Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Cette semaine : Léontine*, dans la quarantaine

« On dirait que j’ai commencé à vivre à 40 ans… »

Léontine revient de loin. Trouble alimentaire, maladie mentale, thérapie, elle a connu plusieurs hommes dans sa vie, en a aimé certains, mais a mis des années à s’aimer. À s’aimer, elle. Rencontre avec une femme qui en a arraché. Mais qui s’est enfin trouvée.

Attablée dans un restaurant à déjeuner de Saint-Hyacinthe, la (très) grande et (très) mince blonde aux cheveux coupés court nous confie d’emblée sa nervosité. On avait deviné, à son débit accéléré. C’est qu’elle a aussi un déficit d’attention. Si on ne veut pas la perdre, mieux vaut ne pas parler trop vite, nous dit-elle. C’est noté.

Une fois qu’elle est lancée, le récit de Léontine est toutefois limpide. Très fluide. Elle se montre d’abord un peu réticente à se confier (« on va vraiment là ? »), mais finit par plonger, avec une franche complicité. « OK, je vais là ! »

La quadragénaire a donc eu sa première relation sexuelle à 17 ans, avec son amoureux de l’époque. « La journée de nos un an, se souvient-elle. Super. Extraordinaire. » L’histoire n’a toutefois pas duré. C’est qu’à la même époque, Léontine a commencé un régime (« j’étais grassette, 160 livres »), a perdu beaucoup de poids (« 40 livres »), puis, pour se maintenir, s’est mise à se faire vomir. « J’ai été anorexique, boulimique, j’ai même été hospitalisée… »

« Je n’étais plus la fille qu’il avait rencontrée. Bien dans sa peau. Tout a basculé. J’existais plus. J’étais un problème alimentaire… »

Pendant toute sa vingtaine, Léontine demeure donc célibataire. « Longtemps, longtemps… » Ses souvenirs sont ici un peu flous. « Oui oui, je rencontre des gars, mais je ne suis tellement pas bien avec moi, analyse-t-elle, avec le recul des années. Je n’étais sûrement pas connectée à ça, à ce moment-là. » Si elle vit à l’époque une sexualité (« j’ai toujours été très sexuelle »), c’est « débridé », résume-t-elle.

Début trentaine, Léontine traverse ensuite un gros « high ». « Un high de bipolarité. Un high pas à peu près. Je me levais à 4 h du matin pour faire une brassée de lavage. Comme si j’avais fait quatre lignes de coke. Une adrénaline hallucinante. »

Sur les conseils de sa famille, elle finit par consulter. Reçoit un diagnostic. Et se fait médicamenter. Une thérapie plus tard pour régler des « choses » (notamment sa relation avec son père, de qui elle a toujours cherché l’amour et l’approbation, confie-t-elle), elle rencontre un homme avec qui elle reste ensuite six ans. « Ma plus longue relation à vie. »

Sexuellement ? « Je l’aimais », répond-elle.

« Je n’avais pas connu grand-chose, je disais que c’était bon, mais en réalité, c’était ben ordinaire… »

Il faut savoir que monsieur a un problème d’alcool. De son côté, elle souffre encore de boulimie, avec un trouble d’anxiété en prime (« je n’ai jamais eu confiance en moi »). Bref, la relation est tout sauf saine, et le couple finit par rompre.

Après la séparation, il y a 10 ans très exactement, Léontine retourne vivre chez sa mère, où elle vit encore aujourd’hui, malgré sa quarantaine avancée. 

Parenthèse : pendant des années, Léontine s’est occupée de sa mère malade, à titre d’aidante naturelle. Comme elle est célibataire, sans enfant, la cohabitation s’est du coup ici imposée d’elle-même. Fin de la parenthèse.

À la même époque, Léontine fait quelques rencontres. Intéressantes ? « On dirait que je n’ai pas été très chanceuse », laisse-t-elle tomber. Elle s’explique : jamais un homme ne lui a dit : « Tabarouette, t’es incroyable », dit-elle. Pire : « Ça ne durait jamais super longtemps. C’était souvent des gars nouvellement séparés. Et j’ai joué beaucoup à la thérapeute… » Bref, elle s’est beaucoup donnée. Sans beaucoup recevoir. Donnée autant mentalement que physiquement.

« Peu de gars ont pris le temps de vraiment me faire plaisir. Un gars qui va prendre une heure juste pour me caresser, me faire triper ? Ce n’est pas arrivé souvent. »

Au bout du compte, dit-elle, les gars se sont montrés peu généreux, dans la vie comme au lit. Un exemple ? « Le sexe oral, dit-elle, sans hésiter une seule seconde. C’est pas tous les gars qui le font. » Et ceux qui s’essayent, « ils n’ont pas le tour », souligne-t-elle, d’un air entendu. On devine qu’elle en a ici long à raconter. « Il y a plein de gars maladroits ! Moi, je sais comment m’y prendre. Mais il y en a, ils pensent que c’est un piton d’alarme. C’est pas ça pantoute. […] Plein de gars font ça n’importe comment ! »

Elle rit ici de bon cœur. C’est que malgré toutes ces déceptions, aujourd’hui, Léontine va mieux. Depuis deux ans, elle a enfin une médication « adéquate », et elle en a surtout fini avec sa boulimie. « En plus, j’ai autre chose : j’écris, je peins, je bricole », dit-elle en souriant.

Au lit, elle a aussi connu récemment deux excellents amants. Des gars « généreux ». Avec le premier, ça a duré six mois. « C’était probablement plus physique. Au lit, c’était extraordinaire. Il pouvait prendre des heures. C’est drôle, parce qu’autant au lit, il était attentionné, il donnait, il était généreux, chaleureux, encore et encore, autant dans la vie […], rien. J’étais toujours déçue… »

Le deuxième est un ami. Un vrai. « Un super ami, en qui j’ai confiance. » Ils s’apprécient beaucoup. Et il lui dit, lui : « Tu le sais que t’es une belle personne ? » Elle l’entend. « Je le reçois. » Pour la toute première fois.

Ils ont couché ensemble à quelques reprises, en toute connaissance de cause. En toute amitié, quoi. Et la toute dernière a été particulièrement épanouissante, dit-elle en rougissant. « Dans le laisser-aller. On s’éclatait. Je ne sais pas comment dire ça. C’était intense. Sexuel. Sans malaise. […] C’est la première fois que je vis ça. Une relation d’ami gars, mon meilleur ami, que je vais garder toute ma vie. »

Une première qui s’inscrit dans une série de nouveautés dans toutes les sphères de sa vie : elle vient de se réserver une journée seule au spa, pour son anniversaire, elle se masturbe plus que jamais, et pour la première fois, elle s’apprécie : « Aujourd’hui, je me trouve belle, je trouve que je suis une personne de valeur. […] Je me sens bien dans ma peau. Connectée à ce que je ressens. » Après toutes ces années à ne pas s’aimer et à donner aux autres, « là, je me choisis… », conclut-elle.

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat