Par un après-midi étouffant de chaleur ou au coeur d'une nuit à l'obscurité la plus totale, peu importe, ce village rural est à trois heures de marche du centre de santé le plus proche. Un enfant souffre de diarrhée aiguë, un problème fréquent mais mortel qui pourrait être soigné simplement grâce à des sels de réhydratation oraux.

Ces sels coûtent deux fois rien, mais le seul magasin du village n'en a pas. Il vend plutôt de la poudre à lessive, de l'huile de cuisson, des seaux en plastique et inévitablement, des bouteilles de Coca-Cola.

Comment se fait-il que Coke puisse s'y rendre, mais pas des médicaments? De fait, comment une boisson gazeuse peut-elle se retrouver dans presque tous les villages éloignés de la planète? Et quelles leçons pouvons-nous en tirer pour parcourir ces derniers kilomètres afin d'atteindre cet enfant?

Ce sont les questions que posait Simon Berry, travailleur humanitaire britannique, dans un coin reculé du nord-est de la Zambie, il y a plus de 20 ans. Il était impossible à l'époque de joindre la direction de Coca-Cola pour discuter de la possibilité d'utiliser son réseau d'approvisionnement de boissons gazeuses pour acheminer les sels de réhydratation. La responsabilité sociale des entreprises ne faisait pas partie des concepts dans le vent.

«Simon n'est pas du genre à avoir une idée et à la laisser tomber», s'exclame Jane, son épouse, en discussion sur Skype de Lusaka, capitale de la Zambie. Simon bouillonne d'idées et Jane effectue les recherches.

Elle a rejeté sa première idée: fixer une boîte de carton remplie de fournitures médicales sur le côté des caisses de Coke puisque leur empilage et leur transport auraient été trop difficiles. Et la deuxième: remplacer une bouteille de chaque caisse par un «cylindre d'aide».

Puis, elle a trouvé la solution: utiliser l'espace vide entre chaque rangée de bouteilles. Utiliser le mince espace dont personne ne voulait. Le «contenant d'aide» ColaLife était né.

L'impact des médias sociaux

Mais pas tout à fait. Le couple Berry est d'abord retourné au Royaume-Uni, continuellement hanté par le fait que la diarrhée demeure la deuxième cause de mortalité des enfants de moins de 5 ans.

Selon l'Organisation mondiale de la santé, 760 000 nourrissons meurent chaque année d'une maladie évitable et traitable. Simon et Jane savaient qu'ils détenaient une solution.

En mai 2008, Simon a publié son idée sur Facebook. Trois mois plus tard, le groupe Facebook ColaLife comptait 5000 membres et Simon obtenait une conférence téléphonique avec la direction mondiale de Coke.

L'idée ayant suscité un vif intérêt de la part des entreprises et des médias et grâce à l'octroi d'une subvention du gouvernement britannique, les Berry ont pu quitter leur emploi respectif pendant deux ans pour se rendre en Zambie et diriger à plein temps les premiers essais sur le terrain de ColaLife. Jane se souvient: «L'heure était venue pour cette idée. Tout à coup, il nous était possible de discuter avec l'UNICEF, par exemple, sans qu'on se moque de nous.»

C'est à ce moment que les mères s'en sont mêlées.

Lorsque les essais ont eu lieu dans quatre districts ruraux de Zambie, en décembre 2011, les femmes de la région ont expliqué aux Berry que les sachets de sels de réhydratation d'un litre ne convenaient pas. Même si elles disposent d'un contenant qui leur permet de mesurer les quantités, un litre, c'est trop pour un enfant, et ça signifie beaucoup de gaspillage. Si la solution est trop diluée, elle n'est pas efficace. Si elle est trop concentrée, la diarrhée s'aggrave.

Les vraies réponses sont alors arrivées. Et si le «contenant d'aide» en plastique était non seulement un moyen de protéger et de transporter le contenu (les sels, un traitement de suppléments de zinc de 10 jours et un savon pour se laver les mains), mais aussi un moyen de mesurer, de mélanger et de boire la solution? Un contenant et une tasse?

Pour que ça fonctionne, l'équipe ColaLife devait produire de nouveaux sachets de sels de réhydratation plus petits, à dose unique d'exactement 250 ml. C'est ce qu'elle fit, avec l'aide de Pharmanova, une entreprise pharmaceutique locale.

Des «kits» populaires

Aujourd'hui, alors qu'il ne reste que trois mois avant la fin des essais sur le terrain, le Kit Yamoyo (ou «Life Kit») est tellement populaire que les détaillants locaux ne glissent plus 10 «contenants d'aide» dans leurs caisses de Coke. Ils en achètent deux caisses pleines - 70 contenants - à la fois.

Malgré toutes ces années d'intenses réflexions à propos de la taille et de la forme de la trousse, «pouvoir l'insérer dans une caisse de Coca-Cola n'a finalement eu aucune importance». Vous avez bien lu. ColaLife fonctionne indépendamment de Coke.

Et ce n'est pas tout. Les trousses se détaillent 5 kwacha ou 1$ l'unité. Et les mères dont le salaire est d'environ 1$ par jour planifient leurs achats de trousses pour en avoir à portée de la main quand un enfant est malade. Comme l'affirme Jane, «les gens pauvres ne font pas ça habituellement».

La vraie solution n'était finalement pas la chaîne d'approvisionnement de Coca-Cola, mais plutôt la chaîne de valeur locale.

Grâce aux essais sur le terrain, selon Simon, ils ont appris que si tout le monde dans la chaîne, du producteur au détaillant rural, peut réaliser un petit profit, et si les trousses demeurent abordables pour le client, «ce produit se rendra à destination, sans même qu'un véhicule soit nécessaire!»

Une fois les essais terminés en septembre, suivront quelques mois d'analyses et d'examens, puis le passage à un mode de distribution régional puis national du Kit Yamoyo. Simon est convaincu «qu'étant donné l'attrait du produit pour les mères en régions rurales, la demande ne s'arrêtera pas».

Surtout, en Zambie rurale, ColaLife a réussi à parcourir le dernier kilomètre: la distance entre le médicament et l'enfant qui en a besoin.