La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Frédérike*, 26 ans

Frédérike est une jeune femme trans, célibataire, à la recherche d’aventures. Comme tant de célibataires comme elle, d’ailleurs. Elle a aussi voulu se raconter pour normaliser un peu sa réalité. Entretien tout ce qu’il y a de plus normal, avec une jeune femme (presque) ordinaire.

« J’avais le goût de jaser de mon histoire », résume, le plus naturellement du monde, la jeune trans aux cheveux colorés, attablée dans un café de son quartier, quelque part sur la Rive-Sud. « Je trouve que la communauté LGBT est trop peu dans les médias. »

À la question que tout le monde lui pose, oui, elle sait qu’elle est trans depuis « toujours », confirme-t-elle. « Je le sentais, il n’y a pas de mot à mettre là-dessus », résume la jeune femme de peu de mots, justement.

Comme une évidence, elle précise aussi que son adolescence a été « normale », au sens de « je n’étais pas bien ». Après une première relation sexuelle « ordinaire » vers 19 ans (« elle faisait la planche, vraiment ordinaire ») et un mal-être persistant, elle décide enfin de s’assumer et de « transitionner ».

Non, « ce n’est pas une phase », affirme-t-elle, autour de 21 ans, et des années de thérapie au compteur. Et c’est là qu’elle décide aussi de sortir du placard. Et puis ? « Très bien, dit-elle, comme si cela allait de soi. Mes parents ont eu un peu de misère, mais ils se sont faits à l’idée. Mes amis ? Quelques-uns ont posé des questions, mais les autres ont dit : cool. » Fin de la discussion.

Un rendez-vous chez l’endocrinologue plus tard (« ça prend une lettre d’un psychologue, glisse-t-elle, et mon psychologue, ça lui a fait plaisir, il n’avait aucun doute que ma démarche était sérieuse... »), elle commence sa « transition » (et ses prises d’hormones, comprend-on), dont elle ne nous dit pas grand-chose, à part, essentiellement, ceci :

Je veux transitionner, je veux être une fille, c’est tout. Je ne veux pas être trans, je veux être une fille.

Frédérike

C’était il y a cinq ans. Ultimement, après avoir changé de garde-robe, laissé pousser et coloré ses cheveux, Frédérike souhaite aussi se faire opérer. Mais impossible pour l’instant. « Je suis trop grosse en ce moment, dit-elle crûment. On m’a dit que s’il y a des complications, ils ne sont pas équipés. J’ai 15 livres à perdre. » D’ici là, elle joue la carte de la transparence quand elle fait des rencontres, ce qui, on s’en doute, n’est pas toujours évident.

Parlant de rencontres, étrangement, l’orientation sexuelle de Frédérike a légèrement fluctué dans les dernières années. Si elle a toujours été « 100 % aux filles », précise-t-elle, elle est « passée un bout à 100 % aux gars ». « Là, je suis rebalancée 85 % aux filles, 15 % aux gars. » Comment explique-t-elle ce changement ? « Je pense que ce sont les hormones qui font ça... » Mais de toute évidence, ça ne la perturbe aucunement.

« By the way, je suis trans »

Un peu pêle-mêle, Frédérike nous fait ici le récit de ses différentes aventures, depuis. Elle commence avec un premier « crush » sur un gars, une nouveauté pour elle, dans tous les sens du terme. « C’est la première fois que je datais quelqu’un [comme femme, comprend-on], je ne savais pas trop comment gérer ça. Maintenant, c’est la première affaire que je dis : by the way, je suis trans, et pas opérée... »

C’est qu’elle a appris à la dure. Avec lui, elle n’a en effet pas eu le guts de se révéler, comme elle dit. Après quelques « frenchs » et une nuit à dormir « collés », elle a fini par cracher le morceau, par écrit. Réaction ? « Il a été super distant. Alors j’ai fait 1 +1 = 2. Et ça m’a vraiment fait mal, laisse-t-elle tomber. Mais je suis passée par-dessus, c’est une expérience de vie... »

Ont suivi quelques flirts, jusqu’à ce que Frédérike rencontre sa première amoureuse, en ligne (« on game ensemble ! »). « C’est elle qui m’a mise à l’aise, qui m’a aidée à me découvrir », confie-t-elle. Ici, pas de mystère : elle a confié d’emblée qui elle était. Et cela tombait bien : « Elle était trans aussi. »

Au lit ? « On est deux filles, avec pas d’opération, c’est pas mal ça. Pis on a des seins. » Aussi simple que ça : « On était bien. »

Tout à coup, Frédérike se fait plus loquace. « C’est là que je me suis le plus découverte », poursuit-elle.

Au début, ce n’est pas que je ne m’assumais pas, mais je n’avais jamais eu d’occasion. […]. Je ne suis pas ressortie de cette relation la même personne. Je suis ressortie beaucoup plus en confiance avec moi-même. Plus solide.

Frédérike

L’histoire a duré un an. Pour se terminer l’été dernier. Depuis ? « J’ai été en crave de sexe », dit en souriant Frédérike, qui a du coup osé s’inscrire sur différentes applications de rencontres, tout en étant désormais très transparente quant à son état. « Bien que certains ne prennent pas le temps de lire... », dit-elle en riant. Et puis ? « J’ai réalisé que je pognais ! J’aime ça ! »

Il faut dire qu’en quelques mois, elle a eu une poignée d’aventures, certaines plus mémorables que d’autres. Une première avec un homme « fuckin bon », « mon meilleur sexe à vie ». « Il était affectueux, pas rough, là pour avoir du bon temps. » Une deuxième avec un type plus « rough » (« bon pareil, mais rough »), et une troisième carrément absurde, dont elle s’est enfuie en courant (« il ne se souvenait pas de mon nom ! T’es sérieux ? »). Enfuie pieds nus, précise-t-elle en riant.

Frédérike, visiblement enfin décomplexée (« j’ai découvert que je peux être bien comme je suis ! »), se raconte dans la bonne humeur, avec une légèreté contagieuse. « Et j’ai vraiment hâte d’être opérée... », répète-t-elle.

Aujourd’hui ? Comme d’autres célibataires, elle vit une certaine « écœurantite » des sites de rencontres. Mais là n’est pas le but de son témoignage. « Je voulais juste montrer qu’on est des gens normaux, dit-elle. Je ne veux pas banaliser, mais rendre ça plus normal ! »

Dis autrement (et plus graphiquement) : « Je suis une personne normale, à part que j’ai un pénis au lieu d’un vagin, contrairement à la majorité des femmes. La plupart des gens ne le savent pas. À part mes amis. Et... ils n’en ont rien à faire ! »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

Écrivez-nous pour nous raconter votre histoire