Contrairement à la rumeur de l'heure, non, tous les jeunes ne s'envoient pas en l'air les soirs, les fins de semaine, pourquoi pas entre deux cours? Une minorité silencieuse est encore vierge, pour le meilleur et pour le pire. Qui sont-ils? Et pourquoi s'abstiennent-ils?

Je suis vierge, moi non plus

Un jeune sur deux finit son secondaire vierge au Québec. Quand Tania Saint-Laurent, formatrice et intervenante à Tel-jeunes énonce cette statistique dans ses tournées dans les écoles, les élèves n'en reviennent tout simplement pas. « En secondaire 5, dans leur tête, les trois quarts des jeunes l'ont déjà fait. »

Et pourtant. Même s'ils se sentent souvent seuls au monde et ne le crient pas sur tous les toits, à leur arrivée au cégep, même à l'université, ils sont encore nombreux à ne pas « l'avoir fait », justement. Et ce, malgré toutes les apparences d'hypersexualité ambiantes. Une statistique qui n'a pas bougé depuis 30 ans, faut-il le préciser. 

La virginité n'est pas un concept très clair pour les jeunes, confirme l'intervenante de Tel-jeunes, qui sont nombreux à se questionner sur les conséquences de leurs comportements. La masturbation, les sextos, la webcam, est-ce que ça compte? C'est quoi, au juste, être vierge? « Je n'aime pas beaucoup ce mot. Si on n'a pas eu de pénétration, on est vierge? Mais souvent, les jeunes ont eu une sexualité. C'est une limite qui n'en est pas une », explique Tania Saint-Laurent.

Les études, très peu nombreuses, sur la virginité (parce que le phénomène, pas très sexy, n'est pas non plus associé à un problème de santé publique) se basent néanmoins sur ce fameux concept de « pénétration vaginale », excluant de facto les relations homosexuelles. Et à quel âge perd-on cette fameuse virginité? En moyenne, la majorité des Québécois de souche ont leur première relation sexuelle entre 16 et 18 ans, répond la chercheuse Marie-Aude Boislard-Pépin, professeure de sexologie à l'UQAM, et l'une des rares à s'intéresser à la virginité. À 17 ans, pour un jeune sur deux, donc, c'est chose faite.

D'où la question: qui sont ces jeunes, pourquoi ne les entend-on jamais, et surtout, pourquoi sont-ils encore vierges, à 20, 25, voire 30 ans?

À l'automne 2013, la chercheuse, sous la direction de Dominic Beaulieu-Prévost, a sondé plus de 3000 étudiants de l'UQAM. Moyenne d'âge: 25 ans. Du nombre, 200 étaient encore vierges.

Un choix ou pas?

Qui sont-ils? L'enquête a conclu que les étudiants vierges avaient tendance à être issus de communautés culturelles, à être plus jeunes que la moyenne, et à vivre toujours chez leurs parents. Les vierges étaient aussi moins nombreux à être dans une relation amoureuse, plus souvent dans des activités religieuses, avec des valeurs plus conservatrices, et... moins satisfaits de leur vie.

Selon la chercheuse, une question fondamentale se pose d'ailleurs ici. « La virginité est-elle un choix, ou un manque d'opportunité? Si c'est tabou, c'est parce que les gens voient ça comme un manque d'opportunité. Mais il ne faut pas oublier qu'il y en a beaucoup qui voient ça comme une fierté! »

Ses recherches visent d'ailleurs à démontrer la très grande hétérogénéité des parcours des personnes vierges. Certains (surtout certaines) considèrent leur virginité comme un cadeau, d'autres, inversement, comme un stigma, une honte, voire un fardeau. Oui, c'est ici surtout le cas des gars. « Le double standard semble demeurer. »

L'enquête de l'UQAM a d'ailleurs démontré que plus les gars se sentent conformes aux stéréotypes masculins (lire: virils), moins ils ont tendance à être encore vierges. Inversement, plus les filles se disent conformes aux stéréotypes de la féminité, plus elles le sont...

Une autre enquête, plus troublante encore, réalisée avec le psychologue François Poulin de 2002 à 2012, a démontré que les jeunes les moins populaires en 6e année sont aussi les plus nombreux à être encore vierges à 21 ans.

Conclusion? « Malheureusement, on connaît très peu les besoins en matière d'éducation à la sexualité des vierges, dénonce la chercheuse. Ce qu'on souhaite, c'est que cette virginité soit en cohérence avec leurs valeurs. »

Gare à la pression des moyennes

À cet égard, la sexologue et auteure de La vie porno de nos ados Valérie Morency met en garde les personnes vierges contre cette fameuse peur de ne pas être « dans la norme ». « Il n'est pas anormal de ne pas avoir eu de première relation sexuelle à 15 ans et demi, dit-elle. Certains le font plus tôt. D'autres, plus tard. »

Qu'est-ce qui compte, finalement?, se demande-t-elle. Être dans une moyenne statistique ou faire un choix conscient et réfléchi? Être dans une normalité définie par la société ou être à l'écoute de son corps, de celui de l'autre, savoir ce qu'on aime, reconnaître son désir, le maîtriser, sans oublier de se protéger?

