La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.

Élise* est ouverte d’esprit, polyamoureuse en théorie, mais pas énormément en pratique. Parce que c’est comme ça. Entretien.

« Ce n’est pas parce qu’on peut tout faire qu’on doit tout faire », résume la trentenaire sans cellulaire (mais c’est un tout autre sujet !), au bout d’une bonne heure et demie de confidences, dans un récit aussi confus qu’impudique, pas toujours chronologique, quoiqu’étrangement didactique.

La jeune femme nous a donné rendez-vous dans un joli café de Villeray, relativement achalandé en ce petit lundi matin du mois de juin. Et rarement, de mémoire de journaliste, a-t-on rencontré quelqu’un d’aussi décomplexé. D’un naturel par moments désarmant, Élise se confie en toute transparence, sans être aucunement perturbée par la proximité des autres clients : libido, trip à trois, même ses éjaculations féminines, tout y passe. Sans filtre ni chuchotement. « On a une prostate ! », lance-t-elle même en riant.

D’où lui vient cette ouverture ? Aucune idée. « Je n’ai rien à perdre, répond-elle simplement. Je n’ai pas l’impression que je perds quelque chose à ce qu’on en sache sur moi. »

Sa première fois ? « Je crois que j’avais 18 ans, répond-elle en réfléchissant. Enfin, si on entend par première fois : première relation avec pénétration vaginale », nuance-t-elle. Et non, ça n’a pas été « agréable ». Même plutôt douloureux. « Mais ça s’est amélioré avec le temps. »

La relation avec ce premier amoureux rencontré en ligne (« et l’ensemble de mes chums, ç’a été ça : des rencontres par internet ») dure trois ans. Pour se détendre, et passer la douleur, Élise se stimule en même temps, se souvient-elle. « Et j’ai gardé cette habitude. Tout le temps… »

Puis, début vingtaine, après quelques « explorations », des « câlins », mais jamais plus loin (« je n’ai jamais eu de relation complète avec des gens avec qui je n’étais pas officiellement en couple »), elle rencontre un nouvel amoureux, un type avec un handicap physique, en fauteuil roulant, de qui elle tombe profondément amoureuse. « J’ai eu un coup de foudre ! » L’histoire dure deux ans.

Au lit ? « On s’adaptait ! », dit-elle en riant. « On n’aurait pas pu debout, mettons. » Elle ne s’épanche pas sur le sujet. C’est que c’est surtout du regard des autres qu’elle se souvient. « C’était vraiment désagréable. Alors on ne sortait pas souvent… »

Quand l’histoire prend fin, mi-vingtaine, Élise est « dévastée ». « Je braillais tout le temps. J’étais obsédée par l’idée de revenir avec lui. »

Et puis, coup de théâtre. Quelques mois plus tard à peine, Élise rencontre son « partenaire de vie » actuel. C’était il y a 10 ans.

Elle n’a pas encore dit un mot sur son fameux côté polyamoureux, mais on devine qu’elle y arrive enfin. « Mon chum savait que j’avais ça dans mon parcours de vie », glisse-t-elle tout à coup ici. Ah bon ? C’est qu’elle ne nous a pas tout dit.

Permettez une parenthèse : en fait, début vingtaine, dans sa phase exploratoire, Élise a eu une relation avec un type en couple ouvert. Une relation « sexuelle sensuelle », sans pénétration (parce qu’Élise ne va pas « au bout » si elle n’est pas en relation, on l’a dit), pas génitale du tout en fait, mais non moins intime. Le type en question était en couple, donc (sa copine « ben chill » était à l’époque enceinte, ils sont toujours ensemble, trois enfants plus tard), et leur exploration a été plus « idéologique » que pratique, comprend-on. Baisers et câlins inclus. « J’ai lu beaucoup sur la hiérarchie relationnelle, la compersion (le contraire de la jalousie) […] Et dans la structure polyamoureuse, moi, je faisais partie d’un polycule », explique-t-elle. Fin de la parenthèse.

Toujours est-il que son conjoint actuel (son mari, et le père de ses enfants aussi) était donc au courant de ce vécu passé.

Moi, je n’ai pas de problème à être toute ma vie avec la même personne, mais si on tombe en amour avec quelqu’un d’autre, je veux qu’on puisse aménager quelque chose autour de cette réalité-là.

Élise, 37 ans

Exemple ? « Pour moi, avoir une émotion pour quelqu’un d’autre ne signifie pas la fin de la relation. »

Et d’où lui vient cette ouverture ? « Je ne sais pas, dit la jeune femme en haussant les épaules. Je n’aime pas les trucs binaires et tranchés. Ç’a toujours été évident dans ma tête qu’il n’y avait pas que la monogamie en série. »

C’est ainsi qu’un jour, quelques mois avant leur mariage, elle a « prêté » son amoureux à une amie. Elle raconte l’aventure en riant. « Ils voulaient que je reste dans la pièce, dit-elle en souriant. Oui, c’était vraiment un peu étrange. » Mais non, elle n’a pas ressenti de jalousie. « Zéro », insiste-t-elle. « Et je suis contente de voir que je porte en moi la compersion. Je préférais de loin que cette amie aille vers quelque chose de safe, plutôt qu’aller vers n’importe quel autre dude. »

On vous épargne les détails, mais son mari a fini par développer une relation avec la fille en question, pendant quelques mois. Ils ont en outre fait un trip à trois avec Élise. Résultat ? On ne saura pas trop. « Le fun », dit-elle simplement. De son côté, notre interlocutrice a vécu quelque chose avec un ami de longue date. « On était en relation amoureuse, précise-t-elle, mais je pense que je ne l’ai jamais embrassé. Je n’aime pas trop embrasser ! »

Tout cela a pris fin quand, dans les dernières années, Élise est tombée enceinte. Deux fois plutôt qu’une. D’ailleurs, non, elle n’a pas vu sa libido chuter avec ses grossesses. Au contraire. « Pas moi. »

On constate qu’à travers toutes ces histoires, la jeune femme nous a finalement bien peu parlé de son intimité avec son mari. « Ça va bien ! Vraiment, vraiment bien », répond-elle, exemples d’éjaculation féminine à l’appui. « Je sens physiquement de plus en plus de choses, et lui aussi ! »

Certes, avec leurs jeunes enfants, la spontanéité a pris un peu le bord. Et elle n’est plus trop certaine de vouloir revivre de polyamour non plus. « Mon enthousiasme est rapidement tempéré, constate-t-elle. Même si j’ai une ouverture, je ne vais probablement pas retourner là. »

À bien y penser, Élise se voit finalement comme « anarchiste relationnelle » : « ça pourrait aussi me correspondre », avance-t-elle, en nous expliquant ces différents concepts avec un souci de clarté manifeste. « On s’adapte à ce qui est là selon les besoins de chacun. Et ça fluctue dans le temps. »

Morale ? Oui, elle est ouverte d’esprit, « mais on n’a pas besoin de tout explorer », insiste-t-elle. « Ce n’est pas tranché au couteau : les monogames ont des relations longues et sages. Et les autres sont de grands dépravés ! »

*Prénom fictif, pour protéger son anonymat.

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