La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : René*, 60 ans

René est bisexuel. Quoique de plus en plus aux hommes. En prime, dépendant au sexe. Récit du « voyage sexuel » d’un homme par ailleurs pas tout à fait sorti du placard.

Compliqué ? Pas tant. C’est que le chic et réservé sexagénaire, qui nous a donné rendez-vous un matin dans le Village, ne s’est encore jamais raconté. « Tu ne peux pas conter ça... », laisse-t-il tomber.

« J’ai été aux femmes longtemps », commence-t-il, attablé devant ses deux œufs bacon. Et non, il ne s’est jamais questionné sur son orientation. À preuve : mi-vingtaine, quand des amis l’invitent dans un bar gai, ça ne le titille pas le moins du monde. En fait, il se dit tout bonnement : « Bon, je ne suis pas homophobe. Ce sont des gens comme moi. C’est quand même un milieu particulier. Mais ce sont des gens comme tout le monde. » Ça vous donne une idée d’où il vient. Et surtout de tout son chemin.

Et puis ? « C’est resté comme ça, je n’étais pas là. »

Les années passent, René a quelques blondes, mais ça ne dure jamais trop longtemps. Un an, maximum deux. « Je n’ai pas eu un beau milieu familial, justifie-t-il. Il faut que tu aies des modèles. Chez moi, ça se chicanait tout le temps. En couple, je suis beau et fin, mais à un moment donné, ça se complique. » Bref, il n’est pas très bon en relation, comprend-on.

Puis, quelque part pendant sa trentaine, il déménage en région. René, qui n’a jamais été trop porté vers la porno, découvre les joies de l’internet. « Et là, ce n’est pas la même porno. Là, tu vois des pénis, tu vois l’acte au complet. » De son côté, il voit pour la première fois une fellation. « Et ça a l’air le fun, dit-il en souriant. Et c’est comme ça que c’est rentré. »

À un moment donné, c’est devenu un fantasme. […] Et j’ai passé quatre ans à entretenir ce fantasme.

René

Quatre ans ? C’est qu’il est loin, rappelle-t-il, isolé, sans grand réseau social. L’internet est devenu son ami. Alors oui, il est devenu accro. Il ne s’en cache pas. « Oui, oui, oui. Combien de marches j’aurais pu faire que je n’ai pas faites ? Combien d’activités je n’ai pas faites, parce que je collais chez nous ? »

Si ça le confronte ? Pas trop. Mais un petit peu quand même. « J’étais seul. Je ne faisais de mal à personne. Mais je savais que j’aurais pu faire autre chose de ma vie... »

Quatre ans après, donc, et au tournant de la quarantaine, un nouveau boulot et un déménagement en ville plus tard, « ça commence à [le] démanger un peu plus », poursuit René. Quoi, exactement ? « Ce fantasme que j’entretenais, ma curiosité augmentait, tu te dis que tu vas passer à l’acte. » Et c’est exactement ce qu’il fait.

On vous épargne les détails, mais disons que son premier rendez-vous avec un homme a été plutôt concluant. « Pfouiiiii », résume-t-il en souriant toujours. « Là, quelque chose se passe. Parce que quand tu mets le pied là-dedans, il n’y a pas de marche arrière. Évidemment, tu vas recommencer. Tu découvres quelque chose, t’en veux plus. La machine se met en marche. »

Et quelques semaines plus tard, rebelote. « Avec un autre. [...] La première fois, je réalisais un fantasme. Là, ce n’est pas la même chose. Ça, c’est ta sexualité que tu veux satisfaire. Ton appétit sexuel qui parle. »

Et ce soir-là, il comprend. « J’arrêterai plus. Je le voyais, ça allait devenir un problème. Il y a quand même un tabou, les risques de maladies, c’est risqué. »

Mais je ne serai plus capable d’arrêter. Je le voyais…

René

N’empêche que tout cela le prend au dépourvu, précise-t-il. « Je ne me voyais pas prendre cette direction. C’était inattendu. »

D’ailleurs, à ce stade, il vit une certaine culpabilité. « Mais qu’est-ce que j’ai fait ? [...] Tu es hétéro, retourne à ta vie d’avant ! [...] J’ai essayé de me contrôler, j’avais peur du tabou, que ça se sache, tout ça... » Mais il ne se contrôle pas. Mais pas du tout.

Cette année-là, pendant les Fêtes, il enchaîne une dizaine d’hommes différents. Puis au Nouvel An, il prend une résolution : « J’arrête de sucer. » Mais non, confirme-t-il en riant, il n’a pas tenu longtemps.

Les mois se suivent et les rencontres se multiplient. En 20 ans, René a dû voir passer des centaines d’hommes. Des types qu’il case entre deux rendez-vous professionnels, ici ou là, et forcément, il néglige du coup d’autres « facettes » de sa vie. « J’ai raccourci des 5 à 7, raconte-t-il, ou je suis arrivé en retard [...] c’est fou ! »

Avec qui ? Des hommes presque toujours « anonymes », souvent mariés — « qui passent leur vie comme ça, leur femme ne le saura jamais ! » —, dont lui ne saura pour ainsi dire rien non plus. « Ça fait quatre ans que je te suce, est-ce que je peux savoir ton nom ? », illustre-t-il. Parce que oui, c’est comme ça « dans le milieu ».

« Et puis à un moment donné, tu finis par accepter ce que tu fais. Tu n’as pas le choix de l’accepter. C’est peut-être pour ça qu’il y a des drames. Le taux de suicide est élevé dans cette communauté. Tu peux avoir des gros drames... », ajoute-t-il, énigmatique.

À travers toutes ces aventures, René a tout de même eu quelques blondes (« des fois je m’abstenais, des fois je les trompais »), mais les femmes l’intéressent aujourd’hui de moins en moins. « J’ai été happé de l’autre côté... »

Il n’a pas peur de nous le dire. N’empêche qu’il ne l’a jamais vraiment dit à personne. Pourquoi a-t-il voulu nous rencontrer, d’ailleurs ? « Parce qu’à un moment donné, il faut que ça sorte. »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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