Parce que ça se passe à Montréal, parce qu’il en consomme comme tout le monde (ne niez pas, les chiffres sont là), et aussi parce qu’il a un jour espéré se faire payer pour des attouchements déplacés (son #moiaussi à lui), Jean-Marc Beausoleil publie ces jours-ci un livre inclassable, choc et divertissant, à la fois informatif et ludique, mais avant tout littéraire : Pornodyssée, dans une librairie près de chez vous dès mardi.

Comment diable est-ce qu’un professeur de cégep, bon père de famille de surcroît, se retrouve-t-il à faire une telle « odyssée » dans le monde tabou s’il en est du porno ? Il faut savoir que l’auteur (à qui l’on doit Monsieur Boris et le cannabis) n’en est pas ici à une provocation près. Il répond sans détour à nos questions, assis confortablement dans son salon, tantôt léger, tantôt grave, toujours enflammé (comme son livre, finalement), en ayant pris soin, rassurez-vous, d’envoyer son jeune garçon jouer au parc. C’est un sujet « d’adultes », après tout.

« Mon but, c’était de faire un bon livre, répond-il d’emblée. J’écris. Ça fait partie de ma vie. C’est une discipline de vie. Un mode de vie. Je cherche toujours des sujets ! »

Quand il a commencé son « enquête », quelque part début 2018, il était loin de se douter de la taille de cette industrie au Québec. Que des géants comme Mindgeek (entreprise techno, propriétaire de Pornhub, l'un des plus gros diffuseurs de porno au monde) ou Gamma (autre acteur dominant dans l’industrie) soient installés dans la métropole depuis de nombreuses années déjà, il n’en avait pas la moindre idée. Un petit tour sur Facebook plus tard, et il avait son filon : des « pornstars » bien de chez nous s’y affichent, et ce, bien fièrement. « Qu’on s’affiche comme pornstar au Québec, je n’avais jamais vu ça ! »

Pas « moraliste »

Écrire un « bon livre », pour Jean-Marc Beausoleil, c’est surtout faire quelque chose qui donne « le vertige », dit-il. « Je ne suis pas moraliste, précise-t-il. Je suis écrivain. Je veux que ce soit trippant. » Trippant certes, mais surtout intelligent, réussissant à s’éloigner à la fois de l’« angélisme » (« il y a des dangers et il faut en parler »), sans tomber dans le puritanisme (« parce qu’il y a plein de gens qui font un peu de sous et qui sortent sans stigmates majeurs »). D’où l’idée toute simple et osée à la fois : « en parler », résume-t-il. « Je pense qu’il faut avoir une réflexion là-dessus : pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, on a du porno diffusé gratuitement de façon continue dans nos poches ! La génération des milléniaux est la génération qui baise le moins, et c’est sûr que c’est lié au porno ! »

Je ne veux pas démoniser le porno. Mais, à la limite, c’est comme le vin. Si tu commences avec un verre le matin, ce n’est pas sain…

Jean-Marc Beausoleil, auteur

Et pour en « parler », justement, Jean-Marc Beausoleil, qui se veut de l’école du « new journalism », un journalisme « narratif » à la Hunter S. Thompson, ascendant gonzo, nous arrive ici avec un ouvrage mi-journalistique (statistiques, études et entrevues d’experts au menu), mi-essai (écrit au « je »), en fin de compte hautement divertissant.

Car contre toute attente, les pornstars québécoises trouvées sur l’internet ont tous répondu à son invitation. Les Kira Burn, Jessy Jones et autres Sunny Spark, il les a rencontrés, côtoyés, interviewés, et ce pendant six mois. « Ils n’en revenaient pas, se souvient-il. “ Tu vas faire un livre sans images ? ” »

Sans images, mais hautement coloré

Mieux : sans images, mais avec moult détails, l’auteur y raconte un « casting party », un congrès de pornographes, et bien sûr un tournage (dans un Airbnb, pour confirmer le cliché). Il y décrit les « performeurs » (un mot adopté de l’anglais, qu’il préfère à « cascadeur », employé en France, parce que plus proche de la « performance » que représente effectivement le métier), leur passé (souvent « magané »), et surtout leur présent (toujours coloré, disons). On y apprend notamment que chez les « performeurs », les smoothies vitaminés ont la cote le matin. Les gros pénis (25 cm !) demeurent les plus vendeurs, les seins siliconés démesurés, moins. Porno, cosplay et horreur vont souvent de pair, et les familles reconstituées jouissent aujourd’hui d’une grande popularité. « Tout le monde bande pour “ je couche avec la fille de la blonde de mon père ” », écrit Jean-Marc Beausoleil. Ah oui, et le mot le plus recherché au Québec sur Pornhub ? Ça ne s’invente pas : « Québec » !

De son propre aveu, certains « performeurs » l’ont fait « rire », d’autres donné envie de « vomir », écrit-il, citant tantôt Virginie Despentes, tantôt Sade, ou pourquoi pas Baudelaire, pour parler enfin franchement de ce qu’il qualifie de « pacte faustien du porno ». Littéraire, vous dites ? Lors d’un tournage dans un appartement de Côte-des-Neiges, Jean-Marc Beausoleil avoue aussi candidement avoir vécu une « pornoépiphanie » (en regardant « deux corps parfaits s’accoupler si sauvagement »).

Certes, ce manque d’objectivité assumé risque de choquer. Tant mieux, dit celui qui, dans son ultime chapitre, arrive aussi avec un coming out choquant s’il en faut : son #moiaussi à lui. Pourquoi là ? Pourquoi si loin ? « Je n’avais jamais, jamais, jamais parlé de ça, répond-il. Mais j’en avais besoin. Et ça rend la chose vraie. » Vraie. Crue. Et le sujet d’autant plus proche.

J’explore cette question : jusqu’où on peut aller quand on est père de famille, prof au cégep, sans être hypocrite ?

Jean-Marc Beausoleil, auteur

Comme le souligne l’autrice (et ex-escorte) Mélodie Nelson dans la préface : Jean-Marc Beausoleil « pousse à aller au-delà de l’excitation ou des frictions d’une société qui se branle d’une main et qui se flagelle d’une autre » en osant la grande et fondamentale question : « pourquoi détestons-nous les personnes qui sont, pour un moment, un fantasme ? »

« On est ambivalent, conclut Jean-Marc Beausoleil, je ne dis pas que je règle cette ambivalence, mais au moins, je l’explore. » C’est le moins qu’on puisse dire.

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Jean-Marc Beausoleil, Pornodyssée, Éditions Somme toute, 171 p.