Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.
Cette semaine : Julie*, 49 ans

Non, les hommes ne sont pas seuls : pas seuls à se questionner sur leur sexualité. Ou sur leur manque de sexualité. Pas seuls à refuser la vie de couple. Pas seuls à partir quand il n’y en a plus, non plus.

Des femmes aussi s’interrogent. Réfléchissent. Bougent et partent à leur tour quand le feu s’éteint, refusant de mettre une croix sur cette vitalité. Julie* peut en témoigner. Comme quoi le portrait est loin d’être binaire, même si on s’en doutait.

« J’ai vécu exactement la même situation que Michaël, il y a deux ans, à 47 ans. Un constat s’impose donc : ce n’est pas seulement les gars qui claquent la porte par manque de vie sexuelle », nous a-t-elle écrit au début de l’hiver, en réaction au récit d’un jeune père insatisfait sexuellement. Un homme qui refusait de voir que sa conjointe et lui passaient, avec le temps et les années, d’amants à « associés », ou encore à « coéquipiers ». Ça vous sonne une cloche ? Vous avez été plusieurs, comme Julie, à réagir.

> (Re)lisez le témoignage de Michaël

De son côté, elle a découvert la sexualité « assez jeune ». À 14 ans, elle a eu une première relation « complète », se souvient-elle. « Je ne m’en souviens pas par cœur, mais c’était un amoureux que j’avais choisi pour ça : c’était notre première fois à tous les deux. » Point barre. Ils ne se sont plus jamais reparlé ensuite. Et non, cette aventure n’a rien eu de mémorable.

La femme, derrière sa frange et ses lunettes, se raconte avec aise. Sans gêne, on devine quelqu’un de plutôt bien dans sa peau. Bonne vivante. Visiblement précoce et décomplexée. « Après, j’ai eu plein de petits chums, de deux ou trois mois, au secondaire, avec qui j’ai toujours eu des relations sexuelles », poursuit-elle.

C’est autour de ses 18 ans qu’elle a son premier amoureux « sérieux », une histoire qui s’étire quelques années. C’est avec lui qu’elle a « tout » découvert. « De un, mon plaisir, et de deux, une belle sexualité équilibrée et équitable […]. C’était vraiment bien. »

Au début de la vingtaine, elle retrouve un ex-flirt du secondaire à l’université, avec qui elle passe de nouveau quelques années.

C’était super, vraiment, aussi. Pas mal la même chose : c’était facile, j’avais des orgasmes, c’était beau, doux, amoureux. Il y avait une espèce d’équilibre entre son plaisir et mon plaisir.

Julie

Une fois ses études terminées, Julie passe cette fois 10 bonnes années célibataire. Dix années à vivre en colocation, à accumuler les « one-nights ». « Même pas d’amant stable, confirme-t-elle. Je pense que j’essayais de me trouver un amoureux, mais je ne m’y prenais pas de la bonne façon. C’était tout le temps des gars de bars que je ramenais chez nous, sous l’effet de l’alcool… » Si elle prenait son pied ? « C’est ça qui est particulier. Oui, mais non : c’était bon quand même, mais c’était moi qui faisais plaisir. Je ne me souviens pas d’avoir eu d’orgasme. […] C’était vraiment de la baise : les gars prenaient leur pied et c’était tout. »

Elle ne le cache pas : ce qui manquait, pardonnez le cliché, mais c’est vrai, « c’était l’amour ».

« Alors quand j’ai rencontré le père de mes enfants, il y avait de l’amour, et là, j’ai été capable de prendre mon plaisir… », dit-elle en souriant.

Ils se sont rencontrés dans la mi-trentaine. « Je voulais des enfants. Mes amies étaient casées. » Et inconsciemment, elle croit l’avoir choisi pour ça : « J’ai vraiment senti l’appel de la maternité ».

Maternité et perte de libido

Leur lune de miel, quoiqu’intense (« c’était vraiment un bon amant, il prenait son temps, je me rappelle encore qu’avec lui, pour la première fois en 10 ans, un homme a été capable de me faire jouir »), a été de courte durée. Deux mois plus tard, elle tombait enceinte, et dès cet instant, elle n’a plus eu trop envie de lui. « On dirait que ça ne me tentait plus. » Un second bébé plus tard, et rebelote. « Il nous est arrivé ce qui arrive à pas mal de couples. […] Les trois dernières années, on n’a pas fait l’amour du tout, du tout, du tout. »

Mais à la différence du fameux Michaël, ici, c’est Julie qui a sonné l’alarme. Oui, même si elle n’avait plus trop envie de son côté (« et j’ai mis ça sur le dos de la ménopause, j’avais énormément de problèmes à lubrifier »), à ses yeux, ce n’était pas normal : pas normal de ne plus vivre d’intimité. De rapprochement. Ni la moindre sexualité, donc. « On ne se collait plus. On ne s’embrassait plus. On vivait comme des colocs », résume-t-elle. Comme si monsieur n’avait plus trop envie non plus. Mais sans s’en formaliser. « On dirait que je ne trouvais pas ça normal qu’une vie de couple soit sans sexualité. Je pense que lui, il serait resté comme ça. […] Moi, c’est venu m’ébranler. »

C’est que par ailleurs, leur couple n’allait pas mal : les deux s’entendaient bien, ne se chicanaient jamais. Vous voyez le portrait. « Mais moi, je ne trouvais pas ça normal », répète-t-elle. Lui ? « Je pense que c’est une personne qui n’a pas forcément une grosse libido et surtout que c’est quelqu’un qui ne se pose pas trop de questions. »

Toujours est-il qu’au bout de 10 ans, donc (dont trois d’abstinence), et après thérapie, ils ont fini par se séparer (en bons termes).

Je ne me voyais pas passer le restant de ma vie avec quelqu’un que j’aime bien sans aucune sexualité. Non, je vieillis, mais je ne veux pas mettre un trait là-dessus.

Julie

Depuis ? Ça ne s’invente pas : Julie a retrouvé sa libido. Finies, les sécheresses. Envolés, les effets de la prétendue ménopause. « J’étais certaine que […] la ménopause avait fait son chemin et que je prendrais de la médication pour la fin de ma vie pour lubrifier ! s’émerveille-t-elle à la caméra. Pourtant, je n’ai aucun manque de libido ni aucun problème de lubrification depuis que je me suis séparée ! »

Il faut dire qu’elle s’est « amusée » : elle s’est inscrite sur différents sites et a rattrapé le temps perdu. « Ma libido est revenue comme quand j’avais 20 ans ! Donc j’ai l’impression que ça n’était pas la ménopause ! » La ménopause aurait peut-être le dos large : « Est-ce qu’il y a quelque chose de plus profond que ça ? […] Je fais de la psychopop, mais peut-être que je n’étais plus bien, plus en amour, et je n’avais plus envie de cette personne-là ? »

Un (gros) bémol, tout de même. N’allez pas vous imaginer qu’elle file le parfait amour depuis. Tout le contraire. D’ailleurs, Julie a vite déchanté. « Rencontrer des gars pour baiser, ce n’est pas dur […], mais rencontrer quelqu’un qui veut s’engager ? » Une autre paire de manches, constate-t-elle. « C’est beaucoup plus difficile que j’avais imaginé… »

Cela dit, elle ne regrette rien. « Absolument rien. À refaire, je referais la même chose, dit-elle. La sexualité dans un couple, pour moi, c’est très important. Parce que ce n’est pas juste de la sexualité : c’est une complicité, des rapprochements, etc. » Une énergie, quoi. C’est dit…

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat.

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