Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.
Cette semaine : Jack*

Jack se décrit comme un « lover ». Un bon gars, généreux, un « donneur », comme il dit. Mais il a assez donné, justement. Entretien avec un homme désabusé.

Début cinquantaine, artiste (dans l’âme et dans la dégaine) et éternel « ado attardé », de son propre aveu (et à sa grande fierté), Jack nous écrit sporadiquement depuis quelques années.

La première fois, c’était à la suite du récit d’une femme récemment divorcée, enfin « libérée », disait-elle, un commentaire sur lequel il avait tiqué. « Donnez-vous la parole aux hommes, aussi ? », nous avait-il demandé.

On a finalement trouvé un moment pour se coordonner, tout récemment. Et disons que lui aussi, il en a long à raconter.

Son profil : « Homme célibataire de 50 ans, père seul, amant attentionné, gentil, responsable, et qui a pas mal démissionné. » Démissionnaire parce que désillusionné, finira-t-on par comprendre, après une bonne heure et demie de conversation, mêlant quelques rares confidences (il a visiblement peur d’être reconnu), et surtout, plusieurs réflexions sur l’état des relations hommes-femmes, ou plutôt le deux poids, deux mesures, et ce nouveau « rapport de force » entre hommes et femmes aujourd’hui. Nous y viendrons.

Jeune idéaliste romantique

Parce que Jack n’a pas toujours été ainsi blasé. Plus jeune, en fait, il était plutôt du genre « naïf, idéaliste, ultraromantique », rêvant de vivre « dans la communion, d’amour et d’eau fraîche ». Déjà, ça détonnait, croit-il, en racontant s’être fait laisser par une fille qui trouvait qu’il ne la « runnait » pas assez. Bref, qu’il était trop doux.

Sa première relation sexuelle ? Vers 17 ans, avec sa copine, avec qui il a passé quelques mois à « baiser comme des lapins ». « J’avais une obsession de découvrir tout ça », se souvient-il. « On n’avait vraiment pas de mode d’emploi ! »

Suivent ensuite quelques amourettes, dont une, qui finit de manière particulièrement « chaotique », dans le drame et les larmes, devine-t-on. Échaudé, Jack décide qu’il préfère se consacrer à quelque chose de plus « tiède ». Et rencontre ce faisant une femme « tiède » également : « Et ç’a été la mère de mes enfants », poursuit-il, laconiquement. « C’était très convenant, on se trouvait de notre goût, mais ça n’a jamais été le grand amour. » Au lit ? « Clair, net, précis, presque machinal, comme prendre son jus d’orange le matin. Il n’y avait pas de grande passion. Mais quand tu as 23 ans, tu ne le sais pas. Tu le comprends plus tard. » Quoi exactement ? « Que quand tu ne veux pas te brûler, le feu est rarement là… »

Toujours est-il que 2 enfants et 10 années plus tard, ils ont fini par se séparer. Leurs « objectifs » en matière de famille étant comblés, ils faisaient ici face à un « vide » : madame étant plutôt « pragmatique » et Jack, on l’a dit, « artiste ». « Je n’avais pas envie de m’établir… »

À 35 ans, Jack se retrouve donc célibataire. « Et c’est là que la boîte de Pandore s’est ouverte ! », sourit-il.

Tu as une certaine maturité, tout d’un coup tu découvres le monde, les sites de rencontre, c’est un peu cinglé, et tu dates, tu dates, tu dates… Ça devient un tourbillon.

Jack, 52 ans

Il a vécu ce fameux « tourbillon » pendant 20 ans, à coup de nombreuses aventures (une quarantaine ?), des histoires de quelques semaines à quelques mois. Gros max : deux ans. Et c’est en partie sa faute, reconnaît-il.

Parce qu’il a longtemps voulu « refaire [sa] vie », « recommencer », alors qu’il aurait fallu « continuer ». Il cherchait alors la fille « parfaite », analysait beaucoup, démissionnait souvent, ou sinon se donnait (trop) à fond. « Et je devenais terriblement lover. J’aurais fait n’importe quoi. Mais j’ai été avec des personnes plus preneuses. Alors je n’avais pas la contrepartie… »

Après le tourbillon, la désillusion

Exemples ? Des filles qui voulaient se payer un « trip » avec un artiste, il en a vu passer beaucoup. « Souvent, dit-il en riant. Trop souvent ! » D’autres qui se cherchaient un entrepreneur, le temps qu’il refasse leur terrasse aussi. « Mais moi, je n’ai pas l’archétype pourvoyeur », dit-il. « Il y a des gens qui veulent faire un bout de chemin, d’autres hyper planifiés, je n’ai pas connu une fille pareille, dit-il. J’ai tout vu, tout connu. »

Des filles archimaladroites au lit, comme des bombes insatiables. « Et j’ai fait l’amour souvent, souvent, souvent. » Depuis quelques années, beaucoup de femmes épuisées, médicamentées et trop alcoolisées, constate-t-il. « Mais après quoi elles courent ? »

De son côté, il a toujours été un « lover », répète-t-il.

J’ai toujours trippé, même à faire l’amour avec quelqu’un que je connais à peine. C’est un moment sacré. Je n’ai jamais eu de moment jetable. Quand j’ai quelqu’un dans mes bras, c’est sacré. Je n’utilise pas, et je n’ai jamais voulu utiliser.

Jack, 52 ans

Au contraire, il a toujours donné, mais ça n’a pas toujours été réciproque. Rarement, en fait.

On lui demande d’illustrer, et il ne se fait pas prier : « J’ai fait l’amour passionnément à des femmes, l’amour oral et tout, et une fois venues, elles ne font pas mieux qu’un macho : elles ne s’occupent pas de toi ! Sont blasées ! Sans entrain. Toi, tu as un torticolis, une crampe dans la bouche, mais elles n’en ont rien à foutre ! », dit-il en riant (jaune). Sans parler de celles qui lui ont dit d’emblée ne pas avoir besoin d’un homme, parce que leur vibrateur « est meilleur que n’importe quel gars ». Vraiment ? « Oh mon Dieu, plein de fois ! », dit-il en riant de plus belle (et toujours aussi jaune).

Ce n’est pas tout. Jack, plutôt beau gosse, dit s’être aussi fait souvent « sauter dessus » dans des soirées, « pogné le cul » ou passé des commentaires, notamment par des femmes scolarisées, aisées. « Le pouvoir, c’est le pouvoir, résume-t-il. C’est dans la nature humaine, ce rapport de force. » Quoiqu’on en parle bien peu. D’où le deux poids, deux mesures, qu’il dénonce depuis le début.

Tout cela pour dire que le voilà aujourd’hui « désillusionné ». « On dirait que tout le monde a un agenda. Personne n’a envie d’aller sur une barque commune, et de ramer ensemble. Si vous allez sur un site de rencontre, vous allez capoter ! Les filles veulent ci, ne “tolèrent” pas ça. Les gens cherchent leur clone ! […] Moi, j’avais l’illusion d’un partenariat, on se donne à l’autre sans compter, mais ça n’existe pas ! »

Voilà pourquoi il abandonne. C’est assez pour lui. « C’est décourageant. Mais ne me prenez pas pour un pauvre type, dépressif. Ce n’est pas ça ! Mais à un moment donné, il n’y a pas juste ça dans la vie. Alors on se réalise autrement… », conclut-il, en citant Culture Club (Karma Chameleon), tiens : « Every day is like survival, you’re my lover, not my rival… » « Ça résume tout ! »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat