La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Mélinia*, mi-cinquantaine.

Attention, sujet tabou : la maladie et la sexualité. Quand l’un tombe malade, faut-il offrir une « ouverture » à l’autre ? C’est l’avis de Mélinia, en tout cas. Aussi douloureux et contre-intuitif soit ce choix. Voici pourquoi.

La quinquagénaire nous a fixé un rendez-vous virtuel (distance et condition obligent), plus tôt cet automne, pour nous parler de son cas : de son amoureux, son « âme sœur », comme elle dit, et aussi de sa maladie. C’est que Mélinia a la sclérose en plaques. Et oui, c’est handicapant. Physiquement, on le sait, mais aussi sexuellement. Mais personne ne le dit.

« Qu’on le veuille ou non, ça touche le corps, l’esprit, la vie de couple en général, mais on n’en entend pas parler ! [...] Tout le corps peut être engourdi ! »

Alors, parlons-en.

Tout avait pourtant plutôt bien commencé pour Mélinia, qui a « toujours aimé le sexe », comme elle confie d’emblée, couchée dans un canapé, de sa voix douce et posée. À ne pas confondre avec « faire l’amour », deux choses « complètement différentes », prend-elle soin de préciser. Alors après une première expérience « pas terrible » à 16 ans (avec un ami, pour « passer à autre chose »), Mélinia ose plusieurs « expériences », se souvient-elle. « J’ai connu plusieurs hommes, vécu des one-night stands, des expériences agréables. Plus ou moins tendres. Ça m’a permis de savoir ce que j’avais le goût de vivre. »

Il faut dire que c’est le conseil que ses parents lui ont donné : « Pour bien connaître ce que tu veux vivre, il faut que tu découvres les hommes. »

Message compris. À travers ses explorations, Mélinia en a aussi aimé quelques-uns, notamment le père de ses enfants, une histoire qui a duré cinq ans.

« Avec lui, le sexe était correct, oui, mais on n’a pas exploré beaucoup. C’est certain qu’en tombant enceinte rapidement, on met souvent cet aspect de côté, malheureusement. Et je dis bien : malheureusement... »

Mélinia passe ensuite cinq ans avec un autre homme, avec qui la sexualité prend cette fois davantage de place. « Oui, on a exploré plus. Mais il est certain que quand on explore, il faut que l’autre personne soit ouverte. »

Moi, j’ai toujours été très tactile, j’ai besoin de faire des jeux, explorer des outils, il faut être très à l’aise avec sa sexualité pour faire ça.

Mélinia

Mais monsieur, devine-t-on, l’était « moins ».

C’est finalement avec son amoureux actuel, son « âme sœur » comme elle le répète, et depuis plus de 20 ans maintenant (« on est encore plus en amour que jamais ! »), rencontré au tournant de la trentaine, que Mélinia vit une sexualité franchement épanouie. « Au début, c’était la débandade, sourit-elle, pendant les premières années, on a fait l’amour partout, on a exploré, il était ouvert à tout. Il était plus qu’ouvert, il voulait m’en montrer ! »

Elle ne tarit pas d’éloges : « C’est un amoureux suave, un amoureux érotique ! », dit-elle, en se remémorant une fois dans la mer, une autre dans une cage d’escalier, des jeux, photos et autres expérimentations assumées. « Avec lui, je n’ai jamais eu peur d’être jugée. Et ça, ça ne permet pas juste d’aller dans le fantasme, mais des fois, d’aller au-delà de soi-même ! »

Elle prend une pause, réfléchit (se souvient ?), puis ajoute : « Les premières années, ç’a été très, très fort. »

La chute

Et puis voilà que tranquillement, de drôles de symptômes se sont mis à apparaître (généralement, 10 ans avant un diagnostic, glisse-t-elle). « J’étais plus fatiguée. J’avais moins de tolérance. Et puis j’étais hypersensible... » Sans parler des douleurs ici et là. Partout.

« Aujourd’hui, j’utilise du cannabis pour gérer ça, sinon je deviens engourdie. Dans ma tête, mon corps, mon âme... »

Petit à petit, son corps ne suivait plus. Finies les heures à masser son amoureux. « Je n’étais plus capable... » En prime, et vers 40 ans, sa libido a chuté de façon draconienne. Évidemment, cela a « joué » sur son couple. « Les choses ne sont plus pareilles, alors on se questionne : est-ce que c’est moi, toi ? Ça a joué sur notre moral. On s’aime toujours autant, mais on ne comprend pas ni l’un ni l’autre ce qui se passe. »

Elle ne se doute de rien, jusqu’à ce que, vers 45 ans, le diagnostic tombe. « Il a fallu que je tombe la face à terre pour consulter... »

On vous épargne la dépression qui a suivi (« On ne sait plus par où prendre la vie. Tu tombes, plus rien ne marche, dans tous les sens du mot... »). Évidemment, leur sexualité en a pris tout un coup.

Je ne voulais plus rien savoir. Plus rien ne répondait…

Mélinia

Exit la fougue, ils se sont mis à faire l’amour une fois par mois, et encore là, « de façon très basique ». « J’avais mal partout... »

D’ailleurs, elle ne sait pas trop pourquoi elle conjugue ici au passé. « Des fois, quand je prends du cannabis, c’est moins pire. Des fois, on oublie ça... Même embrasser est difficile ! »

Ils continuent malgré tout d’être aussi amoureux, tactiles, colleux. Des nuits durant. « Et Dieu sait si j’ai des tremblements, mais il reste collé quand même... » Si la maladie lui a appris quelque chose, c’est cela : l’importance de profiter de ce qu’elle peut, ici, maintenant. « Profiter de ceux que j’aime encore plus. »

N’empêche que le deuil n’est pas facile à vivre, et ça paraît. « Parce qu’on a besoin de se sentir, sentir qu’on existe ! Dans faire l’amour, il y a toute cette sensation de sentir qu’on est l’un à l’autre, qu’on est un, même. Mon Dieu que je m’ennuie de mon amour. Je m’ennuie de moi ! », poursuit Mélinia, les yeux tout à coup pleins de larmes. « Le sexe a toujours été quelque chose qui nous a attirés l’un vers l’autre, mettre ça de côté, c’est énorme pour la personne qu’il est. Et la personne que je suis ! »

C’est pourquoi, et depuis quelque temps déjà, Mélinia propose à son amoureux d’aller voir ailleurs. « “J’aimerais que tu aies une maîtresse. Pour continuer à t’explorer. Plus que ça : pour cette partie où on est léger, heureux, pour l’adrénaline que ça amène.” Moi, je pourrais lui donner la possibilité de continuer à vivre sa sexualité. [...] Ça lui ferait du bien de prendre soin de lui, il prend tout le temps soin de moi. Prendre soin de l’homme, pas juste de mon amour, mais de l’homme qu’il est ! » Mélinia serait même prête à être là. Voir ça. Mais monsieur ne veut pas. Il ne veut rien savoir, en fait. « Il ne veut que moi... »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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