Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Cette semaine : Sam*, 65 ans

Sam* est retraité, étudiant à temps plein à l’université, et dans ses temps libres, masseur à temps partiel. Masseur « particulier », si vous voulez.

Sam est un drôle de moineau, c’est le moins qu’on puisse dire. Au premier coup d’œil, il a l’air d’un gestionnaire à la retraite comme mille autres. Mince, légèrement dégarni, lunettes carrées, rien ne laisse a priori deviner son passé compliqué. Encore moins son passe-temps « particulier ». Et pourtant. Il ne va pas cesser de nous surprendre, tout au long de l’entretien.

Il nous a donné rendez-vous, avant le confinement, bien évidemment, dans un café achalandé du Plateau où il a ses habitudes. C’est ici qu’il donne un premier rendez-vous à ses potentiels « clients » qui n’en sont pas vraiment, puisqu’il masse en fait gratuitement. Ou disons amicalement. Première surprise. Mais nous y viendrons.

Commençons d’abord par le commencement. Sam a découvert la sexualité sur le tôt, dès 15 ans. C’était avec une amie de la famille, légèrement plus âgée. Et l’expérience l’a formé pour la vie. Rien de moins, c’est lui-même qui le dit : « Ça a été déterminant », résume-t-il de sa voix cassée. « J’ai été initié par une fille plus vieille, elle m’a calmé le pompon : “Fais comme ci, fais comme ça, viens prendre une douche avec moi.” Tout pour me garder calme. Et de là, ça m’a bien lancé avec les filles. » C’est que d’emblée, on lui a inculqué un principe : « Faut que tu t’occupes de moi, avant toi. » Et c’est resté gravé.

Les aventures qui ont suivi sont plus vagues dans son esprit. Sam a eu une série de « compagnes », dont une à qui il a fait un enfant, desquelles il ne nous révèle pas grand-chose, à part que l’une était « cute », l’autre « sexy », ou encore qu’« elle avait des gros seins ».

À la même époque, Sam gagne sa vie dans le sport professionnel, enseigne ledit sport, bref côtoie beaucoup de monde, comprend-on. « J’avais une vie dissolue, j’ai voyagé, j’avais de l’argent… », se souvient-il. « Et les clientes sont un réservoir sans fin. C’est facile, même si t’es pas beau. » Parce que de son propre aveu, Sam est « ordinaire ». À un détail près : « Je suis fin ». D’où son succès. « Je suis en forme et je suis agile », glisse-t-il aussi d’un petit air malin.

Je suis intense. Je travaillais intensément. Et j’aimais m’amuser intensément.

Sam, 65 ans

Ce qu’il retient de ces compagnes, pardon, ces « mandats », c’est qu’ils ont toujours eu le même « pattern » : « Des mandats de trois ou quatre ans, où j’étais le sauveur… » Parce qu’un gars « fin », c’est ce que ça fait : ça « sauve ». « Je suis un aidant naturel », répète-t-il aussi à quelques reprises.

C’est ici qu’on constate qu’il nous a offert le café, puis tendu un mouchoir lorsqu’on a éternué. Effectivement : il est du type attentionné.

À une époque, il y a de cela 20 ans, il fréquentait une masseuse, à raison d’une fois par semaine. Deuxième expérience « déterminante » dans sa vie, dit-il. C’est que la dame (Olga, une Russe, ça ne s’invente pas) est « une professionnelle avec qui, à un moment donné, c’est devenu intime ». Mais l’essentiel n’est pas là : « Ma mémoire musculaire a tout enregistré », dit-il. Lire : la technique, les zones de pression, etc.

C’est que – et nous arrivons enfin au troisième et dernier facteur « déterminant » dans la vie de Sam –, un jour, il y a quatre ans, une locataire (parce qu’après le sport, Sam s’est recyclé dans l’immobilier), par ailleurs également masseuse, lui a offert sa table en cadeau, pour des raisons qui demeurent nébuleuses. Qu’importe, car de nouveau, l’essentiel est ailleurs : il s’est retrouvé ici avec une table de massage à lui.

