval, à Québec. « Notre petit lutin de Noël nous a joué bien des tours au moment de sa naissance ! », relate l'enseignante en adaptation scolaire de 39 ans.

« On aurait dit que tous les astres s'étaient alignés pour que sa naissance soit magique. Qu'enfin on puisse accueillir notre premier enfant, le soir de Noël et la veille de mon anniversaire ! Au fond, c'était elle, mon cadeau ! », relate Dave St-Pierre.

PARCOURS DU COMBATTANT

Retour en arrière au printemps de cette même année : le couple apprend qu'il attend son premier enfant après 12 années d'essais infructueux, dont 8 années en traitements de fertilité. Son parcours a tout d'une épopée. À commencer par le combat contre les préjugés défavorables à la procréation assistée. Karine Cummings a mis six mois à convaincre son homme d'embarquer. « Des gens de mon entourage m'avaient influencé sur le fait que ce n'était pas naturel, avoue Dave St-Pierre, technicien en électronique de 36 ans. Mais avec le recul, les traitements nous ont donné un énorme coup de pouce, et je regrette qu'on n'y soit pas allés avant. »

Au moment d'amorcer les traitements, le couple n'a pas trouvé réponse à ses questions : il est confronté à une infertilité inexpliquée. Quatre tentatives d'insémination artificielle ont échoué coup sur coup. Après un arrêt obligé du processus à la suite de deux commotions cérébrales de Karine Cummings, le couple s'est tourné vers la fécondation in vitro (FIV), alors que le Programme québécois de procréation assistée venait d'être adopté.

Les cinq cycles de traitements n'ont pas été de tout repos. Après trois tentatives crève-coeur (un embryon meurt après la décongélation), les médecins demandent à la future mère de perdre du poids. Plus décidée que jamais, elle perd 60 livres en neuf mois. Les procédures reprennent et échouent une fois de plus. « Après tous ces efforts et la présence de symptômes de grossesse, ç'a été un temps des Fêtes très pénible. Heureusement que j'avais ma belle-maman, mon pilier, qui a vécu les hauts et les bas des traitements avec nous. Je pouvais me confier à elle sans retenue. Elle comprenait mon désir d'enfant mieux que quiconque. »

LE PLUS BEAU DES CADEAUX

À l'annonce de la grossesse, au bout du cinquième cycle de FIV, le couple pouvait enfin crier victoire, mais demeurait anxieux. « J'ai utilisé un doppler foetal une fois par semaine durant toute la durée de ma grossesse pour écouter le coeur et m'assurer que bébé était toujours là. C'est quand j'ai su le sexe de Camille que je me suis permis d'y croire. J'allais enfin être maman ! »

À quelques jours du premier anniversaire de son bambin, le couple se pince. « Je n'hésite plus à demander de l'aide lorsqu'il s'agit de ma fille, car son bien-être m'importe par-dessus tout », dit la maman. « Notre parcours a changé les personnes que nous sommes, confirme le papa. J'ai davantage confiance en moi et en mes forces. Je suis plus positif et laisse moins tomber les bras rapidement devant les épreuves. »

Depuis l'abolition du programme public de procréation assistée, l'horizon demeure incertain pour un deuxième enfant du couple. « Camille sera peut-être enfant unique, c'est pourquoi nous l'avons entourée de gens qui l'aiment », souffle la maman.

VIVRE AVEC L'ANXIÉTÉ

Les couples qui attendent un enfant après un long processus de traitement passent souvent par toute la gamme des émotions. La psychologue Marie-Alexia Allard en reçoit à la clinique Ensemble, qui se spécialise dans les problématiques liées à l'infertilité et à la périnatalité.

Dans quel état d'esprit se trouvent habituellement les futurs parents qui attendent leur premier enfant après un parcours d'infertilité ?

« Les couples que je vois dans ma clinique éprouvent généralement un grand bonheur, mais vivent aussi beaucoup d'anxiété. C'est tellement inespéré qu'ils ont souvent du mal à y croire. Les femmes enceintes vont être hypervigilantes, très à l'écoute de leur corps et terrifiées à l'idée de perdre leur bébé. Elles doivent trouver des manières de s'apaiser, de prendre soin d'elles afin de jouir pleinement de leur grossesse. »

Elles ont surtout besoin d'être rassurées...

« Effectivement. Or, devant leurs inquiétudes, l'entourage montre parfois de l'incompréhension. On va leur dire : bien, voyons, tu es enceinte, sois positive ! Mais ces femmes sortent de traitements intrusifs très lourds physiquement et psychologiquement et ont souvent vécu une série de déceptions et de deuils. C'est tout à fait normal qu'elles soient anxieuses. Certaines auront besoin de parler de leurs traitements jusqu'à la moitié de leur grossesse afin d'élaborer sur ce qu'elles ont vécu. En ce sens, la grossesse leur permet une certaine forme de libération. »

Que se passe-t-il sur le plan identitaire lorsque ces personnes deviennent parents ?

« L'infertilité est une blessure narcissique qui touche à l'identité. Lorsqu'une personne entrevoit la possibilité de ne pas avoir d'enfant biologique alors qu'elle y a toujours rêvé, elle se remet en question. Lorsqu'elle devient maman ou papa, sa perception change, il y a quelque chose de réparateur au niveau de l'estime de soi. »

Une étude hongroise a montré que les parents d'enfants conçus par procréation posséderaient un « système immunitaire psychologique » plus résistant que les autres couples, qu'ils seraient plus persévérants et confiants. Cela vous semble le cas ?

« Je ne pense pas que l'infertilité va déterminer le genre de parents qu'ils deviendront fondamentalement. Or, comme à travers toutes sortes d'épreuves, certaines personnes vont développer des stratégies de gestion du stress, une meilleure communication, de la résilience qui vont leur servir tant dans leur vie quotidienne qu'en tant que parents. »