La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Chloé*, 38 ans.

Chloé* aime plaire, elle aime séduire — en gros, elle aime allumer. Pour ce faire, et depuis peu, elle fait des photos et des vidéos. Mais attention : virtuellement seulement. Voici comment. Et voici surtout pourquoi.

« J’ai toujours été attirée par les hommes, toujours aimé plaire, toujours voulu un amoureux. Mon premier amoureux sérieux, c’était à 13 ans, et c’était fantastique, nous dit la trentenaire, rencontrée dernièrement dans un bistro de Vaudreuil. Oui, c’est jeune, mais c’était vraiment voulu et réfléchi. Dès la première relation, j’ai eu un orgasme ! »

Leur histoire dure deux ans. Chloé a ensuite un autre petit copain, quelques semaines à peine (« j’ai besoin de me sentir désirée, mais avec ce gars, je ne le sentais pas du tout »), avant de rencontrer celui qui allait devenir son mari et l’homme de sa vie. Oui, à 15 ans !

« On était en secondaire 3 et ç’a été le coup de foudre. L’amour, le sexe, c’était merveilleux. On était toujours ensemble ! » Et ils le sont encore.

Attablée à l’écart, pour plus d’intimité, la discrète brune aux yeux bleus a l’air d’une mère de famille tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Et elle le sait. Habillée simplement, en robe t-shirt et à peine maquillée, elle pourrait être « la mère d’à côté, la voisine, la soccer mom. Une personne ordinaire qui a ça de caché ! », dit-elle en souriant, les yeux tout à coup pétillants. « Ça », c’est son secret, à elle (une amie, et sa mère, aussi) et, détail non négligeable, son conjoint. La raison de notre entretien.

On a emménagé ensemble à 17 ans. […] Et pas une journée ne passe sans qu’on se dise qu’on s’aime. C’est vraiment comme un conte de fées.

Chloé, 38 ans

Cela fait plus de 20 ans et oui, malgré les enfants, la vie, tout cela, quoi, elle a toujours été comblée, jamais voulu le tromper, bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Enfin, presque.

« Ça a toujours été la passion, l’amour, les orgasmes […]. Mais en ayant des enfants, je me suis oubliée en tant que femme. […] J’étais maman à la maison. […] Et tout passait avant moi. »

Ça lui a pris des années avant de s’en rendre compte. Jusqu’à tout récemment, en fait. À la nouvelle année, lors d’une traditionnelle rétrospective familiale. « Chaque année, explique-t-elle, on écrit ce qu’on a fait, ce qu’on veut faire, ce qu’on voudrait améliorer. Et moi, je me suis retrouvée devant mon carton et je ne savais pas quoi écrire. […] Ça m’a vraiment frappée. »

Bien sûr, « ce n’est pas rien, j’ai un mari, des enfants. […] Mais je n’ai rien accompli en tant que femme, enchaîne-t-elle. Oui, j’ai élevé des enfants, c’est beaucoup, mais ce n’est pas reconnu nécessairement. »

À preuve : son dernier boulot, c’était dans un club vidéo. « Là, j’ai eu le goût de faire quelque chose pour moi. »

Chloé en a discuté avec son mari. Réfléchi. Pensé aux possibilités. Et c’est lui qui, un beau jour, lui est arrivé avec cette idée de se monter, vous l’aurez deviné, une page érotique. Carrément : un site coquin sur les réseaux sociaux. « Voyons ! Ça n’a pas d’allure ! Les gens vont dire quoi ? Je ne suis pas assez sexy ! » Sauf que voilà : l’idée ne venait pas exactement de nulle part. Et après réflexion, elle s’est rendue à l’évidence : « J’aime beaucoup le sexe, j’ai une forte libido, j’aime explorer, parler aux gens, charmer, beaucoup. J’aime beaucoup ça… », insiste-t-elle. Ah oui, et elle veut faire quelque chose de la maison, aussi. Alors pourquoi pas ?

Monsieur s’est occupé du volet sécurité/confidentialité, elle, du contenu. Elle a fait ses photos, enregistré ses vidéos, et ils ont creusé ensemble la stratégie de mise en marché, si vous permettez l’expression (« et c’est tout un monde ! »). Résultat ? « Je me trouvais belle, nue et en lingerie ! »

C’est drôle, c’est comme si j’étais une autre personne. Mon Dieu, c’est moi ? Je suis donc bien belle !

Chloé, 38 ans

Non seulement Chloé se trouve belle, mais elle est surtout « fière ». Fière d’elle, et de ce qu’elle réalise ici. Enfin. « C’est beau, c’est comme de l’art, de l’art érotique, dit-elle en souriant. J’ai découvert que j’avais deux personnalités […]. La vieille Chloé et la nouvelle. Et c’est comme si la nouvelle avait toujours été là, mais étouffée. »

Parlant de réalisation, et après des mois de « travail » (quoiqu’elle préfère parler ici de « passion »), Chloé a aussi un joli nombre d’abonnés. Des abonnés payants, évidemment, même si elle ne fait pas du tout cela pour l’argent, faut-il le préciser. « On est très à l’aise financièrement […]. Je n’ai vraiment pas besoin d’argent. »

Chloé est même tombée amoureuse de l’un d’eux (son tout premier abonné, un type en Australie), avec qui elle a échangé (et échange encore) compulsivement (quoique moins maintenant), pendant plusieurs mois. « C’était vraiment virtuel », précise-t-elle, et non, son mari n’y a pas vu le moindre souci. Au contraire. Fier, comprend-on, de voir sa femme ici s’épanouir, il l’a même encouragée. « Pas de problème, ouvre ton cœur. »

D’ailleurs, cette nouvelle vie a mis du sacré piquant dans leur lit. « Ma vie sexuelle est plus excitante, confirme-t-elle, parce que toute la journée, je suis excitée. Puis quand on est ensemble, ça fait des étincelles ! »

Cela fait près de deux heures qu’elle se confie. Les questions se bousculent dans notre tête : est-ce qu’elle se considère comme une travailleuse du sexe (non, du tout, plutôt comme une « allumeuse », dit-elle en riant, et purement « virtuelle ») ; jusqu’où ira-t-elle (en gros on verra, mais pas plus loin pour l’instant), et ses enfants, dans tout ça ? « Je suis une adulte, c’est légal, et ça me rend heureuse, leur a-t-elle expliqué, parce que oui, tout finit par se savoir et elle le sait. Et ma vie d’adulte, mon intimité, ne les regarde pas vraiment… »

D’ailleurs, Chloé s’assume totalement. « Moi, qu’un gars me regarde, ça me rend heureuse, insiste-t-elle. L’important, dans la vie, c’est de se respecter et faire ce qu’on aime. »

C’est aussi ce qu’elle aimerait qu’on retienne de son récit. « J’aime tellement ça, j’aimerais le dire à tout le monde ! […] J’espère que les gens qui lisent mon histoire vont être inspirés à faire eux aussi ce qu’ils aiment », conclut-elle, avant d’ajouter : « même si c’est moins accepté socialement… »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat.