La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Claude*, 80 ans.

Elle aimait ça. Beaucoup. Souvent. Sauf qu’il est devenu impuissant. Récit d’un arrangement.

Il parle au passé parce que sa blonde, appelons-la Marie*, a aujourd’hui la maladie d’Alzheimer. Sans doute aime-t-elle toujours ça, mais l’histoire ne le dit pas. Parce qu’elle ne reconnaît plus Claude*, en fait. Mais c’est une autre histoire.

Claude, lui, avec sa canne, ses grands yeux bleus et ses 80 ans bien sonnés, se souvient de tout. Et il a envie de se raconter, pile une semaine après le témoignage d’une certaine Laurence*, souvenez-vous, qui disait au contraire ne pas apprécier du tout.

Notre homme nous a donné rendez-vous dans sa chic résidence pour personnes âgées de la couronne nord, dans une salle soigneusement réservée pour se confier. Il faut dire que quelques jours avant notre entretien, à la table d’à côté, ça jasait de cette rubrique entre résidants. Comme quoi la sexualité ne s’éteint pas forcément avec l’âge. Mais ça aussi, c’est une autre histoire.

Celle de Claude, donc, est toute « particulière », commence-t-il, entre deux bouchées de pain grillé. « Les gens diront qu’elle est osée : on avait l’esprit ouvert, tous les deux. »

Mais ça n’a pas toujours été le cas. À preuve, sa toute première relation sexuelle, c’est le jour de ses noces que ça s’est passé. « On était niaiseux ! » Et puis ? Et puis le mariage a duré 10 ans. Et c’est après qu’il s’est « déniaisé », comme il dit. Ou qu’il a rencontré une « blonde » qui l’a « déniaisé », plutôt. Mais non, il ne s’agit pas de Marie. Pas encore.

« C’était une femme mariée, et son mari savait. C’est elle qui m’a appris à aller dans un camp de nudistes [...]. Elle m’a fait découvrir de nouvelles façons de faire l’amour, sans se cacher. [...] C’étaient les années 1970, il y avait un mouvement d’ouverture d’esprit ! »

C’est ainsi qu’à 35 ans, Claude comprend :

Le sexe n’est pas un secret, mais une façon d’aller chercher du plaisir.

Claude

Toute une « révolution », souligne-t-il : « De niaiseux le soir de ses noces à : heille, gêne-toi pas ! »

Mais ce n’est pas tout. Cette histoire dure un temps (trois ans), puis Claude rencontre une autre femme (toujours pas Marie), avec qui il passe 10 autres années. « Je l’aimais, je l’adorais, elle avait toutes les qualités, dit-il. Vous savez : admirer et désirer, c’est très important pour un homme... »

Toujours est-il qu’une nuit, elle a « oublié » de rentrer. On saisit la métaphore. Claude confirme : « Moi, je me suis dit : c’est un coup de foudre, ça ne va pas durer. Alors je lui ai dit : “Sors avec lui deux fois par semaine.” »

Pourquoi ? « Quand on parle d’ouverture d’esprit, répond-il tout simplement. Et puis je ne voulais pas la perdre ! »

Sauf que ça n’a pas suffi, et madame a fini par partir (avec l’autre).

Fin de l’histoire ? Le début, en fait. Parce que c’est ensuite, et armé de tout ce vécu mi-quarantaine, donc, que Claude, alors professeur à l’université, rencontre enfin sa Marie. Leur histoire dure 20 ans, et durerait sans doute encore, ne serait-ce de sa maladie.

Quand ils se rencontrent, elle est très claire, et disons-le, directe : « Moi, ce que j’aime, c’est la pénétration ! se souvient-il. Et elle aime le sexe. Ça paraît un petit peu. Il n’est pas question, une fin de semaine, de ne rien faire ! »

Tout va pour le mieux pendant cinq à dix ans, jusqu’à ce que le couple soit frappé par rien de moins qu’une « tragédie » : « Je n’ai plus d’érections, plus d’éjaculations », et ce, en raison de son diabète qui rend inefficaces tous les médicaments du monde essayés. « Je me sens blessé, puni, diminué. [...] Gêné, gêné, gêné... »

« Plus rien, plus pantoute, insiste-t-il. Mais pour elle, la pénétration, c’est très important. » Alors ? Alors elle lui fait une « offre », poursuit-il, et sans transition, quelque chose qui ressemble à ceci : « Tu me permets de rencontrer d’autres hommes, mais toi, tu seras toujours là, à côté de moi. »

Réaction ? « Ben oui ! J’étais ouvert d’esprit ! »

Pourquoi je la punirais ? Qui suis-je pour dire : je n’ai plus d’érections, tu vas te priver pour le restant de ta vie ?

Claude

Ils vivent leur première expérience dans un « bar libertin », se souvient Claude, quelque part angle Rosemont et Christophe-Colomb. Il se revoit faire signe à un « monsieur », et voir le tout « très vite » se passer. Non, il n’est pas jaloux. Pas le moins du monde. « On a convenu que je suis ouvert d’esprit, répète-t-il. Je l’aime, ma blonde, je ne vais pas l’empêcher de vivre parce que moi, j’ai un problème d’érection ! [...] Oui, j’ai encore mes deux mains et ma bouche, mais ce qu’elle veut, c’est une vraie pénétration ! »

Claude prend les coordonnées du type en question et le réinvite à souper. « Il avait de la classe. Et moi, si ma blonde est bien, je suis bien. [...] Est-ce que je suis devenu un peu voyeur ? Peut-être. Mais je trouvais ça beau. Un couple qui fait l’amour, j’aime ça. »

Et sa Marie aussi. Et se raconter, par-dessus le marché. L’ensemble rouge qu’elle portait, la croisière libertine qu’ils ont faite, puis ce nouveau couple qu’il a invité, et la robe de nuit bleue qu’elle a enfilée, il se souvient de tout. Dans les moindres détails. « Et ç’a été nos deux grandes aventures », déclare-t-il, au bout d’une bonne heure de confidences.

C’est qu’il y a plus de 15 ans, la maladie l’a rattrapée. Et sa Marie a été placée. « J’ai su que là-bas, elle a fréquenté un autre homme. » Elle le lui a dit, sans la moindre gêne. « Mais pourquoi elle en aurait ? »

Aujourd’hui, et depuis plusieurs années, Claude est seul. Et oui, ça lui pèse. « J’aimerais ça, une blonde. Le plaisir de se coller, la tendresse. Il y a des centaines de personnes ici, j’en ai embrassé deux ou trois, mais pas plus. [...] C’est bizarre, le peu de désir que toutes ces femmes-là ont ! »

Quant à lui, une chose est sûre, croit-il : « Quand tu aimes une femme, aime-la comme il faut. (Et essaye de ne pas perdre ton érection !) »

* Prénoms fictifs, pour protéger leur anonymat

Écrivez-nous pour nous raconter votre histoire