Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Cette semaine : Christophe*, début soixantaine

Christophe* aime les femmes. Il les a toujours aimées. Et elles semblent ne pas l’avoir détesté non plus. Il faut dire qu’il en a connu plusieurs. Mais ne lui dites pas qu’il collectionnait les aventures. Car chaque rencontre était pour lui une « découverte ». Une leçon. Un apprentissage, disons. Récit d’une « éducation sentimentale » à sa façon.

Début mai. Il fait frais. Mais le cool sexagénaire (est-ce un blouson de cuir ?) nous a donné rendez-vous (virtuellement, s’entend) dans un parc. « Distanciation conjugale » oblige, dit-il en souriant, derrière ses lunettes fumées, les cheveux blancs au vent.

Avec son air bohème, Christophe a l’air soit d’un poète, soit d’un professeur d’université. Ou les deux. Avec un stylo en main, il nous cite tantôt Balzac, tantôt Flaubert, entre quelques anecdotes mi-salaces, mi-prudes, toujours dans les limites du bon goût, comme s’il nous faisait ici la lecture d’un roman. C’est que sa vie en est un peu un, finalement.

Il commence son récit en nous parlant de son enfance, en région, dominée par une religion catholique « envahissante », résume-t-il. « On ne parlait pas de sexualité. Tout était pêché. Regarder une fille était pêché ! » Avec sa majorité, l’homme quitte sa région pour étudier (en littérature, on l’aura deviné) à Montréal. C’est ici qu’il fait la rencontre d’une femme de 12 ans son aînée, laquelle s’est chargée de son « éducation sentimentale », comme il se plaît à le résumer, en parlant toujours des mains, un petit sourire en coin.

J’étais timide. Très effacé. Gêné. Aujourd’hui, je suis capable de parler devant 1000 personnes…

Christophe

C’est que la dame l’a « déniaisé », comme on dit, et comme il finit par avouer aussi du bout des lèvres. « C’était l’encyclopédie de la vie ! » Mais encore ? « Moi, j’étais très gêné, répète-t-il. Je n’aimais pas mon corps. Je trouvais mon objet sexuel encombrant. Et c’est elle qui m’a fait découvrir mon corps... » Comment ? « C’était très pédagogique », se borne-t-il à répondre pudiquement, en riant. « Mais je me suis rapidement senti à l’aise... »

Parenthèse : certes, elle avait 34 ans, mais, précise-t-il, « elle était très rassurante ». « Je lui faisais extrêmement confiance, et je n’ai jamais interprété cela comme si elle abusait de moi. » C’est dit. Et on l’avait compris.

Leur histoire, commencée dans un cours de littérature (on avait vu juste), a duré trois ans. Trois ans de « fréquentations » (comme on dit aujourd’hui), tout sauf exclusives. « À l’époque, c’était la libération des mœurs, la libération de la sexualité. Et elle faisait partie de cette nouvelle mentalité rafraîchissante... »

Toujours est-il que grâce à elle, et à sa fameuse « éducation », Christophe a gagné en confiance. En aisance. Et en conquêtes. « Je me suis aperçu que je pouvais être attirant pour la gent féminine. Je me suis aperçu que je pouvais séduire. Sans être un Apollon, ce qui n’est pas le cas, dit-il, en toute humilité. Mais j’ai pris conscience que j’étais intelligent, que je pouvais établir des liens avec des femmes, de très belles femmes de mon âge, qui se sentaient à l’aise avec moi. »

Des liens ? « J’ai pu appliquer ce que j’avais appris avec la femme de 34 ans, dans la qualité des échanges qui pouvaient se développer... », résume-t-il.

Un exemple ? Des anecdotes « insolites » et visiblement flatteuses lui reviennent en tête, comme cette femme, quelques jours avant son mariage, qui avait passé avec lui une nuit « inoubliable », ou encore cette autre, au sortir de la buanderie, alors qu’il lisait La femme de trente ans, qui lui avait demandé tout sauf innocemment : « Tu veux savoir c’est quoi, une femme de 30 ans ? »

Ce sont des situations comme celles-là, toujours dans le respect, qui sortaient de l’ordinaire…

Christophe

Et s’il en profitait ? À l’époque ? Chaque mois, confirme-t-il, tout en nuançant notre question. « Je n’aime pas le terme ‟profiter”. C’était toujours dans le consentement mutuel », précise-t-il. Noté.

Il a donc saisi les occasions, disons cela comme ça, jusqu’à ses 23 ans environ, en rencontrant celle qui allait devenir sa femme et la mère de ses enfants. Une petite parenthèse de 10 ans dans sa vie. Car si, au début, tout allait pour le mieux, trois enfants plus tard, ils se sont éloignés. Scénario connu et entendu : « C’est devenu routinier, et on s’est perdus de vue », dit-il, au sens métaphorique du terme. « J’étais dans un cul-de-sac conjugal. »

Une fois séparé, Christophe ne cache pas s’être senti enfin libéré. « Une grande libération », renchérit-il. « Et j’ai repris mon mode de vie », enchaîne-t-il, à raison d’une rencontre par mois (ou deux), environ. « Certaines ont duré quelques mois, se souvient-il, mais je ne voulais pas m’engager. Je craignais la routine, la passion qui s’étiole. Ce qui est beau quand on rencontre une femme qui nous intéresse et qu’on intéresse, c’est qu’il y a quelque chose de magique. Comme un trésor. Alors qu’après 10 ans de mariage, avec l’habitude, on devient empoussiérés... »

À cet égard, il est ici conscient de ses limites. S’il était un bon amant ? « Je dirais que sur le long terme, peut-être pas, concède-t-il. À cause de l’habitude. À un moment donné, c’est répétitif. L’usure fait en sorte que la relation est périmée. »

Sur le court terme ? Sans fausse modestie, « évidemment, je dirais oui », dit-il en souriant, sans la moindre hésitation. Rare moment de vulnérabilité, il ajoute :

Mais je conjugue au passé : parce qu’on n’a plus la même énergie qu’on a eue. Aujourd’hui, c’est différent. Avec le vieillissement, on n’a plus le même entrain. Plus la même vitalité…

Christophe

C’est ainsi qu’autour de 50 ans, Christophe s’est de nouveau marié. Avec la femme qui partage encore sa vie aujourd’hui. Au début, c’était « le paradis », dit-il. « On avait une communication sexuelle extraordinaire. » Probablement sa meilleure partenaire à vie. Pour cause : « On s’est connus à une époque de maturité sexuelle et sensuelle. » Aujourd’hui ? « On n’a plus 30 ans », dit-il, sagement. S’il l’a trompée à quelques reprises – « je peux compter sur les doigts d’une main les fois où j’ai succombé » –, il ne s’en vante pas. « La chair est fragile, dit-il. Mais j’ai pris ma retraite. Et c’est un facteur de protection... » Et somme toute, il apprécie désormais sa vie « conjugale ».

En revisitant ces « chapitres » de sa vie, comme il dit, un exercice manifestement remuant, il en vient finalement à ce constat : « Chaque femme, dit-il, c’est extraordinaire ! Le plaisir physique est riche d’apprentissages, c’est comme si la vie était un apprentissage permanent ! » D’où sa morale, la raison de notre rencontre, et le message qu’il souhaite ici lancer : « Profitez de la vie, dit-il. Faites les bons choix, et n’hésitez pas à vivre des expériences ! »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat