Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Cette semaine : Sylvain*, 65 ans

Sylvain* a perdu sa virginité à 50 ans. Oui, 50. Depuis ? Il rattrape le temps perdu, comme on dit. Récit d’une histoire peu banale qui finit bien.

Il nous a donné rendez-vous un après-midi ensoleillé au parc Laurier. Petit, brun, yeux bleus, l’homme de 65 ans plus que bien portant choisit délibérément un banc à l’écart, avant de plonger dans le vif du sujet. Sans préambule ni mise en situation, en devançant carrément nos questions. « À l’adolescence, j’ai eu quelques expériences, dit-il d’emblée, mais sans jamais aller jusqu’à la pénétration. » Bref : « On ne s’y rendait jamais. »

Car, parenthèse, il ne savait pas franchement où il fallait se rendre. En fait. Pensez-y. « On n’avait pas d’éducation sexuelle. Pas de pornographie. Même la fellation, je ne savais pas que ça existait. Aujourd’hui, ce n’est plus pareil... »

Sans pause, sur un débit rapide et avec un souci manifeste de la chronologie, Sylvain, qui a l’air d’un prof d’université, se confie en 40 minutes chrono. De toute évidence, il s’est préparé à cette rencontre. Crûment, et sans fausse pudeur, il raconte sa vie peu ordinaire. Et surtout son sacré rebondissement.

Mais commençons par le commencement. Quelques émois à l’adolescence, donc, puis une série de revers. « J’ai été rejeté par toutes les femmes, répète-t-il. Les femmes que je rencontrais me rejetaient tout le temps. Comme si je les repoussais. » Une femme lui plaisait dans un bar ? Elle partait avec son meilleur ami. Encore et encore. « J’ai été rejeté beaucoup, beaucoup. J’ai eu des complexes, je me suis refermé sur moi-même. Et puis, j’ai fait une croix là-dessus. » Une croix ? « Une croix, insiste-t-il. De 25 à 40 ans. Je n’essayais même plus... »

On ose : et la masturbation ? « Oui, toujours. Énormément, répond-il sans détour. Deux ou trois fois par jour. J’ai une très forte libido... malgré tout. » D’ailleurs, il ne le cache pas : « Je me satisfaisais moi-même. J’ai développé une dépendance à la porno. Je l’ai encore. Mais je travaille là-dessus... »

Disons que ces rejets à répétition l’ont complexé longtemps.

Ce n’est pas le fait d’être vierge qui me complexait, mais celui d’être rejeté. Tout le temps se faire rejeter, c’est dur pour l’ego…

Sylvain

Et puis à 40 ans, basta. « J’ai décidé de me prendre en main, poursuit-il. J’ai toujours été attiré par les femmes. Elles m’excitent, il fallait que je fasse de quoi. » Mais de son propre aveu : « Je n’ai pas pris la bonne solution... J’ai essayé les escortes. » Pourquoi pas ? « Ça ne marchait jamais. Obligé de mettre un condom, explique-t-il, je ne sentais rien... » Rien de rien. « Même une fellation sans condom, je ne sentais rien... »

Il faut dire qu’il avait un « gros blocage », développé au fil des années. Il s’est d’ailleurs questionné à savoir s’il n’était pas impuissant, puis finalement, à 50 ans sonnés, il a fini par rencontrer une femme. Une femme de son âge. Ordinaire. Sur un site de rencontres.

Non, oubliez le conte de fées : pas de coup de foudre à l’horizon (« je la trouvais laide... »), simplement une grosse « illumination ». « Je voulais que ça débloque, et elle m’a surtout réconforté. Elle m’a laissé faire ce que je voulais faire... » Lire : essayer sans protection.

Ça ne se dit pas, mais le résultat a été une véritable « libération ». « Je me suis rendu compte que j’étais capable, résume-t-il. Un gros soulagement. » Mieux : « Comme si un gros nuage noir partait enfin. Et à partir de là : tout était possible », s’est-il dit.

C’est le cas de le dire. Depuis, Sylvain enfile les rendez-vous. Dix, vingt, trente, des centaines de femmes. De tous les âges. Même s’il avoue sans détour une nette préférence pour les plus jeunes. Il sourit timidement :

J’ai arrêté de les compter. J’ai rattrapé le temps perdu. Énormément.

Sylvain

Comment il s’y est pris ? Ça ne s’invente pas : en étant franc. Totalement franc. Vous l’aurez compris : « Elles ont de la peine pour moi. C’est un truc que j’ai développé », confie-t-il franchement. Comme il écrit bien, sans faute, les femmes aiment ça. En prime, il se confie. Parle de ses émotions. Et du coup, elles font de même. « On pleure, et puis on couche ensemble ! », dit-il, un brin victorieux.

« J’ai pris beaucoup beaucoup de chances. J’ai baisé avec beaucoup de femmes sans condom. Mais je suis chanceux. Je n’ai jamais rien attrapé. Et je me fais tester une fois par année... » confie-t-il, conscient des immenses risques ici encourus.

Aujourd’hui ? Non, il n’est toujours pas en relation. « Mais j’ai plusieurs personnes. Et je me tiens avec des femmes qui ont plusieurs partenaires. Je n’ai jamais ressenti de jalousie, précise-t-il. Je ne suis pas capable. Ni de sentiment de possession. Au contraire... Mes dernières amantes, je voulais qu’elles me racontent leurs aventures. Ça m’excite. Je suis très voyeur. » Parlant de fantasmes, il en a aussi réalisé plusieurs au cours des 15 dernières années. Pensez fessée, trip à trois, etc. Bref, oui, il est plutôt comblé. Heureux ? « Je me sens bien. Heureux. Très, très heureux. J’ai appris beaucoup. » Et non, il n’a pas l’impression d’avoir raté sa vie. « Je vis dans le moment présent. L’instant présent. Et il y a plein d’affaires qui ne m’atteignent plus. Comme le rejet. Tout le contraire d’avant. Maintenant, je m’essaye tout le temps. Avec n’importe quelle femme. »

Morale ? « Il faut toujours garder espoir, quels que soient vos problèmes, vos blocages, dit-il. Je souhaite à tout le monde de s’émanciper. Il n’est jamais trop tard... » Et il en est la preuve incarnée.

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat