Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Cette semaine : André*, 67 ans

André* fréquente la même travailleuse du sexe depuis 20 ans, dénichée, tenez-vous bien, dans les petites annonces de La Presse. Entretien.

Assis devant un chocolat chaud un matin glacial de janvier, l’homme de 67 ans, cheveux blancs, yeux doux et sourire tendre, ne se fait pas prier pour se raconter. C’est que c’est la première fois qu’il se confie, en fait. La toute première fois. Personne n’est au courant de son histoire. Et pour cause. Est-ce que ça se raconte seulement ?

Il faut dire qu’il est marié depuis plus de 40 ans avec la toute première femme de sa vie. Vous avez bien lu. « Je suis encore marié avec la même femme, la première avec qui j’ai eu une relation sexuelle, confirme-t-il doucement. Donc c’est ça. Je fais partie de cette génération-là. »

Mais encore ? « On ne pouvait pas faire autrement, poursuit-il, entre deux gorgées de chocolat. Je fais partie de la génération où l’on ne pouvait pas sortir de chez soi sans se marier. » Alors c’est ce qu’il a fait.

Et puis ? Au lit ? « À peu près comme tout le monde. On manquait d’expérience. C’est avec le temps que ça s’est développé. » On lui demande de préciser : « On avait des relations régulières. Pas beaucoup de fantaisie, pas de positions particulières, assez conventionnelles. »

On devine que ce n’est pas vraiment de cela qu’il a envie de parler. Il faut dire que depuis un an, ses rapports avec sa femme se sont espacés. Drastiquement, par-dessus le marché : d’hebdomadaires à trimestriels. Étrangement, quand rapports il y a, ceux-ci sont forts et intenses comme jamais. « Avec le temps, on a développé des positions qui lui font perdre la carte. À chaque fois, elle a un orgasme très intense, alors j’ai du mal à intégrer […] : si quelque chose te plaît, pourquoi tu ne le répètes pas plus souvent ? »

Mais ils font aussi partie d’une génération où l’on ne se parle pas. En tout cas, pas de ces choses-là. Alors c’est à nouveau ce qu’ils font, comprend-on.

De son côté, André, lui, a des besoins. Beaucoup. Depuis toujours, il se masturbe, quasi quotidiennement, confirme-t-il. Encore maintenant.

Mais venons-en à cette travailleuse du sexe. Toujours est-il qu’après les enfants, début quarantaine, donc, les moments d’intimité avec sa femme se faisant plus rares, André s’est mis à éplucher les petites annonces. Par curiosité d’abord : « compagnon cherche compagne », croit-il se souvenir. Parenthèse : non, il n’a jamais pensé sérieusement ici quitter sa femme. La mère de ses enfants. Enfin, pas vraiment. « Pour le sexe ? Oui. Mais pour le reste : c’est une personne très enjouée, vous savez, elle rit tout le temps. Et puis on est très famille… » À ce jour, souligne-t-il, leurs réunions familiales, avec enfants, et aujourd’hui petits-enfants, sont sacrées. Au carré. Fin de la parenthèse.

De « compagnon cherche compagne », donc, il est ensuite passé aux offres de « services personnels », ou peut-être était-ce « massages », il ne se souvient plus trop. Chose certaine, il se rappelle très bien ce mot-ci : « Jolie rousse te reçoit chez elle… »

« J’ai hésité un certain temps. J’appelle ou pas ? Qu’est-ce que je vais chercher ? Les escortes, est-ce que c’est toutes des droguées ? »

Je ne voulais pas développer une relation, je ne voulais pas tromper ma femme. OK, c’est sujet à interprétation, mais je cherchais quelque chose de physique…

André

Évidemment, suppose-t-on, il n’en a pas parlé à sa femme. « Ben non », confirme-t-il.

« Et puis j’ai fini par appeler : elle avait une voix douce, calme, enchaîne-t-il. Je percevais une femme attentive… » Séduit d’abord par sa voix, son ton, puis ses explications, il a pris son courage à deux mains et s’est rendu chez elle. À titre d’entrepreneur aux horaires souples, ses allées et venues n’ont jamais soulevé de soupçons, assure-t-il.

« Elle m’a ouvert la porte, elle n’était pas plus sexy qu’il faut, plutôt naturelle, et c’est vraiment venu me chercher. Elle ne correspondait pas du tout aux stéréotypes. »

Elle lui a demandé ce qu’il voulait. Et il a tout bonnement répondu qu’il voulait « faire l’amour ». Et c’est ce qu’ils ont fait. L’amour. Puis parlé. Avec intérêt, précise-t-il.

Et puis ? « C’est sûr que je me sentais heureux et coupable. C’était sans ma femme ! » Et si différente par ailleurs : « Elle prenait l’initiative, elle voyait que j’étais un peu coincé, alors elle prenait les devants. »

André est retourné la voir plusieurs fois cette année-là, avant de prendre une « pause ». Une pause ? « Oui, j’ai eu peur de tomber amoureux de cette personne qui venait combler un manque… » Sauf que le manque, justement, a été trop fort, et il a fini par revenir. Et ça n’a jamais cessé depuis.

Une fois par mois, ou parfois même toutes les trois semaines, et ce, pendant de longues heures, il va la voir. Avec elle, il explore. Et cette exploration l’a amené dans un univers insoupçonné. « Moi, je dirige un groupe, une compagnie, et j’ai besoin que quelqu’un prenne parfois le contrôle. Que quelqu’un d’autre me guide, dit-il. Et tranquillement, on a expérimenté différentes choses. » Vous l’aurez deviné : « Le BDSM léger, la domination, on a fait des découvertes très intéressantes », poursuit-il, exemples de laisses, de cire chaude et de cellophane à l’appui. Il lui a même construit un donjon dans son sous-sol, en plus d’une foule d’accessoires « pour s’amuser ».

« De plus en plus, c’est devenu un jeu, et de plus en plus je lui laisse le contrôle à elle. Je ne sais jamais où ça va s’orienter, et c’est ça qui me plaît. Elle a une imagination débordante », sourit-il.

Avec les années, il a découvert qu’il s’agissait d’une professionnelle, qu’elle aimait vraiment son travail, bref qu’elle était loin, très loin, du cliché de la fille droguée archi-médiatisé. C’est aussi pour montrer ce portrait différent qu’il a tenu à nous rencontrer, glisse-t-il à plusieurs moments pendant l’entretien.

Avec les années, cette relation, aussi physique soit-elle, s’est développée. Et ça le perturbe, forcément. « Au niveau de la relation intellectuelle, il y a des choses qu’elle sait que ma femme ne sait pas, dit-il. Comment se fait-il que je me sente si bien avec elle, et que j’aie moins d’intimité avec ma femme ? »

À la maison, ses relations « matrimoniales » se sont espacées, disions-nous, et en prime, André a parfois des « pannes » avec son épouse, finit-il par confier, après plus d’une heure de confidences sur ses découvertes exotiques avec sa « jolie rousse ». « Est-ce que c’est parce que j’ai de la difficulté à être excité quand c’est juste du régulier ? »

Il réfléchit tout haut, puis enchaîne : « Qu’est-ce que je fais là depuis 20 ans ? Ça m’apporte sûrement quelque chose ! » Et c’est ce quelque chose d’indéfinissable que ça lui apporte, manifestement, qui l’a amené ici à témoigner.

* Nom fictif, pour protéger son anonymat.

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