La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Catherine*, 30 ans.

Catherine a 30 ans. Malgré son jeune âge, elle en a long à raconter : début vingtaine, elle a eu le cancer du col de l’utérus. Et oui, cela a tout changé en matière de sexualité. Et pas exactement pour le mieux. Récit inédit et, surtout, coup de poing.

« Les médecins sont très forts pour t’expliquer les choses en théorie. OK, mais en pratique ? J’aurais aimé ça, le savoir… »

La douleur, la brûlure, le frisson, rien n’est plus pareil. Et ne le sera plus jamais. Pour toutes sortes de raisons, certes, mais n’empêche : sa sexualité a pris un sacré coup. Et elle aurait bien aimé être avisée.

Malgré la lourdeur du propos, la souriante jeune femme qui nous a invitée dans son bungalow de la Rive-Sud pour se confier est plutôt divertissante. Oui, on rit beaucoup pendant l’entretien.

« Je ne connais personne qui a eu ça à 22 ans, déclare-t-elle d’emblée. Moi, j’ai eu quatre ans de “normalité”. »

Façon de parler. « As-tu lu Aliss, de Patrick Senécal ? », débute-t-elle. Sa première fois, à 18 ans, ressemble un peu à ça. Elle se « ramasse » telle l’héroïne du roman dans un quartier éloigné, chez un type plutôt bizarre. Pensez : pitbull d’un côté, serpent de l’autre. Ah oui, avec un long fusil dans un coin, aussi. « Il n’était pas délicat », résume-t-elle, se souvenant même qu’il chattait avec une autre pendant certains moments de l’acte. « C’était très humiliant, honnêtement. »

« J’ai vécu beaucoup d’humiliations… », poursuit notre volubile interlocutrice. « Il y en a eu d’autres, quatre ou cinq, avec qui ça a mal fini aussi », ajoute-t-elle en riant, anecdote imagée d’éjaculation dans les yeux (oui, les yeux) incluse.

Son conjoint actuel, le père de son enfant, elle le rencontre à 19 ans. « C’est mon premier vrai chum, sourit-elle. Je le trouvais beau ! » Mieux : « Il n’était pas comme les autres. […] Ce n’était pas quelqu’un d’humiliant. Il ne me forçait pas. Il n’a pas fait de commentaires plates sur mon physique. Parce que moi, ça a toujours été ça… »

Leurs premières années, tout va plutôt bien. Au lit ? « Je n’ai jamais été très exigeante », précise ici Catherine. Et c’est peu dire : « Je suis toujours restée sur mes gardes. Si jamais je montre trop que j’ai du fun, ça va se retourner contre moi », craint-elle, pour justifier sinon son manque de confiance, du moins une pudeur manifeste.

Oui, oui, on a eu beaucoup de fun […] C’était quelque chose, dans le temps, plusieurs fois par semaine, plusieurs fois par jour !

Catherine, 30 ans

Et puis, à 22 ans précisément, Catherine se retrouve chez le médecin pour un examen de routine. On lui décèle des « cellules anormales » : « plein de monde a ça », dit le médecin pour la rassurer. Un examen plus poussé plus tard et voilà que les cellules ont évolué. D’autres tests le confirment : c’est un cancer.

« J’ai pleuré cinq minutes ! […] Puis, je me suis dit : je ne peux pas brailler toute ma vie ! »

La jeune femme nous épargne les détails de sa « grosse opération », puis déclare : « je n’ai plus de col de l’utérus ». Mais elle ne sait pas encore tout. « Les médecins te disent ce qu’ils font, les étapes, mais ils ne t’expliquent pas les répercussions… »

Les répercussions ? C’est qu’elle a appris, des années plus tard, qu’on lui avait en prime « accroché un nerf » au passage, et pas n’importe lequel : « celui qui va au fond du vagin. Le feeling agréable qui fait que tu as du plaisir ? Celui-là. Trois ou quatre ans après, j’ai su que ça ne reviendra jamais cette sensation-là ».

Toujours est-il que deux mois après l’opération, et une fois sa convalescence terminée, elle refait l’amour avec son copain. « J’étais stressée ! », se souvient-elle en grimaçant, avec une légèreté déconcertante.

Je savais que ça ne serait pas comme avant, mais je ne savais pas comment ce serait pas comme avant…

Catherine, 30 ans

« Ça brûlait à l’entrée, se souvient-elle, et ça faisait mal tout le long à l’intérieur. J’avais zéro plaisir. Pantoute. Oh ! mon Dieu, mais est-ce que ça va être ça toute ma vie ? » Ce qu’elle a pleuré…

Et puis ? « Ç’a été comme ça quatre ans. J’ai cru que ça ne reviendrait jamais. »

Comment c’est « revenu » ? Catherine raconte avec précision ses exercices de physio, ce qui l’a détendue « à l’intérieur », etc. « Mais ça ne faisait pas moins mal à l’entrée », précise-t-elle. Et puis « à force de le faire », tranquillement, mais sûrement : « heille, ça ne me fait plus mal ! », s’est-elle un jour félicitée. Mais à moitié seulement : « Mais je ne sens plus rien pantoute ! »

C’est à ce moment précis qu’elle se retrouve en consultation pour apprendre, à sa stupéfaction, cette histoire de nerf sectionné. « J’aurais aimé ça le savoir, honnêtement… »

Résultat ? « La plupart du temps, je ne sens plus grand-chose. »

On ose sonder, à savoir si côté clitoris, tout va bien. « Lui, il est correct, rougit Catherine. Mais ce n’est pas quelque chose avec quoi mon chum est habile, alors je n’insiste pas. »

Elle s’explique : « La plupart du temps, je le laisse avoir du plaisir. Moi, je pense à autre chose. » Non, elle ne se caresse pas devant lui. Jamais. « Non, non, non, ça me gêne beaucoup trop ! », rit-elle.

Depuis huit ans, donc, la sexualité, « ce n’est pas la chose la plus excitante au monde ». Du moins, la plupart du temps. « Parfois, un peu dans un angle, ça frotte autre chose, c’est plus plaisant. Mais trop haut, ça fait mal. Il faudrait quasiment sortir un rapporteur d’angle ! »

Alors, Catherine s’est fait une raison et préfère se satisfaire toute seule, en toute intimité, pudeur oblige. C’est son « jardin secret ». Non, déclare-t-elle néanmoins haut et fort en gloussant : « Je ne serai pas une sœur ! »

À travers tout cela, elle a tout de même eu un enfant. « Je me suis tellement forcée à faire l’amour. Je voulais ! » C’était il y a cinq ans.

Et comment va-t-elle depuis qu’elle est maman ? « Je pense que j’ai appris à accepter la situation », répond-elle. Elle a surtout fait le deuil de son « frisson intérieur » d’antan.

Quand « monsieur a besoin » comme elle dit, « let’s go, t’as dix minutes », rit-elle de plus belle, « et je n’insiste pas sur mon plaisir. » Pudeur oblige, bis.

Quoi retenir de ce témoignage ? « Est-ce que je suis la même fille qu’avant ? Je ne pense pas. […] Moins le fun ? Probablement, oui, j’ai tout le temps peur d’avoir mal. Mais j’ai appris que tu peux te faire aimer pour autre chose que ton corps. Ou par ce que je peux apporter sexuellement. Et je suis capable de mettre mes limites, aussi », fait valoir Catherine.

Et dans ses rêves les plus fous ? « Ça reviendrait comme avant ! Et peut-être que je serais moins gênée ? Moins gênée de le dire : touche-moi là… » On le lui souhaite.

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat