Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Cette semaine : Julie*, 49 ans

C’est une histoire d’agression. De violence sans nom. Puis de résilience. Récit sans filtre et plein d’espoir d’une victime au parcours épique, à la fois différent et inspirant, comme on en entend rarement.

Julie* a 49 ans. Elle est aujourd’hui « très épanouie sexuellement », mais disons que la vie ne l’a pas épargnée. Mais elle n’est pas peu fière de son (long) cheminement. « Pour moi, ce que je vis aujourd’hui, c’est vraiment une réussite. J’ai l’impression d’avoir relevé de grands défis », a-t-elle confié par visioconférence, un petit vendredi glacial, il y a quelques semaines à peine. Si, aujourd’hui, Julie est enfin dans l’« authenticité et l’intimité émotionnelle » avec son « magnifique chum » (et il nous saluera d’ailleurs à la caméra, comme pour confirmer que cette terrible histoire qui finit si bien est bel et bien vraie), disons que ça n’a pas souvent été le cas. Jamais, en fait. Voici pourquoi.

« Depuis le début de la vingtaine, les hommes qui s’approchaient trop, c’était insupportable », commence-t-elle. Et Julie ne les compte plus, tous ceux qui l’ont aimée, à qui elle a fait du mal en retour, en leur mentant, en les manipulant, avant de finalement les « jeter ». Pourquoi ? « Parce que c’est douloureux d’être aimée avec bienveillance… »

On lui demande de s’expliquer. « Est-ce que je vais là ? » Puis, elle plonge : « J’ai vécu une agression sexuelle enfant, laisse-t-elle tomber. Ça a commencé autour de 3 ou 4 ans. » Et ça a duré des années. Vers l’âge de 10 ans, sa mère alerte les autorités, mais rien ne bouge. « Et j’ai arrêté de croire aux autorités… » La vie lui donnera tristement raison, parce que son enfer ne s’est pas arrêté là, mais nous y viendrons.

Toujours est-il que les années passent, Julie est plutôt dégourdie pour son âge et, à 13 ans, en repérant un beau gars, elle décide que c’est lui qu’elle veut pour son « premier ». Et crac, elle le lui dit. « C’était un gars magnifiquement beau… » Elle n’a rien oublié : arrivée chez lui, « quelque chose de profond et d’animal s’est réveillé » en elle. […] « J’ai embarqué dessus et – oh, mon Dieu – j’ai pogné de quoi. J’avais déjà fumé, bu, pris des mushrooms, mais là, le sexe battait tout. »

Je me sentais vraiment en contrôle. J’avais besoin de ça. Ayant été agressée, j’avais besoin de renverser les rôles.

Julie

Suit ensuite une période de « compulsion » qui va durer des années. « Je sors avec ma gang de filles. On est punks, on a été élevées par des mères féministes, ça va bien, notre affaire. » Concrètement, chaque fois qu’elle repère un garçon qui lui plaît, ça se passe. « Je vais le voir, je lui demande de faire l’amour, puis je reviens après. Je pouvais faire ça trois fois par soir. »

Sans transition, elle enchaîne : « Jusqu’à l’âge de 17 ans. Là, je pogne une drop. » Accrochez-vous. C’est en effet là que Julie se fait violer. Non, pas par un inconnu dans un bar (« je n’ai jamais subi d’intimidation, je vivais plutôt dans un espace de grande liberté »), mais plutôt par un ami. Un type apparemment sympa, qui ne l’intéresserait toutefois pas. « Je n’aime pas son odeur », grimace-t-elle.

