Partout en Occident, l’âge de la première relation sexuelle est en hausse. Aux États-Unis, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et, oui, même au Québec. De là à parler de « récession sexuelle » et à qualifier cette génération de « no sex », il y a un pas, nuancent toutefois deux sexologues québécois. Explications, en quatre temps.

Les faits

Finie l’époque où la majorité des jeunes avaient une première relation sexuelle à 16 ou 17 ans. Au Québec, l’âge de la première relation est en hausse. Désormais, les jeunes qui sont actifs à ces âges sont minoritaires : 32 % ont eu une première relation avant 16 ans, 47 % avant 17 ans. « Les proportions ont diminué significativement », note d’ailleurs l’Institut de la statistique du Québec dans sa toute dernière étude sur la question, rendue publique en décembre 2018. Le Québec n’est pas seul. L’an dernier, la revue américaine The Atlantic a publié une vaste enquête sur la « récession sexuelle » des milléniaux (« Why Are Young People Having So Little Sex ? »). Du Royaume-Uni à l’Australie, en passant par le Japon, plusieurs pays font le même constat, révèle l’article : que ce soit à cause de la hausse des troubles d’anxiété, du manque de sommeil, des applications de rencontres, de la porno en ligne, de l’âge d’or des vibrateurs ou des hyper parents, « nommez l’une des joies de la modernité et vous trouverez quelqu’un, quelque part, pour la rendre responsable de bousculer la libido », résume la journaliste.

Lisez l’article de The Atlantic (en anglais) : https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2018/12/the-sex-recession/573949/

Prudence avec les chiffres

PHOTO FOURNIE PAR MYRIAM BOUCHARD

Myriam Bouchard, sexologue, conseillère pédagogique en éducation à la sexualité et blogueuse

Et alors ? « En 2000, tout le monde capotait parce que les jeunes étaient soi-disant hyperactifs sexuellement, maintenant on se casse la tête parce qu’ils seraient en récession sexuelle ? », ironise la sexologue, conseillère pédagogique en éducation à la sexualité et blogueuse Myriam Bouchard, pour qui il faut prendre les résultats de ces enquêtes avec des pincettes.

Faut-il le rappeler ? Avec des sujets aussi délicats, les gens mentent, se conforment ou font de l’amnésie sélective. « Ça apporte quoi, ces études, à part de l’anxiété et des contradictions ? », s’interroge celle qui favorise, et de loin, les recherches qualitatives et qui aimerait surtout qu’on cesse de mettre tous les jeunes dans le même « panier ». Même scepticisme quant à l’existence d’une telle « récession » de la part d’Alexandre Dussault, sexologue, spécialiste en éducation à la sexualité en milieu scolaire (au niveau secondaire). « La récession, au Québec, on n’est pas là-dedans », assure-t-il. Selon lui, le recul observé serait même « minime ». La preuve : « Moi, je n’ai jamais vu autant de jeunes qui ont autant d’aisance et d’assurance à afficher leur identité de genre et leur orientation sexuelle », se félicite-t-il.

La difficulté à entrer en relation

Ce qui ne veut pas dire que les jeunes ne souffrent pas, effectivement, d’un mal bien moderne : la difficulté à sortir du virtuel pour entrer dans le réel. Des jeunes qui ne savent pas séduire et qui envoient d’impersonnels émojis sur Snapchat à leurs « prospects », il y en a. Plus qu’on ne le croit. Des jeunes aux prises avec des troubles de l’image corporelle, très à l’aise avec la nudité dans le virtuel, nettement moins avec la leur dans le réel, il y en a aussi. Des jeunes qui développent des troubles anxieux ou sexuels, il y en a tout autant. Malheureusement.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Alexandre Dussault, sexologue et spécialiste en éducation à la sexualité en milieu scolaire

« Absolument, confirme Alexandre Dussault. On n’a jamais vu autant d’hommes, début vingtaine, qui consultaient pour des troubles érectiles. » Mais tout cela n’est pas forcément que la faute du virtuel. « Il y a mille raisons en sexologie, jamais juste une cause », nuance Myriam Bouchard.

Et si c’était une bonne nouvelle ?

Et si, effectivement, certains jeunes attendent désormais plus longtemps avant d’être actifs sexuellement, est-ce forcément une mauvaise nouvelle ? Au contraire, soulignent nos deux experts. « Moi, je ne vois pas une génération “no sex”, je vois une génération qui choisit si elle fait l’amour ou pas », applaudit Myriam Bouchard, pour qui tout cela est finalement très « positif ». Exit le devoir conjugal, l’obligation de passer à l’acte et de se conformer. Bienvenue à l’ère de la réflexion, de la quête identitaire (notamment sexuelle) et du consentement. Bienvenue, également, à la pluralité des options. « On voit aussi de plus en plus de jeunes qui nous disent que la sexualité, ça ne les intéresse pas, poursuit Alexandre Dussault. Ils peuvent choisir de ne pas avoir de relations sexuelles, seulement romantiques, d’avoir des relations avec quelqu’un d’un autre sexe, du même sexe, il y a aujourd’hui une grande diversité. » Alors si les jeunes attendent un peu, « bonne nouvelle », renchérit-il. « Ça va nous donner plus de temps pour les éduquer à avoir une maturité affective. » Parce que l’éducation, en sexualité, c’est évidemment la base. « Et enfin, au Québec, on a fait ce choix-là d’éduquer. Mais on a du temps à rattraper… »