Une deuxième vague a déferlé sur le Québec, mais ce ne fut pas celle attendue : de nouvelles dénonciations de harcèlement sexuel ont afflué ces derniers jours, poussant certains à se demander si le message sur le consentement est bien passé. D’ailleurs, quelle place occupe-t-il dans l’éducation à la sexualité ? Et comment en optimiser la transmission ? État des lieux.

Premier constat : la notion de consentement figure bel et bien dans le programme des cours d’éducation à la sexualité établi par le ministère de l’Éducation, obligatoires depuis 2018. Elle y est même traitée sous plusieurs angles, tenant compte des situations particulières (écart d’âge, rapport d’autorité, pressions, etc.), et abordée indirectement dès le primaire. Les intervenants interrogés par La Presse ont estimé que les contenus de ces cours étaient adéquats dans l’ensemble.

Mais disposer de bons contenus ne résout pas tout ; il faut aussi pouvoir les transmettre de façon efficace. C’est entre autres l’une des critiques qui avaient émergé lors de la résurrection des cours d’éducation sexuelle : bien que globalement saluée, elle avait suscité des inquiétudes dans le corps enseignant, ne se sentant pas forcément outillé pour les donner de façon optimale.

Pour la plupart, les profs sont mal à l’aise de parler de sexualité, ils n’ont pas été formés, et ce n’est pas évalué par les directions d’école. C’est beaucoup de volonté, mais peu d’encadrement.

Joëlle Dalpé, coordonnatrice clinique jeunesse pour l’organisme communautaire Plein Milieu, qui intervient dans plusieurs écoles montréalaises pour assurer ces enseignements

« Ce ne sont pas des sexologues qui sont dans les écoles, ce sont les enseignants, les intervenants scolaires ou parfois l’infirmière scolaire qui assurent cette éducation. Le programme est bien, mais si on y va avec la saveur sexologique, on fait encore plus de prévention », dit pour sa part la sexologue Émilie Veilleux, directrice au développement de l’OBNL On SEXplique ça, qui diffuse des services d’éducation sexuelle auprès de la jeunesse. « C’est un sujet délicat, et si on s’en tient aux statistiques, il y a quand même beaucoup de victimes, il faut donc faire attention à la manière dont on aborde les choses. »

Des investissements supplémentaires ?

Les enseignants se retrouvent ainsi à jongler avec des concepts pas si évidents, comme celui du consentement.

On a tendance à penser que le consentement, c’est oui ou non, mais ce n’est pas un contrat aussi simple. Il y a tout le non-verbal, l’observation de la personne, le corps, le reçu.

Joëlle Dalpé, coordonnatrice clinique jeunesse pour l’organisme communautaire Plein Milieu

« Quand on regarde la vague de dénonciations, ça se passe souvent dans des bars, et dès qu’on a consommé de l’alcool ou des drogues, la notion de consentement devient très abstraite », souligne Mme Dalpé, qui pense que des financements plus conséquents devraient être accordés pour assurer ces enseignements.

Actuellement, les élèves du primaire et du secondaire doivent respectivement suivre 5 et 15 heures de cours d’éducation sexuelle par année, pendant lesquels une foule de sujets sont abordés : diversité, maladies, violence, etc. « On n’a pas assez d’heures au niveau scolaire pour expliquer l’ensemble du consentement », déplore Mme Dalpé, craignant qu’insister sur cet aspect du programme ne se fasse au détriment d’autres enjeux. Interrogé lundi en conférence de presse sur d’éventuelles bonifications de ces cours, le premier ministre François Legault a répondu que « cela fait partie de ce qui est regardé par [le ministre de l’Éducation] Jean-François Roberge » et les responsables d’autres ministères.

Parents : des paroles et des gestes

Reste que pelleter la démystification du consentement dans la cour des écoles demeure insuffisant, les parents et l’entourage ayant également leur rôle à jouer, souligne Stéphanie Deslauriers, psychoéducatrice et autrice. Elle note que la famille constitue un microsystème parmi d’autres, chargé de transmettre des valeurs éducatives cohérentes, dont l’affirmation de soi permettant l’expression du non-consentement, tout autant que le respect du non exprimé par autrui. Sans oublier d’en faire la démonstration. « C’est bien beau, parler du consentement, mais au-delà de ça, on est des modèles tous les jours », nuance-t-elle.

Par exemple, dans le temps des Fêtes, que fait-on si notre enfant ne veut pas donner des becs à mononcle et matante qu’il ne voit qu’une fois par année ? Ça commence là aussi, apprendre à notre enfant qu’il a le droit de dire non s’il n’est pas à l’aise et de le dire à ses proches.

Stéphanie Deslauriers, psychoéducatrice et autrice

La psychoéducatrice prévient aussi que, face à la pression sociale ou au désir d’avoir l’air d’être un bon parent, on n’ose pas toujours imposer nos limites et des refus ; tandis que bien des parents ont été élevés avec l’idée qu’il n’était pas poli de dire non. « Déconstruire ça, ce n’est pas évident pour tout le monde. Certains parents vont juste reproduire ce qu’on leur a appris, sans nécessairement se demander si cela contrevient au consentement. Est-ce que ça peut être un facteur de risque pour de futures agressions ? », dit-elle.

En outre, les parents ne sont pas forcément plus à l’aise que les enseignants, rappelle Joëlle Dalpé, précisant qu’eux-mêmes bénéficieraient sûrement d’une éducation en la matière.

Un enjeu global

Là encore, l’éducation au consentement ne se borne pas aux sphères familiale et scolaire, même si elles conservent un rôle-clé. Mmes Veilleux et Dalpé lancent d’une même voix que c’est une réflexion de société qui doit être menée, avec la participation de tout un chacun.

« C’est l’affaire de tous, ça part de la maison, des adultes, du milieu de travail, etc. », souligne la coordonnatrice de Plein Milieu. On a pu, par exemple, voir des personnalités de l’internet (youtubeurs, etc.) ou encore l’illustratrice Élise Gravel mettre la main à la pâte. Un changement de culture est également appelé. « Dans le rapport au consentement, on fait beaucoup de prévention au niveau des femmes : “Fais attention à comment tu t’habilles, ne rentre pas trop tard”, etc. Mais où est la prévention masculine ? Que dit-on aux garçons par rapport au consentement pour qu’ils comprennent qu’ils ont des responsabilités envers les autres ? », soulève Joëlle Dalpé.

— Avec la collaboration de Valérie Simard, La Presse