Un soir, il l’invite chez lui pour soi-disant faire des photos, mais elle sent que quelque chose cloche. On vous épargne les détails sordides, mais sachez que le type en question devient violent. « Et ça dure des heures… » Julie finit par s’enfuir, nue dans la nuit, avec un coccyx fêlé et déplacé, des cervicales endommagées et la mâchoire carrément déboîtée. Des blessures qui prendront des années, et combien de souffrances au passage, à être diagnostiquées, et finalement soignées (sans parler de toutes les thérapies, de la rééducation périnéale aux AA en passant par l’ostéopathie). Et que dire du procès, qui va s’étirer lui aussi dans le temps, et salement avorter. « C’était moi, la folle. J’avais tout inventé. Créé moi-même mes blessures… »

Les larmes coulent sur ses joues. Cela fait peu de temps que Julie ose parler. Tout raconter. Mais il le faut, poursuit-elle. « Parce que j’ai une belle vie sexuelle quand même. C’est extraordinaire… » Et surtout un profil de « guerrière », comme elle dit, peu ordinaire.

Quelques mois plus tard, elle fait la rencontre d’une femme « axée sur les cercles de parole », qui va changer le cours de sa vie. En résumé, elle lui dit : « Cette expérience ne détruira pas cet espace à l’intérieur de toi qui est intact. Retournes-y. » Julie ne l’a pas oubliée. « Et j’ai repris pied, confirme-t-elle. J’ai recommencé à aimer les hommes et la sexualité. »

La preuve : au début de la vingtaine, elle fait une rencontre mémorable. Un homme unique. Ses yeux se remplissent à nouveau de larmes. « C’est un homme qui va m’aider à me rebâtir. Qui va m’aimer profondément. Et c’est extrêmement douloureux pour moi. » Douloureux ? « Son amour. Je ne connais pas ça. Il veut prendre soin de moi, hoche-t-elle de la tête, et je ne comprends rien. » Au lit ? « Magnifique. […] Il passe les nuits à vouloir m’enlacer. Et moi, je me dis : qu’est-ce que c’est que ça ? »

Moi, je fais du sexe et je sacre mon camp. Lui, il vient fucker tous mes repères.

Julie

L’aventure s’étire sur des mois, même des années. Entre d’autres, ici et là, intercalées.

C’est que Julie n’a pas changé et multiplie toujours les expériences. « J’en aime beaucoup, mais il n’y en a pas beaucoup que j’aime longtemps. […] J’ai une soif de liberté qui me rattrape toujours. »

À un certain moment, ses douleurs, jamais franchement traitées, la rattrapent. Notamment au niveau du plancher pelvien, à un point tel qu’elle ne peut plus endurer la pénétration. Tant pis, dit-elle. « Ça permet l’exploration. Sortir des sentiers battus… »

Sauf que cette douleur ne passe pas. Mi-trentaine, Julie ne peut carrément plus ni s’asseoir ni marcher. Un ange gardien ostéopathe la prend alors sous son aile, la soigne, pendant des mois, sans relâche. « Et il me permet de revivre… »

Elle se raconte depuis deux bonnes heures avant d’arriver enfin à son dénouement. Son revirement. C’était il y a trois ans, au Salon du livre. Julie fait une énième rencontre. Un type qui ne lui plaît pas particulièrement au premier abord (« il avait l’air bourgeois ! »), mais avec qui elle finit par jaser. Une heure, deux heures, cinq heures. « Je lui raconte le plus laid de ma vie pour qu’il crisse son camp, mais il ne le fait pas. » Elle rayonne. C’est que monsieur est visiblement épris. « Je lui pitche tout ce qui pourrait lui faire peur, mais non, il est encore plus amoureux. » Vous devinez la suite ? Ses multiples thérapies aidant, Julie se laisse ici apprivoiser. Elle se sent en confiance et ose enfin aimer. Et se laisser aimer. Au lit ? « Tantrique, rayonne-t-elle. Quand nos corps fusionnent, il y a une espèce de vague sur laquelle on surfe. […] Ce sont des moments exceptionnels. »

Et c’est précisément ce qu’elle souhaite qu’on retienne de son histoire. Ce message d’espoir : après une séance mémorable en justice réparatrice (« un face-à-face avec un agresseur »), elle se considère comme « profondément guérie ».

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat.

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