La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Bruce*, 79 ans.

Il est marié avec la même femme depuis plus de 60 ans. Quand il parle d’elle, ses yeux brillent et son visage sourit. Il est heureux, et ça paraît. Son secret ? L’échangisme. Voici pourquoi. Et surtout comment.

Bruce nous attend un foulard rouge autour du cou, dans un Pacini de Drummondville. Attablé un peu à l’écart, le pétillant septuagénaire se livre avec enthousiasme. « Parler de sexualité, j’aime ça ! », commence-t-il d’un sourire radieux. « C’est la première femme de ma vie, et ça va être la dernière ! Je suis tellement heureux. »

Sacré coup de dés, quand on y pense. Il se souvient encore de leur rencontre, tout à fait fortuite. Autour de ses 16 ans, sa mère organise une fête et il doit venir accompagné. Il ne connaît pas la moindre fille, alors il apostrophe la première jolie grande blonde qui passe. Elle acquiesce, et le tour est joué. « Oh qu’elle aimait embrasser », se souvient-il, en se remémorant leur tout premier rapprochement. « J’étais accroché ! » Ils ne se sont jamais quittés.

Il rit encore de son audace. N’empêche. Les premiers temps sont un brin cahoteux. « On ne se parlait pas, on ne savait pas quoi se dire ! » Mais ils apprennent à se connaître, se fréquentent quelque temps, puis se marient. Leur nuit de noces, à 21 ans, se déroule dans un motel de Plattsburgh. « On n’avait jamais fait l’amour encore, mais je savais qu’elle aimait le sexe. On se masturbait ensemble ! », confie-t-il tout naturellement. Et puis ? « Ça a bien été ! »

Puis sont arrivés les enfants, et Bruce, qui n’avait jamais connu d’autres femmes, « a le goût ». « Oui, je fais l’amour avec d’autres femmes, des baises, entendons-nous ! », dit-il, comme une évidence. Il ne se souvient plus combien (« deux ou trois, six ou sept, je ne sais pas trop »), mais il se revoit rentrer et se confier. « Dans la discussion, j’essaye de la convaincre de baiser avec un autre homme. [...] Tu peux ! [...] Ce n’est rien, ça ne changera pas nos vies, on va continuer. Moi, j’ai toujours pensé que dans l’amour comme dans le sexe, il faut qu’on soit égaux... »

Si je me permets, il faut qu’elle se permette. Mais elle n’osait pas… Alors il a fallu que je la convainque !

Bruce

Précision : oui, il s’est « permis », comme il dit, mais chaque fois, ç’a été « ordinaire ».

Toujours est-il que le temps fait son chemin et madame finit, un soir, par sortir avec un patron. « Elle était folle, tout excitée, ça s’est passé au Reine-Élizabeth, se remémore-t-il. Elle m’a tout raconté ensuite ! »

Et ? « Et j’étais tellement content ! Évidemment, c’était bien plus excitant quand on a baisé ensuite ensemble ! On voulait plus. On voulait se retrouver. Comme si on avait manqué de quoi ! Et ça a toujours été comme ça ! »

Elle recommence avec un autre (« elle aimait ça changer ! »), et Bruce rayonne de plus belle. « À cette époque [il a 25 ans], moi, je gardais les enfants, dit-il. Ce n’était pas du tout une vengeance, mais une libération ! »

Et une excitation. « J’étais content pour elle et excité pour elle, poursuit-il. Et quand elle revenait, je voulais qu’elle me raconte tout ! Je trouvais ça très excitant ! »

L’excitation fait son temps et quelques années plus tard, Bruce sent malgré tout qu’ils s’éloignent. « On faisait nos choses de notre côté, on était moins ensemble, se désole-t-il. Alors il fallait que je trouve une solution... »

Par hasard, alors qu’ils sont en vacances, notre jeune couple (ils n’ont pas 30 ans) tombe sur une petite annonce. Pas banale, du genre : « soirée pour couples qui aimeraient rencontrer couples ». « Ce serait le fun si on répondait à ça ! », réagit madame. Une réaction qui change leur vie. Ou qui sauve leur couple. « Sinon, je ne sais pas où on serait, avance Bruce. On ne se parlait presque plus. L’échangisme a sauvé notre couple. C’est vraiment ça ! »

La « solution »

Ils répondent à ladite annonce, et un samedi soir plus tard, dans le bar d’un hôtel, une trentaine de couples comme eux sont réunis pour s’échanger des slows. « C’était excitant, ce n’est pas croyable ! » La toute première fois, ils repartent avec trois couples. Bruce finit avec une fille, sa femme avec un homme, chacun dans une pièce séparée. « Et quand je l’ai vue sortir de la chambre, se souvient-il, elle était belle ! Tellement belle ! »

Ces soirées vont devenir leur routine du samedi soir pendant quelques années. « Ç’a été nos plus beaux moments. » Avec toute l’excitation que cela implique avant, pendant, après. Quelques détails ont changé, toutefois, au fil du temps : « Un couple seulement, et dans la même pièce. C’est ça qu’on préférait. »

Parlant d’excitation après : « Durant la semaine, confie Bruce, quand on faisait l’amour, on était excités ! C’est toute cette atmosphère qu’on aimait, ça nous a vraiment rapprochés, beaucoup, beaucoup, beaucoup... »

Non, il n’a jamais eu peur que des sentiments viennent se mêler à leurs aventures. Du tout. « Jamais, affirme-t-il. On aimait le sexe ! On aimait ça avec des couples gentils, avec qui on avait des affinités. »

L’amour, c’est autre chose ! L’amour, c’est vouloir le bien d’une personne !

Bruce

D’ailleurs, il le répète à plusieurs reprises : « Si elle est heureuse, je suis heureux. »

Avec le temps, madame a découvert qu’elle aimait embrasser les femmes et Bruce, caresser les hommes. « Je me suis découvert un petit côté bisexuel, mais vous savez, la sexualité, ça n’est pas coupé au carré, c’est fluide, pas exclusif. »

Les années passent et notre Bruce prend sa retraite, vers 55 ans. À cette époque, ils troquent les bars échangistes pour les camps nudistes, en Europe l’hiver. Leurs activités sexuelles ralentissent tranquillement, mais leur complicité ne flanche pas. « Quelques fois, on baisait nus sur la plage. On aimait ça qu’on nous voie. »

Ils migrent ensuite vers la Floride, toujours dans des camps nudistes (dits « optionnels », aux États-Unis). Il ne s’y passe pas grand-chose, sexuellement parlant. Mais ils sont bien. « Il fait chaud, on aime être nus et bien ! Et on a des points en commun [avec les autres] : tout le monde aime être tout nu ! »

Enfin, et depuis 10 ans, Bruce et sa femme sont désormais en résidence. Leur sexualité a pris un nouveau virage. « La pénétration est devenue difficile pour moi, à cause de mon cœur... » Alors ?

Sans crier gare, Bruce sort ici d’un petit sac brun un joli jouet mauve, qu’il pose sur la table : « Je lui ai acheté ça ! Et c’est génial ! Ça va à l’intérieur, ça frotte partout, je vous le conseille ! »

Notre homme n’a pas fini de nous surprendre. C’est qu’il s’est aussi gâté et nous sort de son sac surprise deux autres jouets noirs cette fois. « Pour la prostate, c’est une merveille ! », rayonne-t-il.

« Vouloir la liberté sexuelle de l’autre, c’est ça, l’amour », croit-il. Puis, pendant qu’on s’éclipse un instant au petit coin, il griffonne une énième réflexion sur un petit bout de papier qu’il nous tend : « L’amour éternel, c’est possible ! » On dirait bien...

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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