Tricher, de nos jours, ce n’est plus tromper. Oubliez l’infidélité. La triche, aujourd’hui, pour beaucoup, c’est sortir. C’est « dater ». C’est fréquenter quelqu’un qui ne vit pas sous son toit, quoi. Avec tous les risques et les bénéfices que cela implique. Et c’est ce que Nicolas* fait. Voici pourquoi.

Le jeune homme de 24 ans nous a écrit dernièrement, à la suite de la publication d’un article sur l’insoutenable confinement des célibataires. « Ça m’a vraiment interpellé ! Je me suis vraiment reconnu ! Et c’est tellement tabou dans le contexte ! »

Assis par terre dans l’herbe avec son gros chien blanc, au beau milieu du parc Angrignon, le jeune homme originaire de Châteauguay accepte de se raconter avec bonheur. Naturel. Soulagement, même. « Je me sentais en minorité. Pas important. C’est sûr qu’avec tout ce qui se passe dans les CHSLD, avec tous les gens malades, on a l’air de quoi, nous ? Mais moi aussi, je vis quelque chose de fort… »

Mais avant d’y arriver, à ce présent de célibataire plus ou moins licite et jusqu’ici gardé secret, son histoire au complet se doit d’être racontée. Parce que derrière ce jeune homme frisé et souriant, bien dans sa peau, visiblement, il y a tout un cheminement. « Ça ne fait pas longtemps que je m’assume comme homosexuel », laisse-t-il tomber, d’emblée.

Alors on lui demande de se raconter. Pêle-mêle et dans le désordre, il confie qu’il n’a fini par sortir du placard qu’en rencontrant sa première flamme. Son premier amoureux. C’était il y a deux ans. Il avait 22 ans. Vingt-deux ans ? « Je le sais depuis que j’ai 16 ans. Mais je ne m’assumais pas. C’est difficile d’en parler au secondaire. Ce n’est pas un moment propice pour s’ouvrir. Je n’étais pas à l’aise d’en parler. Il y avait toujours une insécurité. Peur du jugement, du rejet. Et puis mon père est très hétérosexuel. Très aux femmes. Alors j’avais peur de sa réaction… »

Alors pendant des années, tout en essayant de se convaincre (à coup de films pornos hétéros, en ne regardant que les gars…), il s’est tu. Il n’a rien dit. Même pas à son meilleur ami.

Mon meilleur ami gars, est-ce que j’allais le perdre ? Il y avait un malaise…

Nicolas, 24 ans

Un malaise qui s’est finalement évaporé quand il a rencontré son tout premier chum, donc. Une relation « passionnelle » qui a duré un an et demi. Il en a d’abord parlé à sa mère (« dans un stationnement de Toys “R” Us, elle m’a fait un grand sourire, je vais toujours m’en souvenir »), puis à son père (« top notch, il a été sur la coche »), avant d’annoncer publiquement sa « relation » sur Facebook. Réactions ? « Très, très positives », s’émerveille-t-il. Des amis remontant au primaire ont commenté, tous avec la plus grande bienveillance. « Avoir su, j’en aurais sûrement parlé avant… »

Et sa première relation sexuelle ? « Passionnelle », se borne-t-il à dire, avant de préciser qu’évidemment, c’était un brin stressant. « Moi, c’est surtout embrasser qui m’angoissait énormément… Je n’avais jamais embrassé, je ne m’étais pas pratiqué sur un fruit, dit-il en riant. Je ne sais pas comment font les gens ! » Bref, on devine que son amoureux de l’époque lui a bien appris.

Jusqu’à ce qu’ils se séparent, il y a de cela huit mois (« on n’avait pas la même vision du couple »). Depuis, donc, Nicolas est célibataire. En tout, il n’a connu que trois hommes. Et sa sexualité se porte plutôt bien, merci, sourit-il. « Ça va super bien. C’est très différent d’une personne à l’autre, évidemment, dit-il, c’est nouveau pour moi, mais je ne savais pas ! Tu vois des films pornos, et c’est du pareil au même, mais quand tu le vis… ! »

Parlant de le vivre, nous arrivons ici enfin au clou du sujet. Parce que confinement ou pas, oui, Nicolas continue de vivre. Voir des gens. Après un « one-night » peu concluant (« pas top, résume-t-il, un soir, c’est garroché »), il fréquente une personne, plus particulièrement, rencontrée au début du confinement, sur Tinder.

Oui, en pleine pandémie. Évidemment qu’il a hésité, confirme-t-il. « C’était l’époque où on entendait parler d’histoires de contravention de 1000 $, rappelle-t-il. Alors il faut que tu “deales” avec le risque : est-ce qu’on va pogner une contravention ? Est-ce que tes voisins vont dire quelque chose ? En plus lui, il vit au centre-ville, c’est difficile d’être discret… »

Mais ce n’est pas tout. C’est que Nicolas avait en prime ses propres soucis à lui : « C’est sûr que tout ce qui arrive est important, mais moi, j’ai perdu ma job, ma maison [son propriétaire a décidé de la vendre], j’étais émotif, instable, et c’est sûr, dans ce temps-là, on pense plus à nous… »

J’avais besoin de connecter. J’avais perdu beaucoup de choses…

Nicolas, 22 ans

Vous l’aurez compris : c’est de ce besoin fondamental de connexion que Nicolas est venu ici témoigner. Aux débuts, encore une fois, il n’a pas osé en parler. Surtout pas à sa famille. « C’est délicat. On a peur d’être jugé de ne pas prendre la cause à cœur. Comme si c’était insultant pour les gens du milieu de la santé, qui risquent leur vie, insultant pour les gens qui perdent des membres de leur famille », dit-il, avec beaucoup de sensibilité.

Sauf que son non-respect des règles à lui, ça n’est pas un pied de nez aux consignes, mais plutôt un geste de survie. « Oui, je ne veux pas jouer la victime, mais la solitude, vivre seul chez soi, sans contact humain, sans connexion, c’est difficile à vivre. Plus qu’on pense… », dit-il, les yeux dans le vide, en caressant toujours son chien.

Et non, ce n’est pas que d’un besoin physique et sexuel dont il est question. « Vraiment, vraiment pas, dit-il en hochant la tête. J’ai couché avec trois personnes en deux ans et demi. Et j’ai été beaucoup, beaucoup sur les applications de rencontre. Vraiment, insiste-t-il, d’un air entendu. Alors si ç’avait été si excitant que ça de ne pas respecter les règles, j’aurais couché avec beaucoup plus de gars durant le confinement. Et ça n’a pas été le cas… »

Avec le temps, il s’est finalement raconté à ses amis. À sa famille. Et devinez quoi ? À nouveau, il s’est senti accueilli. « Pas dans le jugement… » « Oui, je suis débile cinglé d’être sorti pendant le confinement. Le gouvernement me paye 2000 $ par mois et me demande juste de ne pas sortir de chez moi. Et qu’est-ce que je fais ? Je sors. Mais dans mon contexte de solitude, le besoin de connexion était encore plus présent. » Et c’est ce qu’il espère qu’on retiendra de son histoire. « C’est vraiment pas une histoire de sexe… », conclut-il.

* Nom fictif, pour protéger son anonymat