La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Mathieu*, 59 ans.

C’est arrivé quand il avait 6 ou 7 ans. Il n’en a jamais parlé à personne. Mais il ne l’a jamais oublié. Et assurément, croit-il, ça a teinté sa vie. Et pas exactement en bien.

Mathieu, fin cinquantaine, nous a donné rendez-vous dans un Starbucks de Laval pour se confier. Il est « nerveux », dit-il d’emblée. Et ça paraît. « Je n’ai jamais dit ça à personne, c’est bien trop gênant ! glisse-t-il tout bas. C’était le début des années 1970 […], un p’tit gars, ça ne parle pas de ces affaires-là ! »

Mais là, il est temps. « J’arrive à 60 ans, et je ne peux pas croire que ça n’est pas arrivé à d’autres personnes que moi. Moi, je n’ai jamais rien lu, vu ou entendu à ce sujet-là. Alors si ça peut aider… », dit-il, pour justifier ce besoin soudain de parler.

Parlons-en, justement. « C’est bien simple, j’habitais avec mes parents et ma cousine venait nous garder… » Elle avait le double de son âge et il s’en souvient dans les moindres détails. « On écoute la télé, assis sur le sofa brun. Et elle me tripote. »

Sans crier gare, Mathieu éclate de rire. « J’ai eu beaucoup plus de surprise que de plaisir », justifie-t-il. On comprend qu’il ne saisit pas à l’époque ce qui lui arrive : « Je suis surpris, je ne bouge pas, je ne sais pas quoi faire. […] Et pas juste une fois. Plusieurs fois ! » Une demi-douzaine de fois.

Nouvelle surprise : quelques années plus tard, quand il s’est « réveillé à la sexualité », comme il dit, Mathieu a voulu la revoir. Il rit de plus belle. « Là, je comprenais, explique-t-il, tout sourire. Et je lui ai fait des avances ! » Du genre : te souviens-tu ? Ça te tenterait ? Réponse : négatif. « Elle avait compris que ça n’était pas correct… »

Et lui, avec le recul, s’est-il senti agressé ? Mathieu retrouve son sérieux et prend un moment pour répondre. On devine que la réponse n’est pas simple. « Je me suis senti inconfortable, nuance-t-il. Agressé : je ne savais pas ce que c’était. » On y reviendra.

Ça a teinté toute la nature des relations que j’ai eues avec les filles…

Mathieu, 59 ans

Ça, en plus d’une relation compliquée avec son père, duquel il a tenté toute sa vie de se faire aimer. Mais on s’éloigne du sujet (quoique pas tant que ça, vous verrez).

C’est que la sexualité a pris par la suite une place archi importante dans sa vie, omniprésente dans sa tête, quasi omnipotente. Dès qu’une fille s’intéresse à lui, ou vice-versa, sa seule façon de « valider » cet intérêt, c’est de coucher avec elle.

Un exemple ? Mathieu est au cégep et participe à une pièce de théâtre. Il y a deux metteuses en scène, quatre comédiennes. « Mon but, c’est de me les taper toute la gang », illustre-t-il. Ce qu’il fait, à une exception près.

« Je suis un gars extraverti, poursuit-il, j’ai un beau cercle d’amis, les filles viennent à moi. » Mais pas une ne reste. Ce qui cloche ? « Moi ! répond notre homme sans hésiter. Je suis bien trop pressé ! Ça n’a pas de bon sens ! Je courtise très peu, je consomme, et c’est fini ! »

Il « consomme » ainsi des dizaines de filles (« oh boy, peut-être une quarantaine ? ») jusqu’à ses 22 ans, avant de se faire enfin une première blonde. « Et elle, ça a été laborieux, la gagner ! […] C’est peut-être pour ça que ça a duré plus longtemps ? »

L’histoire dure un temps, elle le trompe, puis Mathieu reprend son « manège », multipliant ses « aventures » sans queue ni tête (ni lendemain). « J’ai tellement fait de conneries », confirme-t-il en se remémorant ses voyages sur un coup de tête pour « avoir du cul » ici, ou s’« envoyer en l’air » là. « Mais ça me prenait ça, se souvient-il. L’urgence d’avoir ça. » Une urgence reliée à son histoire et tous ses souvenirs, insiste-t-il.

C’est tout le temps resté dans ma tête, toujours, toute ma vie.

Mathieu, 59 ans

Et non, ces aventures ne le comblent pas vraiment. « C’est comme du fast food, compare-t-il. Ça ne me remplissait de rien. Émotionnellement, c’était vide. »

Fin trentaine, Mathieu finit par se caser, avec une fille « plate au boutte » au lit. Pourquoi au juste ? « Je voulais une famille. » Et elle avait l’air d’une bonne mère. « Ce qu’elle est, précise-t-il. Sauf qu’évidemment, je l’ai trompée… »

Et « évidemment », ils se sont laissés. Depuis, Mathieu a rencontré une énième femme, la dernière en lice, en fait. Cela fait plus de 10 ans. Quand il la rencontre, il voit « des étoiles ». « On communique bien, on aime les mêmes affaires, la sexualité est géniale. »

Précision : la sexualité était géniale. Parce que, et voilà que Mathieu nous surprend à nouveau, « notre sexualité est à zéro aujourd’hui ! » Zéro ? « Et je suis content ! », ajoute-t-il. Content ? On croyait avoir cerné le personnage, mais on a tout faux. « Ça a tellement drivé et pollué ma vie ! […] Ça ne me manque pas pantoute ! Je suis tellement bien, Silvia ! De ne plus avoir cette pression-là ! Jusqu’à il y a quelques années, j’étais gosseux, il fallait tout le temps baiser ! »

Mais qu’est-il arrivé ? Plusieurs choses, sans doute. Entre autres, Mathieu a fait une dépression. « J’ai pris de la médication et ça n’est jamais revenu. Mais je suis assez content ! Je peux regarder une femme dans les yeux sans tout le temps essayer de voir sa craque de seins. Câlisse que c’est libérateur ! »

Cela fait une heure qu’il se confie et Mathieu n’a pas fini de nous surprendre. On ose le relancer avec notre fameuse question : a-t-il été agressé, selon lui ? « Je dis non, mais… oui, réfléchit-il à nouveau. Oui, mais… comment je formulerais ça ? Oui, mais je ne lui en veux pas. […] Je sais que ça a eu un impact négatif dans ma vie, mais je n’en veux à personne. Il faut apprendre à gérer. À pardonner. Passer à autre chose. » D’ailleurs, conclut-il, « ce n’est pas ça qui m’a blessé le plus, mais… mais l’absence de liens avec mon père ! »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

Quelques ressources

La Fondation Marie-Vincent aide les enfants et les adolescent·e·s victimes de violence. Elle contribue à prévenir la violence sexuelle

Consultez le site de la Fondation Marie-Vincent

Info-aide violence sexuelle offre écoute, soutien et références pour les victimes d’agression sexuelle, d’exploitation sexuelle et de toute autre forme de violence sexuelle

Tél. : 1 888 933-9007

Consultez le site d’Info-aide violence sexuelle
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