Vous pensez que Clark Kent est le superhéros suprême? La photographe Dulce Pinzon n'est pas de cet avis. Voici Paulino, Noe et Minerva...

Oubliez Batman, Spider-Man ou les Quatre Fantastiques.

Pour la photographe mexicaine Dulce Pinzon, qui expose à Montréal jusqu'à la fin janvier, les vrais superhéros sont ailleurs: dans les cuisines d'un restaurant, dans une buanderette ou dans le fond d'un camion de livraison. Seul petit problème: ils sont immigrants, sans-papiers et souvent très pauvres.

Pour l'artiste d'origine mexicaine, cette main-d'oeuvre à bon marché, invisible et pourtant primordiale, méritait son quart d'heure de gloire. C'est ainsi qu'elle a créé une série de portraits représentant ces hommes et ces femmes venus d'ailleurs, vaquant à leurs tâches quotidiennes en habits de superjusticiers. Ici Paulino Cardozo, déguisé en incroyable Hulk. Plus loin Noe Reyes, livreur dans un dépanneur, pédalant cape au vent. Ou encore Minerva Valencia, gardienne d'enfants, portant un costume de Catwoman.

«Après le 11 septembre, j'ai réalisé à quel point les médias donnaient de l'attention aux gens qui reconstruisaient New York, mais qu'ils oubliaient les héros plus discrets, comme les immigrants, explique la photographe par courriel. À cette époque, je travaillais comme organisatrice syndicale. Je voyais l'énorme besoin de reconnaissance des immigrants latinos qui non seulement travaillent, paient des impôts et reçoivent les moins bons salaires, mais trouvent en plus le moyen d'envoyer de l'argent dans leur pays d'origine... Le concept du superhéros a vraiment pris forme quand j'ai vu un costume de Spider-Man dans un marché mexicain. Tout est devenu clair. Je voulais sortir les immigrants de l'ombre et de l'anonymat en leur donnant un rôle important.»

Présentée depuis jeudi à l'Espacio Mexico, en collaboration avec le Mouvement Art public, cette Histoire vraie des superhéros (Real Stories of the Superheroes) fait depuis trois ans la tournée des galeries d'art moderne un peu partout dans le monde. Elle a retenu l'attention aux États-Unis, en raison de son esprit à la fois ludique et militant. Et propulsé Dulce Pinzon bien au-delà de son cercle immédiat.

Sujet contemporain

La photographe admet que l'impact n'aurait pu être aussi grand sans ce gros clin d'oeil à la culture pop «made in USA». «Je pense que la presse s'y est intéressée parce que je traite d'un sujet très contemporain de façon différente, c'est-à-dire avec humour et irrévérence. Aussi parce que j'utilise les bases de l'identité américaine - héroïsme et superhéros - pour parler d'un sujet inconfortable.»

Rappelons que la question de l'immigration reste particulièrement délicate aux États-Unis, puisque des millions de travailleurs étrangers y vivent et y travaillent au détriment de la légalité et parfois même de la dignité.

Photo fournie par Dulce Pinzon

Catwoman. Minerva Valencia, de Puebla, est gardienne d'enfants à New York. Elle envoie 400$ par semaine.

Venue vivre aux États-Unis il y a 14 ans, pour des raisons qu'elle préfère ne pas dévoiler publiquement, Mme Pinzon, 34 ans, a elle-même collectionné les emplois minables avant de faire sa place dans les réseaux artistiques. Ceci expliquant cela, elle s'est tout naturellement identifiée à cette strate de la société négligée, voire «inexistante». Ses Histoires vraies de superhéros s'attardent spécifiquement aux immigrants latino-américains, mais se veulent un hommage à tous ceux et celles qui ont quitté leur pays et leur famille dans l'espoir d'un meilleur avenir.

«Ce n'est pas la première ni la dernière fois que les gens migrent, conclut Mme Pinzon. Mais j'aimerais que les gens profitent de ce projet pour rire et surtout réfléchir. Avec un peu de chance, ces photos vont les amener à être plus tolérants face à d'autres réalités.»

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THE REAL STORIES OF THE SUPERHEROES, photographies de Dulce Pinzon. Jusqu'au 28 janvier à l'Espacio Mexico 2055, rue Peel.

 

Photo fournie par Dulce Pinzon

Elasticman. Sergio Garcia, de l'État de Mexico est livreur à New York. Il envoie 350$ par semaine.