Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.
Cette semaine : Josiane*, 30 ans

Ça ne s’est pas passé dans une ruelle, un couteau sous la gorge, entre les mains d’un sale inconnu. Mais c’était un viol pareil. Un viol particulier, dur à cerner, dont on parle peu, mais qui peut faire souffrir longtemps. Josiane* l’a appris à ses dépens.

Précisons-le d’emblée : cette histoire finit bien. C’est sûrement pourquoi la jeune femme, 30 ans, sous sa tuque, ses lunettes noires et ses longs cheveux blonds (rencontrée virtuellement, confinement oblige), a voulu ici se confier : pour dénoncer une dure réalité, mais aussi donner un message d’espoir. Car c’est loin d’être une fatalité. Mais lisez plutôt.

« J’avais 15 ans, commence-t-elle dans un témoignage-fleuve, senti et truffé de rebondissements. C’était mon premier chum sérieux. Et ça a commencé très intense. » Tous deux fréquentaient la même école secondaire. « Et il était très pressé de passer à l’acte », se souvient-elle, en venant droit au but, sans qu’on le devine totalement, ni elle non plus. En tout cas pas à cette époque-là.

« J’ai hâte », « faut le faire », insistait-il. « Alors à force de se faire dire “s’il vous plaît, on s’aime, etc.”, j’ai fini par plier. » Elle réfléchit tout haut : « Est-ce qu’il y avait consentement ? Oui pis non. »

Chose certaine, il y a eu douleur. « Physiquement, ça m’a fait mal. Et émotionnellement, ça m’a chamboulée. Je n’étais pas prête. » Mais elle était jeune, c’était son premier, elle n’avait aucune idée, surtout personne à qui parler. « Ce n’est pas quelque chose dont on discutait beaucoup dans ma famille. Le sexe, c’était un peu tabou… »

Je n’ai pas appris à avoir de désir avant de passer à l’acte. C’était lui qui décidait où et quand.

Josiane

Ça a duré comme ça 10 ans. « Avec des hauts et des bas, des très hauts et des très bas, poursuit-elle. Et le sexe a toujours été une source de confrontation. » À travers toutes les étapes de vie, le cégep, l’entrée sur le marché du travail, le premier appartement, « le sexe a toujours été une source de problèmes », insiste-t-elle. Pourquoi donc ? « Nos libidos n’étaient jamais au même niveau. » On comprend que celle de monsieur était surtout toujours supérieure. « Et si jamais je disais non, je me sentais mal. Il me disait : “ce n’est pas normal, tu devrais consulter”. Bref, c’était de ma faute ; 70 % de toutes nos relations sexuelles se sont passées sous la pression. Il fallait que je m’exécute. »

Lui arrivait-il tout de même de prendre son pied ? « Je n’ai jamais été capable d’atteindre l’orgasme grâce à lui, répond-elle sans la moindre hésitation. Alors j’ai fait semblant pendant toute la relation. » Semblant ? « Dans ma tête, ça n’était pas vraiment grave. C’est cliché, la femme qui fake l’orgasme. Mais le plus important pour moi, c’était qu’il soit content à la fin. Et vu que je n’avais pas vraiment de satisfaction, je voulais que ça se termine le plus rapidement possible. C’était rendu une tâche… »

Parenthèse : en solo, avec ses jouets, Josiane n’avait pas de problèmes sur ce plan. « Mais dès qu’il était à côté de moi, ça ne fonctionnait pas. Je sentais une pression. C’est vraiment seulement quand j’étais seule que ça fonctionnait. Alors je fakais. » Il faut dire que monsieur n’aimait pas trop qu’elle s’amuse toute seule non plus : « Il ne voulait pas que ça arrive trop souvent, que je puisse m’autosatisfaire sans lui, comme s’il ne voulait pas que je préfère mes jouets sexuels à lui… »

Toujours est-il qu’avec les années, Josiane n’a plus suffi à monsieur. Vous devinez la suite : « Il s’est mis à avoir des aventures ici et là. » Avec des collègues, une voisine, même un membre de sa famille. « Avec tous les clichés… » Chaque fois, elle l’a su. Et chaque fois, Josiane a pardonné. « Il me disait : “j’ai une grosse libido, tu ne me stimules pas assez”. Et lui, l’interdit le stimulait tellement… »

Il réussissait tout le temps à présenter ça comme si c’était lui, la victime…

Josiane

À chaque crise suivait une lune de miel. « Et il redevenait le chum parfait. » Au point où Josiane a fini par y croire : « J’étais inadéquate. »

Ils ont fini par se séparer. Une fois, deux fois, trois fois. Chaque fois, monsieur est parti, a changé d’appartement, même vendu ses meubles. Puis il est revenu, repentant, à coups de « je suis allé vivre ma jeunesse » et autres « j’ai fait le tour », en passant par « fini le niaisage », « je veux un couple stable ». « Je le croyais sincère, se justifie Josiane. Et puis, je l’aimais encore. On était don’ cute. J’avais juste eu un chum dans ma vie. C’était mon premier. Rencontré au secondaire… »

Jusqu’à ce que ce soit Josiane, un jour après une trahison de trop, qui prenne la décision de partir. Pour de bon. « On était rendus plus sérieux. On pensait acheter une maison. Fonder une famille. Et ç’a été le dernier coup. Il m’a trompée avec une collègue. »

C’était il y a quatre ans. Et c’est là que, enfin seule, séparée « net », Josiane a pu faire une certaine introspection. Ça n’a pas été bien long. Mais elle a réalisé, grâce à plusieurs balados (dont celle de la youtubeuse Cam Grande Brune, pour ne pas la nommer, et sa capsule-choc sur le viol conjugal), ce qui lui était arrivé. « Une révélation ! dit-elle. C’est ça que j’ai vécu ! Ça a un nom ! »

Même si tu es en couple, si la relation n’est pas consentante, c’est un viol. Un viol conjugal.

Josiane

« J’ai tellement pleuré. C’est ça. Non seulement ça a un nom, ça n’est pas correct, mais ce n’est pas juste moi. »

Mais l’histoire ne s’arrête pas là : quatre ans plus tard, Josiane n’est plus la même femme. Elle a rencontré un nouveau copain, sur Tinder, par-dessus le marché. « Mais je me suis juré de prendre mon temps et m’écouter. C’était quelque chose que je ne voulais plus jamais revivre. Alors ça a pris trois mois avant qu’il ne se passe quelque chose de physique. » Trois mois ? « Je n’étais pas prête émotionnellement, dit-elle. Et j’avais peur de devoir être encore au service de… » Bilan ? « Je me suis respectée. On a attendu. Et maintenant, j’ai une relation vraiment saine, et je n’ai jamais peur de dire non ! » Mieux : « Je suis capable d’avoir un orgasme quasiment toutes les fois ! »

Ce n’est pas tout. Elle nous a gardé le meilleur pour la fin. Et nous aussi : « Maintenant ça fait trois ans, on va avoir une maison et on a un bébé en route, dit-elle, dans un grand éclat de rire. Un bébé de la pandémie ! »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat.

> Voyez la vidéo de la youtubeuse Cam Grande Brune sur le viol conjugal

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