François* en a marre. Plein son casque des hommes doux, mous, « castrés ». Entretien avec un « mâle alpha » autoproclamé qui s’assume.

Il nous a écrit à la fin de l’été, hors de lui, à la suite du témoignage d’un homme qui racontait être resté 15 ans avec une femme pour le bien des enfants. Un homme timide, de son propre aveu peu entreprenant, et surtout pas « dominant ». Le récit a fait bondir François : « Je suis un mâle alpha début cinquantaine […], homme d’affaires, sportif et d’un tempérament gladiateur, et oui, j’ai une libido très forte. Mais je suis avec ma chérie depuis 30 ans, on a un enfant et des petits-enfants, elle est ma meilleure amie et je suis toujours respectueux avec elle. […] Pour moi, c’est ça, être un homme ! […] Il faut que la féminisation des mâles cesse ! »

Attablé dans un restaurant chic du centre-ville, devant une assiette de sushis et une bouteille de Sancerre, il en remet : « On dirait que c’est une maladie, être un mâle alpha ! Mais ça ne veut pas forcément dire que t’as des gros bras et une camisole ! » Ce gestionnaire de Québec en est la preuve incarnée, avec sa chemise repassée, ses cheveux coupés court et sa barbe rasée de près.

Mais où est née cette « alphattitude » ? Aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours été ainsi. « J’étais joueur de hockey, avec tout ce qui vient avec », dit-il, comme si ceci expliquait cela. « C’est très facile d’avoir des filles quand tu es joueur de hockey. Ce n’est pas une rumeur… » Sa première relation sexuelle ? À 14 ans. Première blonde ? Vers 15 ans, un coup de foudre qui aura duré deux mois. Ensuite ? « Je n’ai pas fait de décompte », rit-il, d’un air entendu.

À l’université, il vit avec deux filles, en mode Three’s Company (en amis, comme dans la série). « Je faisais la vaisselle », prend-il soin de souligner. Et puis ? Au lit, il était comment ? Les bras croisés, il nous regarde droit dans les yeux (bleus) : « passionné », répond-il avec intensité. Il prend une pause, et ajoute : « Et je le suis toujours. Peut-être que c’est ça, mon côté alpha. Je ne suis pas pétales de roses et bains moussants. Je suis passionné. C’est ce qui me caractérise. Il faut que ça bouge. »

Il rencontre sa « chérie », comme il l’appelle, sa femme, sa meilleure amie et la mère de son enfant, quelque part dans la vingtaine. Et puis ? « Ça allait très bien, comme ça se passe encore très bien aujourd’hui. Il faudrait lui demander. Je ne m’attendais pas à ce genre de détails… » Vraiment ? On ne le croit pas. Il ne veut pas aller là ? On insiste et il le reconnaît : « Je ne peux pas ne pas parler de ça. » Alors ? Entre deux gorgées de vin, il ose enfin : « Au début, c’était très, très fréquent, rit-il de bon cœur. C’est juste ça qui a changé avec le temps : la fréquence. Mais on a trouvé des moyens… » Lesquels ? Il hésite, puis lance : « l’échangisme ! »

Alpha et échangiste

On ne l’avait pas vue venir, celle-là. François finit par accepter de se raconter pour le bien des lecteurs : « parce que les gens ont une mauvaise perception, comme si l’échangisme, ça se passait toujours dans des clubs, comme si c’était des orgies romaines. Ça peut être ça, mais pas nous ! Et on n’est pas les seuls… »

Comment ils en sont venus là ? « C’est elle qui me l’a proposé. » Contexte ? Il raconte la vie, la famille, la job, « le classique », quoi, qui fait que plutôt que de faire l’amour tous les jours, un couple se met à espacer ses relations. « Et c’est tout à fait normal. Ce n’est pas négatif. Je n’avais pas de problème. » N’empêche. « J’ai une libido excessivement élevée. Elle, disons normale », précise-t-il. Non, il n’a jamais pensé aller voir ailleurs. « Ce n’est pas mon genre. » Précision : « Je suis avant tout avec ma blonde non pas pour le cul, mais pour son cerveau », déclare-t-il, toujours de son regard perçant.

Un soir, autour d’un verre, elle lui propose le plus naturellement du monde d’essayer d’« échanger ». « Ça te tenterait-tu ? » C’était il y a 10 ans.

Alors ils se sont inscrits sur un site (ou plutôt elle, puisque c’est madame qui mène depuis les démarches), ont rencontré deux ou trois couples, avant de se fixer sur le bon. « Il faut que tu aies des affinités. Après quelques rencontres, on a trouvé un fit. C’est la règle d’or absolue. » Ils se sont vus « en exclusivité », si on veut, pendant cinq ans. Après quoi le couple en question s’est séparé. Depuis, ils ont trouvé un autre match (dit-il en grimaçant, n’appréciant visiblement pas le mot), et ils se fréquentent depuis cinq autre années, à raison d’un rendez-vous ou deux par mois.

Comment ça se passe ? « On se voit chez eux. Ou chez nous. Mais on ne fait pas ça tout le monde ensemble, précise-t-il. Chacun sa chambre. On é-chan-ge », précise-t-il, en insistant sur chaque syllabe. Ils soupent à quatre, puis partent respectivement pour la nuit. « Et on se retrouve tous les quatre pour le déjeuner. […] Ça a toujours été comme ça. »

Sans règles établies, mais le tout dans la plus grande harmonie ? Absolument, assure-t-il. « C’est juste du fun. Un bon repas, du bon vin et du bon temps. Pourquoi compliquer quelque chose qui est simple ? » Mais attention, nuance-t-il aussitôt :

Ceux qui veulent patcher quelque chose ou sauver leur couple, il ne faut pas faire ça. C’est bon, disons, pour mettre du piment.

François, début cinquantaine

Mettre du piment comment ? François cherche une image : « un petit plus », dit-il. « Tu conduis une Mercedes, ça, c’est prendre un cours de Ferrari. » Mais tu ne conduis pas la Ferrari tous les jours non plus. « Ma chérie, c’est ma meilleure amie. Je ne mettrais jamais mon couple à risque pour avoir du fun. Si quelque chose ne fait plus ton affaire, ça se termine là. »

Cela étant dit, il ne veut pas trop savoir ce qui se passe dans la chambre de sa femme. Même s’il se doute : « Elle est plus soft que moi. Moi, plus passionnel, répète-t-il. Alors c’est le fun qu’on puisse retrouver dans ça, ce qu’on a un peu moins chez soi. Moi, un massage d’une demi-heure, c’est pas mon genre. Elle, c’est ça qu’elle va chercher. Moi, je peux faire ça trois fois dans la nuit… »

Et quand ils se retrouvent, disons au lit, ça se passe comment ? « Toujours extraordinaire », répond-il, sans la moindre hésitation. Il n’a aucunement peur qu’elle soit séduite par un autre. Ni lui de tomber pour une autre. « Le cul n’est pas une fin en soi. Je serai toujours avec ma femme, même si elle est un jour en fauteuil roulant. L’amour, le cul, ce sont deux affaires absolument différentes. »

Le secret ? « On se parle ! Je sais que c’est cliché, mais c’est ça le secret de la réussite d’un couple. Tu te parles ! Même un gros alpha comme moi, ça parle ! Je ne pleure pas, mais je parle… », rit-il.

Ils ont d’ailleurs un « running gag » : « Tout le monde est échangiste, conclut-il. C’est juste que c’est pas tout le monde qui se le dit… »

*Prénom fictif, pour protéger son anonymat.