Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Cette semaine : Marie*, 27 ans

Pour en finir avec la pression de la sacro-sainte performance, voici la sexualité sans finalité, lire sans orgasme. Une activité finalement beaucoup plus diversifiée qu’on pourrait le croire, exploratoire, ancrée dans l’instant présent, tout en s’étirant dans le temps. Objectif : la communion. Le préalable : la communication.

Marie l’a essayée. Et franchement adoptée. Et à l’écouter, enthousiasmée, se raconter, il est clair qu’elle ne reviendrait pas en arrière.

« Ça a vraiment déconstruit toute cette pression de performance, déclare la jeune femme, d’un large sourire franc à la caméra. Ça fait vraiment du bien. On peut juste profiter du moment quand ça passe. [...] Et la connexion est plus grande. » Pour cause : au lieu de se concentrer sur ce qu’elle doit « accomplir », elle peut désormais se concentrer sur ce qu’elle est « en train de vivre ». « J’aime le fait qu’on puisse être en phase, tirer les deux du plaisir, sans penser au but ultime », résume-t-elle, au bout d’une bonne heure et demie de confidences.

Marie a grandi en région. Elle se raconte spontanément et librement, avec un naturel désarmant. Sa première fois ? Avec son amoureux du moment, vers 17 ans, un souvenir « maladroit, et plein d’amour », dit-elle en éclatant de rire. Rapidement, ils trouvent leur erre d’aller, si bien que leurs ébats deviennent un brin routiniers. « On répétait souvent la même routine de ce qui fonctionnait bien, se souvient-elle. Avec orgasme, contrairement à ma vie sexuelle aujourd’hui. » Leur « schéma », en gros, se résumait à : préliminaires, orgasme pour son copain, pause, cunnilingus, orgasme pour elle ; « et puis on faisait l’amour ». Au bout du compte : « Comme ça, c’était assez juste. » Juste ? « Oui, j’ai toujours eu un souci d’égalité. Mais je n’ai jamais feint l’orgasme, tient-elle à préciser. Si je n’avais pas d’orgasme, je ne faisais pas semblant. J’étais honnête : je n’en ai pas eu... »

Et non, elle n’en avait pas forcément un chaque fois. « Pas tant », en fait.

Toujours est-il qu’au bout de cinq ans, leurs chemins se sont séparés, et là s’est terminée la relation.

Suivent quelques « fréquentations » et autant de révélations, pendant une grosse année de célibat, début vingtaine. Une des premières [et elle en rit encore] : « lui a eu un orgasme, et ça s’est arrêté là », raconte-t-elle, les yeux écarquillés. Arrive ensuite un homme de 25 ans son aîné, pour qui, ô surprise, le plaisir de la femme est prioritaire. Puis un autre, de son âge cette fois, qui, lui aussi, avait « une belle considération, pour que ce soit le fun autant pour lui que pour [elle] ». D’où le constat :

Il y en a, des gars pas selfish !

Marie

« Mais je ne blâme pas les gars, nuance-t-elle. On met beaucoup l’accent sur l’homme. C’est très phallique, la sexualité, comment c’est construit socialement. Pour qu’un rapport sexuel soit réussi, il faut que le gars ait atteint l’orgasme. Qu’il ait éjaculé. C’est ça qui fait le succès... », résume-t-elle, dubitative.

Et plus jeune, effectivement, elle a accepté ça. Puis pas. « Ç’a été déconstruit par la suite... »

On y arrive enfin. C’était il y a quatre ans. Marie s’est retrouvée à Montréal pour ses études universitaires. Et c’est là qu’elle a rencontré son Roméo actuel. « Ça a tellement cliqué », dit-elle en se remémorant leur rencontre. « C’était vraiment charmant. » Il faut dire qu’ils ont étiré le plaisir, à la faveur d’une chasse au trésor dans la ville, littéralement. « Tant que je n’avais pas trouvé tous les indices, on ne se verrait pas », se souvient-elle, en racontant leur « belle dynamique d’ascension du désir ». Et puis ? « Torride, répond-elle. Tellement intense... » D’ailleurs, précise-t-elle, « lui était dans la catégorie des hommes qui considèrent que le plaisir féminin est vraiment important ».

