Nos vies sont jalonnées de premières fois... et certaines sont plus marquantes que d’autres. Chaque vendredi au cours de l’été, une personne nous raconte quel impact une décision ou un événement a pu avoir sur son existence.

« C’était un professeur dans une école. Il était drôle. Il fallait tout le temps le prendre en pitié, le gratter derrière les oreilles, comme un chiot. » Dans ses cuissardes noires et sa guêpière en vinyle, la dominatrice Maîtresse Isys raconte la première fois où elle a mis un homme à ses pieds.

Dans un français impeccable, son premier soumis lui a décrit la façon dont il voulait la servir. « J’ai décidé de le rencontrer », dit-elle en portant une cigarette à ses lèvres rouges. Ce premier contact s’est fait sur un site de rencontres BDSM (bondage, discipline, sadomasochisme). Elle avait 22 ans. Lui, au moins le double. Depuis, l’art de dominer a pris une grande place dans la vie de Maîtresse Isys.

Ironiquement, son premier soumis connaissait tout du BDSM. Pas elle. L’enjeu était de taille.

« J’étais nerveuse. Je ne voulais pas perdre la face. Je voulais vraiment être à la hauteur de ses attentes et projeter l’image d’une personne qui est dominante et en contrôle. »

Chez elle, elle a passé des heures à chercher une tenue digne d’une maîtresse. Armée de sa jupe taille haute, de son haut décolleté des années 50 et de ses escarpins pointus, Maîtresse Isys était prête à se lancer. « J’avais l’impression d’aller travailler dans un bureau. C’était pas vraiment ça que je m’en allais faire ! », dit-elle en éclatant de rire.

La rencontre a finalement lieu dans un bar à chicha. Entre les volutes parfumées, elle découvre son nouveau serviteur. Elle doute. Est-elle présentable ? Est-elle assez belle ? « Je pense que je suis allée aux toilettes trois ou quatre fois, me remettre du rouge à lèvres », se remémore-t-elle, amusée. Rapidement, le trac laisse place à un sentiment de puissance et de libération. « Je me sentais à ma place. »

La dominatrice veut se trouver une belle paire de cuissardes. Elle poursuit le rendez-vous dans un sex-shop de la rue Sainte-Catherine. « J’ai passé une heure à essayer des bottes. Je lui ai fait acheter les plus chères, évidemment. »

Parée pour sa première séance de domination, Maîtresse Isys invite son soumis chez elle, dans sa chambre. Elle le met à genoux, l’insulte, lui crache dessus. Il est aux anges. Elle l’attache. Puis quitte la pièce… et l’oublie.

Elle boit un verre au salon avec ses colocataires lorsqu’elle entend des petits cris. « Ah c’est vrai ! J’ai un soumis dans ma chambre ! » Elle retourne le voir, lui fait savourer les lanières de son fouet. « Il est resté jusqu’à 2 h du matin. Il a super tripé. »

Pendant six mois, le soumis devient son esclave personnel. Il ne la rémunère pas, mais il fait son ménage, sa vaisselle, son épicerie. Il paye ses factures. Symbole de sa dévotion et de sa soumission, il lui offre un cadeau inoubliable. « Il m’a acheté une rose qui ne fane pas. Elle est sous vide pour qu’elle reste toujours parfaite. J’ai trouvé ça cute. » Il lui propose même d’emménager avec elle « pour s’occuper de tout ».

Mais Maîtresse Isys a d’autres soumis à fouetter. Elle veut se lancer comme dominatrice professionnelle. À l’époque, l’étudiante en esthétique a besoin d’argent, et ce métier l’attire. Elle publie des annonces en ligne et reçoit une vingtaine d’appels en une journée. « Je pense que ça marche, mes affaires ! », se dit-elle alors. Lui ne veut pas d’une relation avec une professionnelle. « Quand il a vu une de mes annonces, il n’a pas aimé ça. Ça ne rentrait pas dans son trip. Il a fini par disparaître. »

La domination : une vocation

Elle perd un soumis, mais trouve une vocation. « C’est un état d’esprit, tu l’as ou tu l’as pas. » Pour elle, c’est une seconde nature. Avoir le contrôle de soi, être dominante, avoir du leadership, tout ça résonne en elle. « Il y a beaucoup de dominatrices qui ont des trainings. Moi, je n’en ai jamais fait. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Maîtresse Isys a fait de sa passion pour la soumission son métier, qu’elle pratique depuis sept ans à temps plein.

Ce qui l’allume : « Le côté psychologique de la domination plus que le côté physique. Savoir que je suis en mesure de plonger dans l’esprit des soumis et sentir leur appartenance pour moi. » Sa passion ne peut être feinte. « Ils le savent qui aime vraiment ça, et qui le fait seulement pour l’argent. »

« C’est important de ne pas les décevoir et de chérir ce cadeau qu’est leur soumission et leur dévotion. Un soumis doit être très vulnérable, souligne Maîtresse Isys. Je trouve ça important de prendre soin d’eux. »

Il ne suffit pas de les maltraiter, explique-t-elle. Il faut être à l’écoute pour comprendre leur état d’esprit, leur donner de l’affection après les séances et, surtout, leur consacrer du temps. « Ça leur permet de mieux revenir à toi parce qu’ils se sentent en confiance », assure-t-elle.

Aujourd’hui, Maîtresse Isys torture ses clients dans un donjon. C’est son métier à temps plein depuis sept ans. Mais il lui arrive encore d’avoir des esclaves personnels, prêts à la servir au quotidien. Comme son premier soumis, qu’elle n’a pas oublié.