« Déclencheur », déclare-t-il solennellement.

On arrive enfin au clou du sujet. « Je comptais bien l’utiliser. » Le cadeau tombe à pic. Car à cette même époque, Sam a tout à coup des soucis avec la justice. Nouvelle surprise : l’an dernier, il a passé quelques mois en prison, oui, « en dedans », pour une affaire de corruption et d’impôts impayés. « Je suis un criminel à col blanc », laisse-t-il tomber, un brin humilié…

Avant de se faire pincer, comme il sait qu’il est surveillé, il ne veut pas trop s’engager. Ce n’est effectivement pas le moment d’entrer en relation. Au lieu de quoi ? Il se met à masser. Mais encore ? Qui donc ? Des amies, des amies d’amies, répond-il. On se souvient qu’il a un sacré réseau. Le voilà qu’il se retrouve de nouveau « sauveur », cette fois de filles seules, qui se trouvent moches. De filles mal dans leur peau. À qui l’on dit : « Va donc voir Sam. » En plus, c’est gratuit. Dernièrement, il a même mis une petite annonce sur kijiji : « Cherche amitiés particulières » ou quelque chose dans le genre, « avec hommes, femmes ou couples », dit-il, messages dans son téléphone à l’appui.

Quand je rencontre une femme, je l’invite chez moi, elle vient se faire masser, ce n’est pas censé être sexuel, mais ça le devient presque automatiquement. Je masse, mais je ne fais pas du shiatsu, c’est de la détente…

Sam

Alors si madame se détend, effectivement, il continue. Tout bonnement. Il masse ainsi toutes les zones qu’il connaît. « Jusqu’à ce qu’elle dise non. » Mais cela arrive rarement. Généralement, c’est plutôt : « Fais-moi jouir, mais moi, je ne te toucherai pas. » Et c’est la « clé », dit-il. « Je ne demande rien. […] Si elle insiste, oui, je vais la laisser me toucher, mais moi, j’ai plus de plaisir à masser. »

De son côté, Sam sait s’y prendre. Il a appris, nous l’avons dit. « Beaucoup ne sont pas habituées à ça… » Parce qu’elles ont des conjoints moins habiles, moins généreux, plus égoïstes. Parce que leurs conjoints n’ont pas appris comme lui. Plusieurs le lui ont confirmé : « J’ai passé la plus belle heure et demie. »

Petit à petit, nouvelle surprise : les femmes se sont mises à inviter leurs conjoints, pour qu’ils observent à leur tour ses techniques et, pourquoi pas, pour qu’ils participent. Sam, de son côté, s’est révélé bicurieux. « Je ne suis pas gai, précise-t-il, je n’embrasse pas sur la bouche, à la limite une fellation. » Sans plus. Ou rarement. « Je garde mon énergie. Question d’âge, aussi », dit-il, avec humilité. Et du massage à deux, ils se sont retrouvés tantôt trois, tantôt quatre. « Ça fait l’affaire de tout le monde. Et c’est le fun, le fun, le fun. Dans le respect. C’est naturel. » Il rayonne.

Pourquoi il nous a écrit ? « Le sexe, c’est overrated, dit-il. Finalement, c’est du réconfort que les gens cherchent… » C’est du moins sa théorie.

Quant à lui, il a trouvé son réconfort ici. Dans le geste. Dans ce massage en cadeau, quelque part. « Oui, je suis assez heureux. On est tous un peu judéo-chrétiens à mon âge, on pense à la morale, au bien et au mal, et moi, à cause de ce que j’ai fait, la prison, j’ai honte. […] Le fait d’approcher les gens par le massage, ça me donne des relations soutenues avec les gens. Ça me donne des rencontres intenses. » Et on l’a compris : Sam a toujours carburé à l’intensité.

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat.

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