Une fois la « fougue » des premiers mois passée, toutefois, la réflexion de Marie a continué à cheminer. Il faut dire qu’il lui est arrivé « à quelques reprises » d’atteindre des sommets de plaisir, de vouloir que ça dure, de se retenir, pour finalement ne jamais arriver à jouir. « Dans ma tête, se souvient-elle, ça spinnait. [...] Faut pas que ce soit si long... » Et lui de renchérir : « J’abandonne, c’est trop long... » Et ô l’insatisfaction, devine-t-on.

D’où l’idée, audacieuse et prometteuse à la fois : « Eille, est-ce que ça te tente qu’on essaye de faire l’amour pas d’orgasme, ni pour toi ni pour moi ? » En un mot :

Est-ce qu’on sort un peu de la pression de performance ? […] Est-ce qu’on peut se dire qu’on n’en a pas, et juste en profiter ?

Marie

Son Roméo n’a pas détesté l’idée. « Il est full ouvert », dit Marie en souriant. Il faut dire qu’ils n’en étaient pas ici à leur premier défi. Le couple s’amuse à se faire des dimanches sans écran, des mois de consommation locale, tous deux ne dorment jamais du même côté du lit, etc. Parlant de lit, ils ont longtemps dormi dans des lits superposés, question de pouvoir faire l’amour en haut, en bas, par l’échelle, dormir seuls ou collés... « Ça brise vraiment le carcan des habitudes. »

Et puis ? Ce sexe avec pas d’orgasme ? « Ça fait vraiment un effet d’apaisement, reprend Marie, sans se faire prier. Oui, l’orgasme donne une décharge. Là, c’est plus lent, tu gardes ton énergie, même ça t’en donne plus, et puis tu as un apaisement, une chaleur dans le bas-ventre... »

Mieux : « On s’est rendu compte qu’on avait vraiment plus le goût de faire l’amour, parce qu’on n’arrêtait pas ! » Ils commencent, ralentissent, prennent une pause, puis reprennent de plus belle. Avec, surtout, une « connexion » vraiment au rendez-vous. Et des caresses qui ne se limitent plus aux zones génitales. « C’est vraiment le fun ! »

L’exercice nécessite évidemment une communication, une confiance et une réceptivité de tous les instants. Un « défi » que le jeune couple semble relever avec brio, avant, pendant, après. « Si on n’y arrive pas, on ne se shame pas », précise-t-elle. Pas question de tomber dans la « contre-pression » : « Il ne faut absolument pas avoir d’orgasme, sinon on a échoué ! », dit-elle en riant.

Concrètement ? « L’orgasme va arriver de façon aléatoire ou souhaitée, mais il n’y a pas de fréquence », explique-t-elle. Si elle a envie, ou lui, ils se le disent. Tout simplement. La dernière fois, c’était la semaine d’avant notre entretien, tiens. Mais Marie a déjà passé un mois sans. L’essentiel, idéalement, étant ici de se prévenir, minimalement. « Pour valider si l’un ou l’autre est proche, sinon on est décalés. » Tout l’exercice visant, on l’aura compris, précisément à éviter un tel décalage. « Il faut vraiment être à l’écoute l’un de l’autre. »

Bilan ? « Ça a vraiment déconstruit la pression de la performance, ça fait vraiment du bien », constate en souriant la jeune femme. « C’est sûr que ce n’est pas pour tout le monde, concède-t-elle, mais moi, j’y vois plus d’avantages que de désavantages. » Le premier, et non des moindres ? « J’aime beaucoup le fait que nos rapports soient égalitaires. » Désavantage ? « C’est nécessaire de vraiment communiquer, mais moi, je ne le vois pas comme un désavantage... » D’où son verdict : « La pression de performance, ce n’est bon pour personne », croit-elle, visiblement heureuse de pouvoir avoir ici cette conversation « sans tabou ». « Je trouve ça pertinent et sain, glisse-t-elle, de montrer qu’il y a différentes formes de sexualité qui existent. »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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