La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l'intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Cette semaine : Joachim*, 58 ans.

Joachim* nous a écrit au début d’avril, à la suite de la publication d’une histoire de femme trompée, qui l’a visiblement remué. Parce que lui aussi, il a connu ça, la tromperie, la trahison, la souffrance. Immense. Tellement qu’il a failli se donner la mort. Et même si le destin lui a ensuite enfin souri, il a voulu se raconter ici.

« Je ne vois pas souvent des articles sur la souffrance des hommes, dit-il, attablé devant une jolie assiette de gnocchis dans un restaurant branché de la rue Sainte-Catherine, un midi de mai. Ça n’enlève rien aux douleurs des femmes, mais je trouve qu’on ne parle pas assez des hommes. Ça fait plus de 30 ans dans mon cas, et la douleur est encore là, dans une certaine mesure… »

Fin cinquantaine, souriant, séduisant et à peine grisonnant, Joachim n’a pourtant pas le profil d’un homme meurtri. Vêtu d’un chic veston noir, les lunettes accrochées au cou, il a plutôt l’air d’un homme d’affaires à qui la vie a réussi. C’est que même s’il revient de (très) loin, oui, son histoire finit bien. Nous y viendrons plus loin.

Des débuts difficiles

« Je peux vous raconter… » Joachim plonge sans attendre dans le récit de sa vie : son adolescence, difficile à cause d’un grave problème d’acné (« j’ai été complexé de ça toute ma vie… »), sa première relation sexuelle sur le tard, à 21 ans (« j’étais pointé du doigt, on se moquait de moi »), plutôt peu mémorable à tous les égards (« je ne savais pas quoi faire, c’est elle qui a pris les devants […] et j’ai attrapé une infection »). Sans parler de ses problèmes chroniques de dos, qui l’ont handicapé toute sa vingtaine. Un détail loin d’être anodin, comme vous verrez plus loin.

C’est à 22 ans, au boulot, qu’il rencontre celle qui deviendra sa première femme, la mère de son enfant. Il lui tombe dans l’œil. Elle de même. Ils se fréquentent quelque temps. Mais Joachim, archicomplexé par son inexpérience en matière d’intimité (il n’a fait l’amour qu’une seule et unique malheureuse fois), tente par tous les moyens de repousser au maximum « ladite chose ». Cela prendra plusieurs semaines avant qu’ils finissent par en finir. Verdict ? « Catastrophique, confirme-t-il en riant, le recul aidant. Je ne savais pas comment bouger mon bassin… »

La relation dure six ans. « Mais honnêtement, on a eu une vie sexuelle très plate pour des jeunes dans la vingtaine. C’était moche, peu fréquent et peu créatif », tranche-t-il. On devine qu’il a connu mieux, drôlement mieux, par la suite.

« Je comprends qu’elle m’ait laissé. C’est plutôt le comment qui a été dramatique. »

C’est quelques semaines avant Noël. Il vient de se faire vasectomiser, se souvient-il. Sans crier gare, sa femme lui annonce qu’elle veut qu’ils se séparent. Mais pour Joachim, ça ne se peut pas. Il n’y croit pas. « Moi, mes parents ont été mariés plus de 60 ans, dit-il. Je suis un gars de solutions. Pour moi, c’était le début d’une discussion. On irait voir un sexologue, on essayerait la médiation. Mais pour elle, c’était réglé… »

Pire : non seulement c’est réglé, mais en plus, elle a déjà quelqu’un, depuis près d’un an par-dessus le marché, apprendra-t-il plus tard. Ce sont ses collègues de travail qui lui mettront la puce à l’oreille : au party de Noël (auquel il n’ira pas, parce que « trop déprimé » dans les circonstances), on la surprend à danser « collée » avec un autre, puis à partir avec lui « bras dessus, bras dessous ». « Et moi, je reçois ça comme une brique en pleine face… »

Quelques semaines plus tard, Joachim les surprend carrément dans leur lit, en train de regarder leurs photos de mariage. C’est là qu’il pète un plomb. Littéralement. « Ça m’a mis dans une colère épouvantable. Comme un animal blessé. Une douleur tellement forte. Je réalisais que c’était vrai. C’était vraiment fini… »

Armé d’un bâton de golf, il passe proche de faire exploser la tête de son rival.

« Sur le moment, c’était animal. Je ne réfléchissais pas aux conséquences. J’étais prêt à tout pour éviter cette souffrance, cette humiliation… »

L’affaire dure 30 secondes. L’homme en question déguerpit, et Joachim fond en larmes. « Je ne me suis jamais battu de ma vie… »

Il sombre ensuite dans une solide dépression. ll a des pensées noires. Bref, il est moins une. « Et c’est là que le téléphone a sonné. Un chum, qui savait que je ne filais pas. […] J’ai répondu, je me suis mis à pleurer, et il est venu… »

À ce stade du récit, Joachim prend une pause. « Je m’excuse », dit-il en reprenant son souffle. On devine qu’il est encore bouleversé par ce coup du destin.

La nouvelle vie

Coup de théâtre : Joachim se trouve peu après un boulot dans un autre domaine, dans une autre boîte, avec un meilleur salaire, et surtout loin de son ex et de son nouvel amoureux. « C’est majeur », constate-t-il. Finies, en effet, les douloureuses surprises à les croiser enlacés au coin d’un corridor ou dans les ascenseurs. Il ne s’épanche pas sur sa convalescence, mais signale qu’entouré de nouveaux amis, d’une nouvelle vie, et à la suite d’une aventure d’un soir visiblement épanouissante : « Je me suis rebâti ma confiance… »

C’est précisément à ce moment qu’il décide aussi de se faire opérer au dos, pour en finir avec ses fameuses douleurs. Une décision qui changera le cours de sa vie. C’est qu’à l’hôpital, il rencontre une infirmière. Et c’est le coup de foudre. Cela fait 30 ans, et de toute évidence, Joachim en est toujours aussi épris. Il se souvient encore de son uniforme : « semi-transparent, largement au-dessus du genou, avec les plus belles jambes que j’ai jamais vues de ma vie… », rayonne-t-il enfin.

En résumé : après avoir été le « mauvais baiseur » de son ex pendant toutes ces années, Joachim se découvre avec sa nouvelle flamme plusieurs talents cachés. C’est un nouvel homme. « On baisait comme des malades. […] N’importe où, n’importe quand. En voyage, dans des cimetières, des piscines, des ascenseurs, au cinéma… » Pendant près de 20 ans, ils ont gardé un rythme fou : « de 10 à 15 fois par semaine, on s’aimait beaucoup, beaucoup, beaucoup… ».

Dans les dernières années, ils se sont un peu calmés, constate-t-il, non sans regret. « Je ne sais pas si c’est l’âge […]. J’imagine que tout le monde vit ça… » Il réfléchit tout haut. « J’aimerais mieux que vous ne racontiez pas ce bout-là, où la sexualité diminue… » Il nous regarde droit dans les yeux, hésite, puis se ravise. On comprend qu’ils ne s’en sont jamais parlé. Mais on devine aussi que Joachim a choisi de prendre le contrôle de sa vie. « OK, racontez-le, conclut-il. Je vais me servir de ça pour en jaser avec elle… »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

Besoin d’aide ?

Si vous avez besoin de soutien ou avez des idées suicidaires, vous pouvez communiquer avec un intervenant de Suicide Action au numéro suivant : 1 866 APPELLE (1 866 277-3553) ou au 514 277-3553.