La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Jean*, 40 ans.

« J’ai toujours rêvé de coucher avec un Noir », « je ne sortirais jamais avec un Noir », « est-ce que c’est vrai que les Noirs en ont un gros ? ». Jean a tout entendu. Et il est aujourd’hui déçu. Déçu d’être réduit à ça : une couleur. Entretien ni aigri ni frustré, mais désenchanté.

« Je ne suis pas fâché, je ne suis pas frustré », nuance-t-il doucement, et à plusieurs reprises, au cours d’un entretien virtuel récent. Je trouve juste ça décevant. […] Le racisme dans les relations amoureuses, ça existe, et c’est juste plate. »

« Plate » parce que Jean croit aussi que cela lui a nui toute sa vie. Aujourd’hui âgé de 40 ans, il est toujours célibataire. Il n’a jamais eu de relation à long terme, en fait. Jamais vraiment été en couple très longtemps. Lui qui rêve d’avoir des enfants.

Originaire d’Haïti, Jean a été adopté tout petit. Et quand il était tout petit, ses parents adoptifs l’ont aussi prévenu (mis en garde ?) : « On m’a appris que j’étais différent, se souvient-il, et que je pourrais être victime de propos racistes… »

Il grandit dans un petit village, en région. Dès le primaire, il s’en souvient encore, un prof lui fait le même avertissement. Et puis inversement, et à peu près au même moment, une petite amie lui signale qu’elle, ce qu’elle préfère, ce sont les Noirs. Carrément.

J’ai trouvé ça étrange. Moi, je veux une partenaire de vie qui m’aime pour moi. Pas pour ce que je suis : un Noir. Je ne suis pas juste un Noir, un fantasme. Je suis une personne !

Jean

On ne sait pas trop si la réflexion date de l’époque ou a été longuement mûrie. Tout son témoignage oscille aussi entre réflexions et exemples vécus, souvent pêle-mêle, quoique toujours parlants.

D’ailleurs, il en remet : « C’est une réalité taboue. On vit soit de la fétichisation, soit du racisme. […] Je l’ai vécu à 110 %. »

De nature plutôt timide et réservée, il vit son secondaire comme une enfilade de « rejets ». « Au secondaire, on veut entrer en relation. Et pour moi, c’était plus difficile. » Pourquoi ? « Je me doutais pourquoi, mais on dirait que je ne voulais pas le savoir, jusqu’à ce qu’une fille me le dise clairement : “Moi, je ne veux pas sortir avec un Noir, ça ne m’intéresse pas.” » Ouch. « C’est sûr que c’est fâchant, confirme Jean. Ça joue sur l’estime de soi. C’est pas juste ! Je pense que je suis un gars bien, respectueux ! »

Parenthèse : qu’une fille ne soit pas attirée par lui, Jean peut l’admettre tout à fait. Lui aussi, il a ses « préférences ». « Mais éliminer une catégorie de gens en entier ? questionne-t-il. C’est quand même raciste… » Fin de la parenthèse.

Vers 18 ans, Jean finit par rencontrer en ligne (par mIRC, l’ancêtre du texto, vous vous souvenez ?) sa première copine, avec qui il passe deux nuits. « Ç’a été super le fun, une belle relation. Mais ç’a été court… », laisse-t-il tomber. On comprend que ce qu’il cherchait (et cherche toujours), c’est du long terme.

Au cégep, de nouveau, il se sent rejeté. Dès qu’il approche une fille qui lui plaît, les réponses sont « floues » : « Soit pas de réponse, peut-être, ou je suis occupée, se souvient-il. Et c’est venu miner ma confiance. »

Même si, fait à noter, on ne lui dit jamais trop vraiment pourquoi :

Mais à un moment donné, tu comprends que c’est ça. Il y a un malaise, un senti. L’intuition.

Jean

Et puis l’intuition lui dit aussi que sa couleur attire ailleurs, et surtout pour d’autres genres de relations. Un soir, dans un bar, plus ou moins à la même époque, une jeune fille « un peu en état d’ébriété » lui prend justement l’entrejambe et lui dit cette fois très explicitement (« c’est cru et raciste, prévient-il, je ne sais pas si vous êtes prête à ça ? ») : « Moi, mon rêve, c’est de sucer un Noir… »

Réaction ? « Come on, répond-il. N’importe quoi. Non, ça ne m’intéresse pas. » D’ailleurs, pour lui, cela relève de l’autre « revers » de la même médaille. « Pour moi, c’est du pareil au même. Tu as des rejets. Ou de la fétichisation. »

Une fois, une seule, il cède : début vingtaine. Avec une femme de 15 ans de plus que lui, se souvient-il. « Elle m’avait dit : “Mon fantasme, c’est de coucher avec un Noir.” » Cette fois-ci : « De la marde, se dit Jean, même si c’est contre mes principes, j’y suis quand même allé. Même si, en dedans de moi, je trouvais ça raciste… »

Les années passent. Jean vit, quelque part à travers l’université, une aventure de quelques mois avec une Colombienne (« on était sur la même longueur d’onde, elle avait vécu de la discrimination aussi »). Au lit ? « Super bien, mais elle était un peu Germaine. Vous savez, les Latinos… », dit-il en riant, en réalisant tout à coup qu’il n’est pas non plus au-dessus des préjugés. Comme quoi. « Oui, moi aussi, je tombe dans ces pièges, concède-t-il. Elle était comme ça, mais je sais qu’elle ne représente pas toutes les Latinos. […] Et je suis conscient de mes biais cognitifs. »

Si l’aventure lui a redonné confiance en lui ? Oui et non, répond-il. « Elle était colombienne. Pas québécoise. Donc ça ne règle pas le problème. »

Après l’université, Jean entre sur le marché du travail. Il a un bon boulot, un beau condo, ses affaires vont bien. Sauf sur le plan amoureux, toujours. Il s’essaie sur les sites de rencontres, mais ce n’est pas plus concluant. Et puis ? Et puis, c’est tout. La dernière fois que Jean a couché avec une femme, c’était il y a deux ans, une aventure sans lendemain avec une amie d’ami (« un pétard, se souvient-il, mais elle ne voulait pas de relation amoureuse »).

Bilan ? « J’aurais aimé avoir une famille. Des enfants, dit-il. Je ne suis pas aigri, juste déçu. Sincèrement, j’ai fait le meilleur de ce que j’ai pu avec ce que j’avais. […] Mais ma vie a été une série de relations courtes, éphémères et non fusionnelles. […] Alors j’espère ici conscientiser les Québécois de souche à ce qu’on appelle le racisme sexuel. […] Oui, le racisme existe, le racisme dans les relations amoureuses existe, et c’est plate. […] Moi, j’aurais juste aimé avoir une amoureuse stable, sur le long terme. Une amoureuse qui t’aime pour ce que tu es, pas pour ce dont tu as l’air… »

Et non, si vous voulez tout savoir : « Ce n’est pas vrai que tous les Noirs ont un gros pénis ! », glisse-t-il en souriant.

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat.

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