Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Cette semaine :  Daniel*, début soixantaine.

« J’ai toujours été hétéro. Enfin, j’ai toujours pensé que j’étais hétéro… »

Daniel*, début soixantaine, est assis devant une tasse de thé, dans un chic café branché de la Rive-Sud. Il nous a donné rendez-vous ici parce qu’il avait apparemment des « affaires » à faire dans le coin. Il nous confiera plus tard qu’il était en fait au sauna. Parce que désormais, depuis 10 ans, sa vie, c’est ça : des visites ponctuelles au sauna, une ou deux fois par semaine, « minimum ».

« Pour moi, c’est comme un sport. Une activité physique. J’en ai besoin. Pour mon bien-être. Pour mon mental. Ça me prend un contact physique avec un homme, au minimum une fois par semaine. »

Mais ça n’a pas toujours été le cas. En fait, pas du tout. Disons que pendant les 50 premières années de sa vie, Daniel a été sinon dans le déni, du moins convaincu dur comme fer qu’il était hétéro. Aux femmes. Et seulement aux femmes.

Devant notre incrédulité, il s’explique. « J’étais pensionnaire chez les sœurs, justifie-t-il. J’allais à la messe. Tout le kit ! » L’homosexualité n’était tout simplement pas une option, devine-t-on. Ni dans sa tête ni dans ses pulsions.

Bon avec les femmes

Toujours est-il que Daniel a eu sa première blonde à 14 ans. Ils se sont mariés. Ont eu des enfants. Et sont restés ensemble 20 ans. En prime, sexuellement, « ça allait très bien », assure Daniel. « Je vais être humble. Mais je suis bon avec les femmes, nous dit-il tout bas, le café se remplissant tranquillement. Je sais quoi faire… »

Ça allait donc très bien en qualité, mais, de toute évidence, pas en quantité. « Ça allait très bien quand j’en avais, finit-il par nuancer, tout bas toujours. Mais moi, j’avais toujours le goût. On devait faire l’amour de trois à quatre fois par semaine. Moi, j’aurais aimé deux fois par jour. Facilement… »

À la même époque, Daniel commence à faire de la danse. Et là, il prend conscience qu’il « pogne » auprès des hommes. Beaucoup. « Beaucoup, beaucoup », insiste-t-il. On lui fait des propositions, des invitations, ça n’arrête pas. « Mais moi, je suis fidèle, je suis marié ! Ça ne rentrait pas du tout dans ma tête, dit-il. Alors je me faisais accroire que j’attirais les hommes parce que j’avais une forte libido… »

Les années passent. Daniel se sépare. Rencontre une deuxième femme, avec qui il passe à nouveau plusieurs années. Puis une troisième.

« Je performais sexuellement. […] C’était flatteur ! Elles aimaient ça. Alors je me disais : je dois être à la bonne place… »

Daniel a maintenant 50 ans. Il est toujours avec cette troisième femme. Le danseur est devenu enseignant : prof de danse. Et voilà que contre toute attente, il réalise un beau jour qu’il est en train de tomber amoureux… d’un élève ! « Mais je suis en couple ! » s’exclame-t-il. Toute sa vie, il a dansé. Il a enseigné. Et jamais, au grand jamais, il n’a pensé à toucher un autre homme. « Jamais », assure-t-il. « Ça a été une période excessivement troublante de ma vie… »

« Qu’est-ce que je fais ? » se questionne-t-il à nouveau. Pas le choix. Il finit par se confier à son élève : « Je suis vraiment attiré par toi. Mais rien ne peut arriver. Je suis ton prof… », lui dit-il.

Précision : l’élève en question a 21 ans. Et coup de théâtre : lui aussi se dit hétéro ; et lui aussi se dit très attiré par Daniel. « Ça devient compliqué… »

Et ça se complique encore davantage parce qu’avec sa blonde, Daniel n’a désormais plus la moindre érection. « C’est ça qui est plate des hommes : tu ne peux pas faker, confie-t-il, sans filtre. Et je suis vraiment troublé parce que je suis une machine au lit, mais là, ça ne marche plus… »

« Mon univers de gars straight est en train de tomber… »

Il finit par laisser sa partenaire en plan, en mettant brusquement un terme à la relation. Il cesse par ailleurs de voir son élève (avec qui il ne s’est finalement rien passé), et vit à fond le deuil de cet amour impossible. « Je suis en peine d’amour, solide, se souvient-il. Je ne mange plus, je dors tout le temps. Une peine d’amour comme à 15 ans… à 50 ans ! »

Facile avec les hommes

Des amis gais, au courant de ses questionnements, lui suggèrent alors de se payer une escorte. Daniel rougit en se revoyant, couché sur une table de massage, dans un appartement du Plateau, avec un bel homme de 20 ans. « Mais qu’est-ce que je fais là ? », dit-il en riant. Hormis quelques caresses, il ne se passe pas grand-chose entre les deux hommes. Mais dans la tête de Daniel, c’est le déclic. Plus de doute possible : « C’est ça que je veux… C’est à ce moment-là que toutes mes barrières sont tombées. » Et à ce jour, il n’a plus jamais touché à une autre femme.

Dix ans plus tard, Daniel ne compte plus les hommes rencontrés. Réseau Contact, Grindr et les saunas de la Rive-Sud, comme ce matin, n’ont plus aucun mystère pour lui. Dans des baignoires à remous, des stationnements ou de coquettes maisons de banlieue, il rencontre un, deux, parfois trois hommes par semaine. Des gars de construction, des plombiers, « souvent mariés ».

« Ce sont des gars qui ne veulent pas laisser leurs femmes, mais leurs femmes ne leur donnent pas ce qu’ils cherchent… »

Chaque fois, il revit la même adrénaline de la « première fois » (« je fais plein de trucs que je n’aurais jamais faits », rougit-il à nouveau), ce sentiment de « vivre un rêve réveillé ». On lui demande ici d’élaborer. « Je ne veux pas vous insulter, répond-il poliment, mais avec un homme, ça ne coûte pas de bouquet de fleurs, de restaurant ou de bouteille de vin. On a juste à se regarder, se faire un signe, et ça se passe… »

Il a désormais sa petite théorie sur la question. « L’homme vient de Mars, la femme de Vénus. On peut faire des enfants ensemble. Vivre une vie ensemble. Mais côté sexualité, c’est beaucoup plus facile avec les hommes… » conclut-il en souriant.

*Prénom fictif, pour se confier en toute liberté