Peut-on être actrice porno, tourner plusieurs scènes hard dans la même journée, puis rentrer à la maison et préparer un spaghetti bolognaise pour sa famille?

«Elle n'a qu'à prendre sa douche en revenant», répond simplement à la caméra Ian, le petit ami de Sacha Grey, une jeune étoile du X connue pour son penchant sadomasochiste.

 

Dans le documentaire 9 to 5 Days in Porn, le réalisateur allemand Jens Hoffman a donné la parole aux artisans de films pour adultes, «afin de présenter une image de leur réalité, méconnue de la plupart des gens», a-t-il expliqué à La Presse, lors de son passage à Montréal pour la présentation de la première de son film au Festival des films du monde (FFM).

Si certaines se prêtent volontairement aux exercices quotidiens du métier, d'autres semblent s'y plier sans grand enthousiasme. Et l'on comprend dans le film que la réponse à la question «est-ce un métier de 9 à 5?» n'est pas la même pour tout le monde.

Trois raisons poussent les acteurs vers ce métier, selon la sexologue Sharon Mitchell, interviewée dans le documentaire: l'argent, la célébrité ou le sexe. L'ex-actrice porno a fondé la Adult Industry Medical (AIM), une clinique exclusivement destinée aux gens de l'industrie. La quête de gloire cause principalement des problèmes sur le plan psychologique, selon Mme Mitchell. Prêtes à tout, ces actrices chérissent l'espoir d'être un jour acclamées à Hollywood et croient que la pornographie est la porte qui leur permettra d'y accéder.

Une vie «normale»

Interrogé nu et dégoulinant de sueur, alors qu'il prend une pause cigarette pendant un tournage, l'acteur et réalisateur Otto Bauer se demande s'il a encore envie des autres filles à sa disposition ou s'il est satisfait. Il conclut: «Une chose est sûre, Audrey va y goûter en rentrant à la maison.»

Vulgaire, souvent violent verbalement envers sa femme Audrey Hollander - aussi star du X -, Otto tente néanmoins de convaincre la caméra qu'il mène une vie normale. Un cottage au coeur de la vallée de San Francisco, un chien et une femme ne suffisent cependant pas à le prouver.

Mais Otto est un cas à part, assure le réalisateur Jens Hoffman, qui admet avoir eu du mal à supporter son tempérament pendant le tournage. Et force est de constater que plusieurs personnes présentées dans 9 to 5, ont, lorsqu'elles sont loin des projecteurs, un train-train quotidien semblable à ceux de monsieur et madame Tout-le-Monde.

Jolie et s'exprimant avec aisance, la productrice et actrice Belladonna est la maman d'une petite fille. Difficile de croire que la jeune femme obsédée par le ménage et la bouffe bio est aussi la réalisatrice de Butthole Whores 3 ou de Cock Happy 2, des films particulièrement hard. Belladonna laisse peu de choses au hasard: chaque scène est discutée à l'avance avec ses acteurs.

Par contre, «pour nombre de grosses productions, autant de petits films sans budget peuvent être lancés sur le marché. Et les conditions de travail y sont tout autres», met en garde Mélanie Claude, qui a étudié l'impact de la pornographie chez les jeunes dans le cadre de sa maîtrise en sociologie à l'Université d'Ottawa.

Conséquemment, «les filles qui veulent intégrer l'industrie doivent savoir dans quoi elles s'embarquent», ajoute Pascale Navarro, journaliste et coauteure du livre Interdit aux femmes. Et à cet égard, le métier d'actrice du X présente des risques particuliers pour la santé physique et psychologique.

Reflet inégalitaire

De son côté, l'universitaire américaine Chyng Sun, réalisatrice du documentaire The Price of Pleasure, aussi présenté à Montréal lors du FFM, estime que lever le voile sur l'industrie et faire parler ses artisans est improductif dans le débat sur la pornographie. Selon elle, on devrait plutôt s'attarder au rôle que cette dernière joue dans la construction de l'imaginaire sexuel des consommateurs, particulièrement chez les jeunes.

«La culture pornographique véhicule une image de domination masculine, selon la professeure en communication de l'Université de New York. Même si la société nord-américaine prône des valeurs égalitaristes, les films pornos déconstruisent cet idéal.»

«Les gens consomment de la porno tout en sachant que ce n'est pas tout à fait le reflet de la réalité mais, en même temps, ils en adoptent les codes», dit pour sa part Richard Poulin, sociologue à l'Université d'Ottawa. Il cite en exemple «les adolescentes qui apprennent très tôt qu'elles sont au service sexuel des hommes et qu'elles sont là pour leur faire plaisir». Dans ses recherches, M. Poulin établit un lien direct entre l'hypersexualisation des jeunes et la consommation de porno précoce et de plus en plus généralisée.

Les Sacha Grey ou Belladonna de l'industrie pornographique sont à mille lieues des thèses universitaires consacrées à leur métier. Elles évoluent plutôt dans un milieu hermétique et peu prompt à l'introspection. Et à cet égard, le réalisateur Jens Hoffman, qui a passé plus de 18 mois auprès d'elles, répond qu'être une superstar du X ressemble à n'importe quel boulot.

Ce à quoi Chyng Sun réplique: «Il faut donc réfléchir au système et comprendre pourquoi ce choix est favorisé par certains au détriment d'autres emplois.» Et la réponse, elle l'explique en partie dans son film The Price of Pleasure: c'est une affaire de gros sous.

 

Moins violente, la porno produite par les femmes?

Une étude publiée dans le plus récent numéro de Psychology of Women Quarterly démontre que malgré un nombre grandissant de femmes productrices de films pour adultes, leur contenu est aussi violent et dégradant envers les femmes que les films produits par leurs homologues masculins.

Un échantillon de 44 vidéos les plus populaires de l'industrie (selon Adult Video News, AVN), produits par autant d'hommes que de femmes, ont été choisis au hasard par les auteurs de l'étude. Parmi ceux-ci, 122 scènes ont été analysées où 1486 agressions verbales ou physiques ont été recensées. Ainsi, les producteurs ont imaginé 666 de ces actes alors que les productrices, 820. Dans plus de 98% des cas, la violence est dirigée vers les femmes, dépeintes comme des masochistes puisqu'elles y répondent majoritairement positivement.

La conclusion des auteurs: la combinaison sexe et violence est la clé du succès dans l'industrie de la pornographie et l'argent, plus que le genre, dicte la vision des producteurs.

 

Statistiques de l'industrie

La production de matériel pornographique a rapporté 12,9 milliards en 2006.

Pourcentage des ventes en 2006 selon les secteurs

> 35%: câble, télévision et satellite

> 28%: VHS et DVD

> 22%: internet

> 15%: nouveaux produits (condoms, lubrifiants et autres)

Source: https://www.avnmedianetwork.com