Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Cette semaine : Marguerite*, 65 ans

Marguerite* est mariée depuis 40 ans. Quarante belles années de bonheur et de saine complicité, à l’intimité riche, vibrante et épanouie. Jusqu’à ce que monsieur ait de petits soucis de santé. Depuis ? Exit la sexualité. Mais le couple s’aime encore, toujours, aussi fort, par-dessus le marché. Malgré (et avec !) les années. Portrait.

Ça, c’est la version officielle. La raison pour laquelle la dame de 65 ans, aux cheveux gris, coupés au carré, au regard maquillé toujours souriant, nous a écrit. « On a été très heureux dans la sexualité. Et on est encore très heureux dans la non-sexualité », a-t-elle dit lorsqu’on l’a rencontrée virtuellement à la fin du mois de mai. Mais la vérité, vous vous en doutez, est un peu plus compliquée. Quoique tout aussi belle et pleine d’humanité.

Rieuse, Marguerite plonge dans ses souvenirs sans se faire prier. « J’ai eu un premier mari, qui a été mon premier amant, à 18 ans », se souvient-elle. Sexuellement, « il a été mon professeur, et ça, ça a très bien été, je devais être une élève très ouverte », dit-elle d’un air entendu. C’est qu’elle en avait beaucoup à apprendre. Pensez-y : « Mes parents étaient extrêmement sévères. Pour ma mère, un french, ça équivalait à une grossesse… » Mais hormis la sexualité (« je n’ai jamais, jamais, jamais eu de problème à avoir d’orgasme »), la relation n’allait pas, mais pas du tout. « Le lendemain du mariage, il n’était plus la même personne. »

Un an plus tard, le couple éclatait. Et un mois ensuite, jour pour jour, Marguerite rencontrait celui qui allait devenir l’homme de sa vie et le père de ses enfants. Le sujet principal de cette chronique. « C’était un petit playboy, ça marchait très fort auprès des filles, mais j’ai dû lui faire de l’effet parce qu’il a abandonné toutes celles qui traînaient pour moi », dit-elle en riant. Et au lit ? « Grave ! C’était le premier soir ! Avec quelqu’un de nouveau, c’est toujours particulier », dit-elle en réalisant dans un fou rire : « Je dis ça, mais ça m’est arrivé deux fois dans ma vie ! » On rit en chœur et elle poursuit : « Il était très doux, très expérimenté. Moi, pas tant, mais j’avais du bon vouloir... » Air entendu, bis.

Ensuite tout a déboulé : six mois plus tard, ils aménageaient ensemble, deux ans plus tard, ils se mariaient, et quelques mois après, Marguerite tombait enceinte. « On ne voulait pas vraiment d’enfant, confie-t-elle en riant, toujours, mais tant qu’à en avoir un, on a eu un deuxième ! » Et surprise, un troisième n’a pas tardé à se pointer.

C’est avec une contagieuse légèreté qu’elle fait ici le récit de sa vie, où la sexualité a toujours été au centre du couple, comprend-on. « On a toujours eu une sexualité épanouie, un peu olé olé entre nous. »

On a toujours eu une sexualité épanouie et saine. On a beaucoup ri, et on rit beaucoup encore.

Marguerite, 65 ans

« On a toujours eu un rythme normal, deux ou trois fois par semaine, même avec les enfants. Les 30 premières années de notre vie de couple ont été comme ça. » Et ensuite ? C’est ici que ça se complique.

Autour de ses 50 ans, monsieur a commencé à avoir des soucis d’hypertension. Il a dû prendre des médicaments, lesquels ont entraîné leur lot de difficultés érectiles. À l’époque, Marguerite avait autour de 45 ans. « On ne comprenait pas trop, ni l’un ni l’autre, ce qui se passait... »

Parenthèse : Marguerite a cru un temps que c’était de sa faute. « À la suite de mes grossesses, j’avais eu un petit problème de poids. En tout cas, à mon point de vue. Alors quand c’est arrivé, j’ai pensé que peut-être il me trouvait moins attirante. » Du coup, elle a « travaillé plus fort » et redoublé d’ardeur au lit (« je n’étais pas agressive, mais plus proactive ») pour démontrer qu’elle n’avait rien perdu de « ce côté-là ». Pour démontrer, quelque part, qu’il n’était « pas la peine d’aller voir ailleurs », dit-elle en riant aujourd’hui. « Des fois, on s’imagine des affaires... » Fin de la parenthèse.

Le Viagra ne règle pas tout

« Au fil du temps on s’est rendu compte que ce n’était pas moi, mais lui, sa médication, alors on a pris du Viagra. » Et avec cela, ils ont roulé 10 bonnes années. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que la pilule bleue n’est pas non plus magique. Elle prenait une heure avant de faire effet, puis durait quatre heures. « Mais quand ça fait 30 ans que tu es avec quelqu’un, tu n’as pas besoin de préliminaires qui durent une heure, dit-elle. En tout cas, pas moi ! Alors disons que ça nous donnait des défis. » Des défis qu’ils ont pris au début avec un grain de sel (« on a ri beaucoup », répète-t-elle), comme un jeu (« on prenait des rendez-vous qu’on mettait à l’agenda »), jusqu’à ce que tout cela fasse finalement son temps. « Ça nous a très, très, très bien accommodés 10 bonnes années. Mais à un moment donné, ça ne fait plus effet... »

Ils ne rajeunissent pas, constate-t-elle, monsieur prend toujours ses médicaments, bref, cela devenait « de plus en plus difficile ». Surtout, « ça nous mettait une pression à tous les deux ! »

On a été tellement heureux dans notre sexualité. Et là, c’était rendu dur. Pénible. Il fallait travailler fort.

Marguerite

Ils en ont discuté (« en long et en large, de toutes les façons, on a pleuré et ri, parlé beaucoup, beaucoup ») pour finir par cesser de se mettre cette pression. Finies les pilules. C’est assez. La dernière fois, c’était il y a trois mois, dit-elle. Soit au début du confinement.

Depuis ? Sexuellement ? Rien de rien. Beaucoup de tendresse (« on est bécotteux, dit-elle, 50 fois par jour ! »), un confinement doré (« on vit une lune de miel ! »), mais zéro sexualité. Si ça la frustre ? Le mot est trop fort. Mais ça l’attriste, c’est sûr. « Ça me fait de la peine. On a tellement eu une belle vie sexuelle... » Il faut dire qu’elle n’ose rien lui demander. « Je me sens coupable d’avoir du plaisir et lui pas. Alors je n’ouvre pas la porte à ça. Je me sens coupable. Il n’y a pas d’autre mot... »

Ont-ils consulté ? « Jamais, et on s’en veut. Mais ça demande du courage de consulter en sexualité. Surtout pour un vieux couple. Mais ça ne veut pas dire qu’on n’ira pas… »

Avant de conclure, on se promet de lui envoyer des liens vers des ressources en ligne. Qui sait...

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat