Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Cette semaine : Thomas*, 75 ans

Thomas a 75 ans. Il est marié depuis plus de 40 ans. Et il compte se remarier prochainement. Entretien avec un homme heureux dans la vie et au lit, depuis des décennies.

Se remarier ? « Parce que c’est le fun ! », répond spontanément le souriant septuagénaire. Il faut dire qu’il n’en peut plus d’entendre et de lire nos histoires d’amour qui vont mal, et archi-mal. C’est lourd. Répétitif. Et il ne s’y reconnaît tout simplement pas.

« À lire vos histoires [...], on croirait qu’il n’y a que des amours déçus, des gens écorchés, des tromperies pas réglées, nous a-t-il écrit, vers la fin de l’hiver. Enfin nous, on est heureux. » Pas sans histoire, faut-il le souligner, mais drôlement heureux quand même. Alors on a voulu savoir pourquoi, et surtout comment.

Après quelques difficultés de connexion, nous voilà enfin assis virtuellement devant lui, un homme visiblement épanoui, quoique de peu de mots. Il nous faut lui soutirer les détails, qui lui semblent, devine-t-on par son ton, des évidences.

Sa première relation sexuelle ? « Baptême ! » Il devait avoir 20 ans, cherche-t-il, loin dans ses souvenirs, et c’était avec sa première femme. Ses impressions ? « Plate. » Comment, plate ? « J’avais une femme pas très, très sexuelle, ajoute-t-il. C’était tranquille. » Leur histoire dure quelques années, jusqu’à ce que notre Thomas rencontre la femme de sa vie, au travail. Coup de foudre ? On ne saura pas trop, mais assurément, ils « fittaient », se souvient-il. « Ça cliquait, c’était facile, l’amour était omniprésent. »

Au lit ? « Elle participait beaucoup, dit-il en riant timidement. On s’aimait beaucoup plus... » Bref, c’était « merveilleux ».

La différence entre les deux expériences est « énorme », confirme-t-il. « La participation, l’échange, c’était beaucoup plus facile. Beaucoup plus naturel... » Par exemple ? « Je ne sais pas comment vous dire ça : tout était complet. »

Et puis les années ont passé. Ils ont eu un enfant, et Thomas a eu ce qu’il appelle quelques « incartades ». « Ben oui ! », confie-t-il, en riant toujours.

Mais toutes les fois, et vraiment pas souvent, ç’a toujours été un fiasco. Je n’étais pas fait pour aller voir ailleurs. […] J’étais engagé, et j’avais de la difficulté à me désengager.

Thomas

En gros, ça n’a jamais « marché », comprend-on. Thomas n’y a pas pris grand plaisir, il n’a même souvent pas été capable d’avoir d’érection. « C’était plate ! »

Pourquoi les « incartades », alors ? Dur à dire. Peut-être à cause de son métier ? Thomas était à l’époque consultant. « Tu passes tes soirées à étaler ton savoir, je pense que pour beaucoup de monde, c’est excitant... » La preuve : « J’avais des demandes régulières. J’ai embarqué de temps en temps, mais j’ai refusé 1000 fois. Disons 900 », précise-t-il, sourire en coin.

Mais les aventures ne semblent pas avoir trop nui à sa relation. « Ma femme a comme deviné, mais avec explication, ça s’est bien passé. » Il faut dire que de son côté, elle a fait pareil. « Mais elle était mal à l’aise. Et elle me l’a avoué... »

À ce moment-ci de l’entretien, Thomas s’arrête : « Mais je ne pensais pas qu’on allait parler de ça ! »

C’est qu’ensuite, leur histoire n’a fait qu’évoluer « positivement », enchaîne-t-il. « Il n’y a pas eu d’incartade ni de l’un ni de l’autre, et on est restés unis et bien ensemble. »

Le secret : l’acceptation

On arrive enfin au clou du sujet. Au comment du pourquoi de leur longévité. Si vous voulez tout savoir, Thomas et sa femme ont à ce jour des relations régulières, à raison de trois ou quatre fois par mois. « Ça se passe bien, précise-t-il, mais ça prend des préparatifs importants. À nos âges, il y a beaucoup de tendresse et de respect à avoir. Et surtout : de l’acceptation. »

De l’acceptation ? Retenez l’expression. « L’acceptation de ne plus avoir d’érection. Ce n’est pas facile pour les hommes, avance-t-il. Ça prend quelqu’un de mature pour être capable d’accepter ça. » De son côté, après quelques années à essayer le Viagra, Thomas a finalement laissé tomber. Pourquoi ? Parce que ça ne marchait pas. Et l’acceptation est surtout et avant tout venue par le soutien de madame. « C’est elle qui me disait : on n’est plus jeunes ! » Acceptons-le, quoi, comprend-on.

Il n’a plus trop d’érection, mais cela ne les empêche pas d’avoir une intimité toujours bien vivante.

Un peu d’amour à soir, ça te tenterait-tu ?

Thomas

C’est leur mot de code, de temps en temps, assez régulièrement. Et ce faisant, Thomas attend. « Pas de vulgarité avec ta blonde, glisse-t-il ici, ce serait un manque de respect ! » Il l’attend, donc, sans jamais mettre de pression. « Je ne veux pas la forcer si ça ne lui tente pas ! » Et puis ? Après un bon souper, un verre de vin rouge, un petit joint pour monsieur (« parce que les sensations pour moi sont de beaucoup meilleures ») et une bonne conversation, « on se couvre de baisers presque partout », résume-t-il, pas peu fier de son image. « C’est poétique, hein ? »

Eh oui, cela mène à la jouissance. Même si c’est très différent d’avant, bien évidemment. « On a un autre genre de plaisir, mais autant de plaisir qu’avant ! », nuance-t-il. Oui, même après 44 ans.

Morale ? « Tu ne peux pas arriver à cette tendresse et ce respect si tu n’as pas fait une acceptation », répète Thomas. L’acceptation du temps qui passe et du corps qui vieillit. L’acceptation des capacités qui se modifient. « J’aurais pu dire : OK je n’ai plus d’érection, j’arrête toute activité sexuelle. » Beaucoup d’hommes le font, croit-il. « Mais c’est une mauvaise conception de l’amour. Comme si l’érection, il n’y avait rien que ça. L’amour, ça se passe dans le cœur et la tête. Pas rien que dans le pénis ! »

Et l’amour, ici, est visiblement toujours bien présent. Omniprésent, même : « Quand j’embrasse ses rides, c’est comme si j’embrassais toutes les expériences de sa vie. C’est quand même mon amour ! dit Thomas, tout sourire. L’amour, c’est dans la tête et le cœur ! » Et pas ailleurs...

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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