La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Augusta*, 74 ans.

Elle n’a jamais eu de relation stable. Ne s’est jamais engagée. Et a longtemps consommé. Portrait d’une « dépendante affective », dépendante tout court, qui s’assume.

Augusta nous accueille en leggings, dans l’entrée de son immeuble d’appartements de la couronne nord. Elle ne fait pas son âge et elle le sait. Elle ne l’a jamais fait, en fait. Derrière ses grands yeux clairs et son regard d’ange, rien ne laisse non plus deviner la vie écorchée qu’elle a menée.

Sa bonne humeur contagieuse n’y est sans doute pas étrangère.

« J’ai eu ma première relation à 15 ans, j’étais vraiment niaiseuse, commence-t-elle. C’était avec un gars de mon village. Je pensais qu’il m’aimait : moi, c’était l’amour. Lui, le sexe. »

L’histoire de sa vie, sait-elle. « J’ai toujours cherché l’amour. Je le sais. Je suis carencée. La toxicomanie, c’est aussi de dépendance affective, tu sais... », dit celle qui est pourtant abstinente « de drogue et de boisson » depuis plus de 30 ans maintenant. « Mais alcoolique un jour, alcoolique toujours, sait-elle aussi, je ne suis jamais loin de mon premier verre... »

Ça vous donne une idée du ton, d’un propos qui va se confirmer tout le long, raconté malgré tout avec le sourire, faut-il le préciser.

Augusta fréquente ensuite un deuxième homme, beaucoup plus vieux qu’elle cette fois. Il devait avoir 40 ans. « Je pensais encore qu’il m’aimait, jusqu’à tant qu’il m’annonce qu’il se mariait... pas avec moi. »

Puis elle sort avec deux hommes en même temps, un troisième, et tombe enceinte. On perd déjà le fil de ses fréquentations, mais Augusta nous arrête : « Mets-toi pas à compter ! », dit-elle en riant.

Écoute, mon fils, je ne connais pas le père…

Augusta

Sa grossesse est d’ailleurs une « catastrophe ». « Il fallait que je me cache, se souvient-elle, j’ai essayé d’avorter avec de la moutarde forte, des affaires de grands-mères, une chance que je n’ai jamais pris de broche ! »

Elle finit par prendre un train pour se rendre à Montréal (« je n’étais jamais venue de ma vie ! ») et retrouve même un ex (ne nous demandez pas lequel) chez qui elle reste jusqu’à l’accouchement. S’ils couchent ensemble ? « Ben oui ! »

Et puis ? Une fois l’enfant né, Augusta repart de nouveau vivre dans sa région natale, avec sa sœur. Elle y reste quelques années. « Ça n’allait pas bien... » Une vieille dame garde l’enfant, et elle commence à travailler. « Et c’est là que la toxicomanie a rembarqué », laisse-t-elle tomber. Rembarqué ? « J’ai commencé à boire à 15 ans, explique-t-elle. J’ai été plus tranquille pendant ma grossesse. Je buvais juste du vin... »

Alors elle se met à sortir, comprend-on, beaucoup, tard et trop. L’alcool lui fait « perdre la tête ». « Je n’étais plus responsable. » « Je me souviens, j’ai attrapé des morpions. Je couchais avec n’importe qui. Je ne me protégeais pas. Mais j’ai été vraiment chanceuse, Silvia. »

Elle finit par se marier, avec un type peu sensuel, une histoire qui dure tout de même cinq ans. Si elle le trompe ? « En masse, tout le temps. »

N’empêche que c’est grâce à cet homme qu’elle retourne à l’époque aux études, fin vingtaine. Il l’encourage et elle fait un cours d’infirmière, lequel lui permettra de mener finalement une belle carrière.

Quand elle se sépare, au tournant de la trentaine, Augusta rencontre celui qu’elle appelle son « sugar daddy ». « Il avait la soixantaine certain, il me mettait 100 $ sur la table et je le suçais. [...] Je trouvais ça un peu dégueulasse. Il était vieux. » Mais elle reste avec lui « quelques années », pour une seule et unique raison : « l’argent ».

Évidemment, lui aussi, elle le trompe. « Ben oui. Mais quand il l’a su, ça a fini drette là. »

Les années se suivent et se ressemblent, Augusta continue de sortir, consomme, se fait des chums, mais ça ne dure jamais plus de deux ou trois ans. « Je le trompe, donc ça casse. Ben ouais. C’est moi qui ai trompé beaucoup plus que les hommes m’ont trompée. » Pourquoi, au fait ? « Mon caractère. Je ne sais pas. Peut-être la dépendance affective ? »

Je cherche l’amour. Je suis en amour avec l’amour…

Augusta

« Je n’ai jamais eu une relation stable. Je ne me suis jamais engagée. Je ne sais pas pourquoi. »

Toujours est-il qu’elle boit tellement qu’elle en fait des « black-out ». Elle se réveille certains matins et ne se souvient de rien. Vit même quelques expériences avec des femmes sans trop savoir comment. C’est là qu’elle se dit « wo », et entre, à la fin de la trentaine, chez les Alcooliques Anonymes.

Ses souvenirs des années (abstinentes) qui suivent sont flous. Augusta saute 20 ans, pour nous raconter un mémorable voyage en Afrique. Elle a 60 ans, et elle rencontre un jeune Africain de 30 ans de moins. Coup de théâtre : « on était en amour ! », dit-elle en souriant, photo à l’appui (où encore une fois, elle ne fait franchement pas son âge). Ils se voient à coup d’une fois ou deux par année (« on faisait l’amour au téléphone »), une idylle qui s’étire sur plus de 10 ans. « J’aurais voulu, vraiment, vivre une relation avec lui, mais j’étais beaucoup trop vieille, et lui voulait des enfants. »

Depuis, elle préfère nettement les hommes plus jeunes. « J’aime leur corps... » Elle en a rencontré un autre, de 10 ans de moins, et pour une des premières fois de sa vie, c’est Augusta qui s’est fait laisser. Ses yeux se remplissent tout à coup de larmes. « J’ai le motton, dit-elle. Je l’aimais beaucoup. »

Ces jours-ci, elle fréquente un homme marié, rencontré par hasard pendant la pandémie. Il a 20 ans de moins qu’elle, mais elle sait que leur histoire est sans avenir. Il ne laissera pas sa femme.

Alors où elle en est, désormais ? « Là, j’en suis que je suis toute seule. Et c’est ça... », répond-elle.

On se demande quelle peut bien être la morale de cette histoire. « J’ai une grosse morale. Ça ne paraît pas, hein ? Mais je vais à la messe tous les dimanches ! », ajoute Augusta, en souriant toujours. Avant d’ajouter : « La morale, c’est que les femmes plus âgées ont encore besoin de sexualité. Elles aiment encore la sexualité. » Ça, on l’avait deviné.

* Nom fictif, pour protéger son anonymat

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