Roxanne* vient de découvrir le polyamour. Elle n’en démord plus : la personne parfaite n’existe pas. Celle qui « coche toutes les cases », encore moins. Sauf que l’humain a différents besoins. Et le polyamour est un sacré beau moyen d’y répondre. Entretien.

Ah oui, et Roxanne est une femme trans. Mais ça n’a pas forcément de lien. Et elle ne déteste pas la soumission non plus.

Rencontrée dans un chouette café de la rue Wellington, la jeune trans, fin vingtaine, a l’air d’une femme tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Blonde, yeux bleus, gros sourcils, elle ne porte pas le moindre maquillage (ou bien peu). Avec son haut rayé et son jeans marine, elle passerait totalement inaperçue, sans ses cheveux platine fraîchement coiffés. Et encore.

Elle commence son récit avec ce « sentiment » intime, enfant, et plus précisément ado, d’être une femme « en dedans ». « À 12 ans, j’ai commencé à faire un rêve érotique, le même pendant trois ans, et je me voyais moi, en femme, avec une autre femme. En boucle ! » Et attachée, par-dessus le marché.

Elle n’en parle à l’époque à personne, ni à ses amis et encore moins à ses parents. Il faut dire qu’elle n’est pas bien dans sa peau, plutôt malheureuse, et ne voit pas comment elle pourrait « être heureuse dans la vie », résume-t-elle (et notez l’emploi du féminin pendant tout l’entretien, puisque Roxanne l’a toujours été, quelque part).

À 17 ans, elle se fait tout de même une première blonde (oui, elle a toujours été attirée par les femmes), une histoire qui dure sept ans. « Et on n’a jamais fait l’amour… » Pas que Roxanne (alors un garçon, on l’aura compris) ne voulait pas. Mais pour toutes sortes de raisons (une maladie chez mademoiselle, puis sa convalescence, des douleurs, etc.), ça ne s’est jamais fait. « On va prendre notre temps, disait Roxanne, on parlait beaucoup de consentement, c’était important. »

N’empêche. Roxanne, qui a toujours été très « sexuelle », se met à explorer seule côté jouets, en s’achetant cordes, menottes et autres accessoires BDSM, qui l’ont toujours « attirée », comprend-on. Ses yeux brillent en se racontant.

Si vous voulez tout savoir, oui, elle se masturbe, mais ne se touche pas. Elle ne s’est « jamais » touchée, en fait. Du moins pas directement, optant toujours pour des jouets. Pourquoi ? Parce que « ça ne me fait pas sentir bien. […] Et je n’ai jamais aimé m’en servir nécessairement. » À preuve : « Une pipe, j’ai toujours dit non. » Fin de la précision.

Au bout de sept ans de relation platonique, donc, Roxanne finit par laisser cette copine pour une deuxième, rencontrée sur Tinder. Cette fois, c’est « tout l’inverse ». Elle est colleuse, sensuelle, et les deux couchent enfin ensemble, alors que Roxanne a 24 ans.

C’est super bon, parfait ! Elle ne me croyait pas quand je lui ai dit que c’était ma première fois ! […] C’est que j’ai lu beaucoup sur les femmes, ce qui fait du bien, comment fonctionne le corps, ce qui est le fun !

Roxanne, fin vingtaine

L’histoire dure deux ans. C’est le bonheur : Roxanne lui montre ses jouets, sa copine veut essayer – « c’est merveilleux, je n’en revenais pas ! » C’est même elle, cette deuxième copine, qui évoque pour la toute première fois la question de sa « transition ». « Mais moi, je n’en avais jamais parlé ! My God, je pensais que c’était profond en dedans de moi ! »

Comment elle a su ? Senti ? Vu ? « Parce que je suis une personnalité plus soumise, c’est facile d’avoir des discussions sur nos émotions, c’est comme si j’étais une amie de fille. […] Et j’ai zéro intérêt pour les gars ! », avance Roxanne. Et elle aime être pénétrée, aussi. « Ça me fait sentir comme une femme… »

Certes, sa copine est perspicace, mais elle a ses limites. « Si tu décides de faire ta transition, il va falloir qu’on se sépare, parce que moi, je n’aime pas les femmes », lui dit-elle. Pour Roxanne, c’est un déchirement.

Elle voit par ailleurs un psy (depuis de nombreuses années, et pour toutes sortes de sujets connexes, anxiété, estime de soi, etc.) et se retrouve dans un cul-de-sac. « Je ne serai jamais heureuse si je ne le fais pas. »

La séparation est dure (« on s’aimait ! »), mais Roxanne ne peut plus faire autrement. Elle doit s’écouter. Elle se prépare à un « gros changement ». « Et je veux le vivre pleinement. »

C’était il y a deux ans. Roxanne s’ouvre enfin à ses parents, avant d’entreprendre ses premières démarches en matière de traitements hormonaux et autres épilations au laser. « Et il y a tout de suite des résultats. »

Et puis il y a quelques mois, après une troisième aventure avec une collègue (aujourd’hui une de ses meilleures amies), Roxanne s’inscrit à nouveau sur une application, jouant pour la toute première fois la carte de la transparence totale : BDSM, trans, opération à venir, tout y est. « Et à ma première rencontre, j’ai une connexion ! » Mieux : elle a une révélation. On y arrive : c’est que la jeune femme en question est polyamoureuse. « Elle se cherche une deuxième personne pour combler certains besoins, nous résume Roxanne, des besoins sexuels, émotionnels. » Et c’est un « match », comme on dit. « On a une chimie ! » Elle rayonne. Notre Roxanne, plus soumise, a trouvé sa dominante.

Mais attention ! Il y a des règles : interdit de dormir ensemble ou de se dire « je t’aime ». D’ailleurs, non, elle n’a pas ici de sentiment amoureux. Du tout, en fait. « Moi, je me cherche une partenaire primaire, qui n’aime pas nécessairement le BDSM, explique-t-elle, pour qu’on bâtisse quelque chose ensemble. Je veux ma personne à moi, et je le dis tout le temps. »

Et elle y croit. Il faut dire que cette énième aventure lui en apprend beaucoup sur le polyamour en général, et sa sexualité en particulier. « Pourquoi autant de couples se séparent ? Parce que les gens cherchent la personne parfaite, mais ça n’existe pas, répète-t-elle. Moi, j’aime cette personne qui a un côté sexuel flyé, mais dans ma vie, je cherche quelqu’un de plus calme, peut-être qui me ressemble plus. Et là, j’ai découvert : heille, j’ai le droit d’avoir deux personnes ! Le plus important, c’est d’être transparent ! »

L’essentiel, selon elle ? « S’écouter. On a juste une vie, conclut-elle. Depuis deux ans, je suis heureuse. Et je ne pensais jamais l’être comme ça… »

*Prénom fictif, pour protéger son anonymat