Connaissez-vous la Journée de visibilité lesbienne ? Nous non plus. Et Safia Nolin, pas davantage, avant qu’on lui propose d’en être la fière porte-parole. Et fière, elle l’est, pas à peu près.

« Ça me touche vraiment beaucoup ! confirme la musicienne, rencontrée cette semaine en entrevue. C’est super flatteur. Je suis fière, à la limite plus fière encore que où je suis rendue dans ma carrière ! Ça prouve que je fais la bonne affaire et qu’il faut continuer. »

Cette journée (le 1er juin cette année), dont les médias n’ont, sauf erreur, pour ainsi dire jamais parlé, existe pourtant depuis plus de 30 ans. La toute première édition a eu lieu en 1982. « Je n’étais même pas née, constate Safia Nolin. Moi non plus, je n’en avais jamais entendu parler. Malheureusement, c’est dur d’être visible en tant que minorité… »

C’était dur à l’époque, et ça continue de l’être aujourd’hui, renchérit-elle. « Juste le titre m’attire : parce qu’on manque de visibilité. C’est une étiquette qui n’est pas évidente pour tout le monde à porter. » Et elle sait de quoi elle parle.

« [L’étiquette lesbienne], moi, ça m’a pris des années à la porter… »

Des années ? « Oui, c’est long. » En fait, ça ne fait que quelques années à peine qu’elle s’assume réellement. « Pour moi, c’est nouveau, c’est récent, et c’est vieux en même temps… »

Parce que le parcours n’est pas forcément linéaire. Si, à 4 ans, Safia Nolin se souvient de ses premiers « crushs » sur ses profs, à l’adolescence, elle s’est ensuite « détestée » et se souvient même d’un « rejet total » de son identité. « Je voulais juste pas être encore une différence, dit-elle. Parce que moi, j’ai une belle liste de différences… », dit celle qui est née d’un père musulman, est issue d’un milieu défavorisé et ne correspond pas exactement aux « standards de beauté ». « En plus, je suis lesbienne ? C’est une joke ? », se disait-elle.

À 16 ans, elle a fini par confirmer à sa mère que non, ce n’était pas une « phase ». C’était avant de vivre une « quête désespérée », au début de la vingtaine, laquelle s’est finalement dénouée à 22, 23 ans « quand j’ai rencontré quelqu’un… ma blonde », sourit-elle.

Un peu comme si toute sa vie, illustre-t-elle, elle avait jusqu’ici parlé le mandarin à des Anglais avant, finalement, de rencontrer quelqu’un qui la comprenait. « Oh my God, elle parle mandarin ! Ma vie, pour de vrai, a complètement changé. »

Pas un modèle

Si elle agit aujourd’hui à titre de porte-parole, Safia Nolin ne se voit pas comme un « modèle » pour autant. « C’est tellement large comme terme ! C’est super intense comme mot. »

« Moi, j’offre une version de moi, de ce que c’est que d’être lesbienne en 2019. Mais il y a une version infinie de ce que c’est qu’être lesbienne dans la vie. »

De son côté, elle se souvient dans sa jeunesse avoir été influencée par les personnages de la série Glee ou Grey’s Anatomy — des femmes qui, pour une fois, n’étaient pas que « différentes », mais juste « cool », point — ou, dans le monde de la musique, des personnalités comme Pierre Lapointe ou Ariane Moffatt.

Elle le sait : dans son milieu artistique, son identité est relativement bien acceptée — « même si, dans notre milieu, les lesbiennes sont vraiment moins acceptées que les gais » —, mais dès qu’elle en sort ? « C’est vraiment intense », dit-elle. Que ce soit hors de Montréal, en région, voire carrément ailleurs dans le monde. « En Algérie, c’est criminel. Je ne pourrais pas être lesbienne… »

D’où l’importance de célébrer, encore et encore, une journée comme celle-ci, insiste-t-elle. « Il ne faut jamais oublier d’où l’on vient. Ne serait-ce que pour ceux qui souffrent encore. Et qui ne sont pas rendus là. »

Et non, conclut-elle, la controverse entourant Ludivine Reding et le poids associé au rôle de porte-parole ne lui fait pas trop peur. Elle ne craint pas de faire ici de faux pas. « Ça n’arrivera pas. Voir si je vais aller chanter à un show d’un groupe homophobe, comme Eminem ! », pouffe-t-elle.

Journée de visibilité lesbienne

Organisée par le Réseau des lesbiennes du Québec (RLQ), avec le Centre de solidarité lesbienne et Lez Spread The Word, la journée se déroule cette année le samedi 1er juin. Une série d’activités sont proposées (yoga, atelier de lecture en famille, 5-7 festif), notamment un panel intergénérationnel, avec des militantes de la première heure : Myriam Fougère (à qui l’on doit le « road movie » féministe Feminista), Laura Yaros (qui a fait partie de divers groupes LGBT juifs à Montréal), Monique Lavoie (travailleuse sociale, journaliste et romancière originaire d’Uruguay) et Johanne Coulombe (militante). Le prix Visibilité lesbienne sera donné à la journaliste Judith Lussier et le prix Hommage, à la militante de longue date Line Chamberland. Les activités sont organisées au Centre Never Apart rue Saint-Urbain.

Pour en savoir plus : https://www.facebook.com/JVL.visibilite/