La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Claude*, 64 ans

Il est marié depuis plus de 40 ans. Amoureux fou de sa conjointe « extraordinaire », avec qui il partage une intimité « intense ». Mais Claude n’est pas que ça. Il est aussi bisexuel, échangiste, et surtout dans le placard.

Le sexagénaire de Québec ne s’est jamais vraiment confié. À part évidemment sa femme, et tous les amis qu’ils se sont faits dans le milieu, personne ne sait. Parce que c’est « tabou », dit-il. Disons même doublement. « C’est comme vivre dans le garde-robe ! compare-t-il. Pas que ça me brime. Mais j’ai l’impression de toujours garder un secret. Je serais un espion russe que je me sentirais à peu près pareil ! »

L’homme d’affaires se raconte cela dit avec aisance, en entrevue virtuelle, distance oblige. « Tous les deux, on a eu une enfance tout ce qu’il y a de plus normale », dit-il en souriant à la caméra. Avec une éducation sexuelle « de base », et surtout d’époque (pensez années 1960).

Sa première relation sexuelle ? « Trois semaines avant de me marier, sourit Claude. Mais ça ne veut pas dire qu’on n’a pas eu de caresses intenses avant ! »

Il n’a d’ailleurs que de bons mots pour sa conjointe, rencontrée autour de ses 17 ans : « Ç’a été un coup de foudre qui dure encore. Oui, oui, oui, on est un couple fusionnel ! On a beaucoup de misère à passer une journée sans être ensemble. » Au lit ? « Intense dès le début, et ça l’est encore. »

Et puis voilà qu’au bout de 20 ans de vie commune et sans jamais le moindre conflit (et après deux beaux enfants tout aussi « extraordinaires », prend-il la peine de préciser), Claude commence à lorgner du côté de l’échangisme. Pourquoi là, à ce moment précis ? « Parce qu’avant, ça n’était pas dans mes priorités ! »

Avec les enfants, la job, on était occupés. On n’avait pas beaucoup de temps pour être extravagants !

Claude

Ni pour penser à autre chose, comme aux hommes (« je n’y ai jamais pensé ! »), confirme-t-il.

« L’échangisme, qu’est-ce que tu en penses ? », a-t-il tout bonnement proposé. Évidemment, madame a eu un léger « choc » au début, mais ne s’est visiblement pas trop mal acclimatée depuis.

D’ailleurs, il faut se remettre dans le contexte : à l’époque, il y a de cela 20 ans, l’affaire n’était pas exactement légale. C’était peu de temps avant la reconnaissance de la chose par la Cour suprême (2005). « Il fallait être curieux pour trouver des endroits ! » Curieux, audacieux et, en prime, persévérants. La preuve : pour être admis dans ces soirées « clandestines », il fallait carrément répondre à un questionnaire au téléphone. Puis oser aller dans des coins éloignés, sortir par des portes arrière, passer chez un voisin, et se rendre enfin au dit lieu. Et craindre, par le fait même, constamment les descentes de police.

Mais cela ne les a aucunement refroidis. En fait, il raconte : « On était plus préoccupés de savoir si on faisait les choses correctement ! »

« La première vision, c’est que c’est un monde de pervers, des gens qui vont nous attaquer, poursuit Claude. Mais c’est de l’ignorance. » Au bout d’une, deux, trois et combien d’autres soirées, « tout ça s’est fait naturellement ».

Bilan ? « Ça fait 23 ans, et on en fait encore [des soirées échangistes] ! »

Malgré tout ça, je valorise beaucoup ma relation avec ma femme. Si on fait quelque chose, on le fait en couple.

Claude

Et puis « à travers tout ça », comme il dit, il y a plus ou moins 20 ans aussi, et plus ou moins par hasard, après une soirée arrosée entre collègues, Claude est entré un soir dans un peep show, rue Sainte-Catherine. « Un gars s’assoit à côté de moi, se souvient-il, je ne hais pas ça. Ça me déstabilise, mais ça n’est pas désagréable. » Il nuance : « C’est agréable, mais sans plus, ça ne révolutionne pas ma vie. » Il n’en parle pas à ce moment-là. « Je ne voyais pas l’intérêt », et l’aventure reste « latente » quelque temps.

Puis une autre fois, « une bulle passe dans [son] cerveau », enchaîne-t-il. Claude ose carrément se rendre dans un sauna pour hommes. Dans le genre interdit, « un vol de banque, ç’aurait été la même chose ». C’est dire s’il était « naïf », dit-il en riant. « J’étais incroyablement mal à l’aise ! » N’empêche : « J’ai consommé et j’ai été consommé, et ç’a vraiment été agréable. »

Voici comment il explique l’affaire à sa femme : « J’ai toujours été prêt à essayer de nouvelles affaires, et ça fait partie des choses que je voulais essayer. Et je n’ai pas détesté ça. » Réaction ? « Très bonne. Ma femme a une ouverture incroyable... »

On devine que leurs rencontres échangistes se sont alors diversifiées. Effectivement. En fait, après un temps d’adaptation (tout cela s’étire tout de même sur deux décennies !), ils se sont alors tournés vers des saunas mixtes (« et ma femme était très populaire, mettons ») et il est même arrivé à différentes reprises que des hommes, a priori hétéros, soient finalement ouverts à plus de fluidité. Claude a sa petite idée sur le sujet. Question d’âge, croit-il.

En vieillissant […], ton identité est ancrée, tu sais qui tu es, tu ne te sens pas menacé par le fait d’explorer d’autres plaisirs.

Claude

Inversement, dit-il, « les hommes plus jeunes ont peur d’être atteints dans leur intégrité sexuelle ».

D’ailleurs, lui, s’est-il remis en question, côté orientation ? « Non, parce que j’ai encore une très forte attirance pour les femmes. » N’empêche qu’il se considère désormais comme bisexuel, voire pansexuel.

Ce qui ne veut pas dire que ce soit plus facile pour autant. Au contraire. « Être gai au Québec, avance-t-il, c’est accepté aujourd’hui. Mais dire : je suis bi, il y a encore plein de tabous ! » Du coup, il n’en parle pas. Et n’en a jamais parlé. « Ce serait comme dire que je suis à moitié gai, c’est le feeling que j’ai. »

D’où son témoignage ici, comprend-on. « Beaucoup de gens se sentent libérés en se racontant », confirme-t-il. Et ce faisant, qui sait, peut-être d’autres se sentiront-ils libérés d’autant. « Si mon histoire peut permettre à des gens dans la même situation de voir qu’ils ne sont pas tout seuls, tant mieux ! »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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