« La maturité sexuelle n'arrive pas au même moment pour tous, conclut-elle. Certains l'ont à 15 ans, d'autres, à 25 ans, ne l'ont toujours pas... »

Témoignages

Qu'ont ait perdu sa virginité à 18 ou à 25 ans, ou qu'on soit encore vierge à 30, la notion de virginité tardive est toute relative. Parfois appréciée. Parfois pas. Témoignages.

« Je suis le chiffre qui fait augmenter la moyenne »

« C'était par choix, je me suis imposé des limites, plutôt inconsciemment. J'ai eu des opportunités, mais je trouvais toujours un moyen pour me défiler. Je pense que je ne me sentais pas réellement prête. Par moments d'écoeurantite aiguë, je tentais le classique: "prendre n'importe qui dans un bar"... Mais ce n'est pas si facile! [...] Une fois au lit, le gars était soit trop saoul, ou il n'avait pas de condom.

« [...] On parle très souvent d'ados précoces, de premières relations sexuelles, mais pas de virginité ou de relations tardives. C'est un sujet délicat. [...] Ce n'est pas très fashion de parler de virginité, et pourtant nous ne sommes pas seuls. [...] Ce qui est gênant, c'est qu'on se soucie beaucoup de ce que les autres pensent. De quoi vais-je avoir l'air, la peur d'être jugée, la peur que les gens te trouvent des surnoms ordinaires. [...] J'apprécie les gens qui osent en parler, je les admire même, et c'est drôlement encourageant de savoir que tu n'es pas seule sur ton bateau et que ce n'est pas anormal non plus. Il faut plus de modèles! »

- Adèle, 30 ans, vierge

« Je ne me sentais pas normal »

« J'étais très timide. J'avais énormément de difficulté à approcher les filles. Je manquais de confiance, pour un paquet de raisons. [...] Perdre ma virginité, c'était une grosse commande. Je m'en souviens. [...] À l'université ç'a été le sujet de plusieurs blagues. [...] J'espérais juste trouver une fille. Et puis, à 19 ans, en voyage à Amsterdam, je suis sorti d'un coffee shop et je suis tombé en plein Red Light. [...] Je me suis dit: je m'essaye, je fonce. Et j'ai été voir une prostituée dans sa cabine. J'étais très nerveux. C'est clair qu'elle voyait que je n'étais pas habitué. Elle avait l'air attendrie. [...] C'était la première fois que je voyais une femme nue. J'étais un peu paralysé. J'avais embrassé une fille une fois, sinon, c'était le degré zéro. Vraiment zéro. Elle m'a demandé si je voulais une fellation, mais j'étais trop excité, ç'a duré trois minutes. [...] J'ai vécu ça un peu comme un échec, la confirmation de mon incapacité avec les filles. [...] Deux ans plus tard, à 21 ans, avec un peu d'alcool, j'ai finalement eu ma première relation sexuelle complète avec une amie de la copine de mon coloc. [...] Puis j'ai eu une grande sécheresse, une traversée du désert, et j'ai eu ma première blonde à 22 ans. [...] Ça m'a pris une thérapie, un travail sur moi-même. Parce que j'ai toujours eu beaucoup de difficulté à me faire des amis. » 

- Jean-Pierre, 42 ans, a perdu sa virginité à 21 ans

« La dernière vierge du cégep »

« J'ai quitté le secondaire et toutes mes amies l'avaient fait sauf moi. C'est circonstanciel. Je n'avais pas de copain. J'allais dans une école de filles. Rencontrer des gars, ce n'était pas facile. Oui, j'ai trouvé ça difficile, parce que je m'empêchais de rencontrer certains gars à cause de ça, ça me faisait peur, ça me stressait. L'acte lui-même, j'avais peur que ça fasse mal, de ne pas savoir quoi faire, d'être inadéquate. Finalement, j'ai eu mon premier chum au cégep, et je suis contente d'avoir attendu. Je n'étais pas assez mature avant. Je venais d'une école de filles, je n'avais jamais été assise en classe à côté d'un gars! J'ai poché ma première session au cégep à cause des gars. J'étais bien plus intéressée à cruiser qu'à étudier! [...] Et puis, début vingtaine, j'ai découvert que c'était ben l'fun comme activité, et j'ai rattrapé le temps perdu! »

- Valérie, 32 ans, a perdu sa virginité à 18 ans

« La honte »

« Je savais que plusieurs de mes amis avaient déjà une vie sexuelle active et que moi, j'arrivais à l'université avec zéro expérience, rien à conter de ce côté. Que j'allais devoir faire semblant de rire et comprendre les jokes de gars sur le sexe, comme si je pouvais m'imaginer ce que c'était, et surtout afin qu'ils ne se rendent pas compte de mon inexpérience. [...] Le blocage était surtout dû à mon manque de confiance en moi face aux filles. Cette espèce de sensation de rejet qui se produit quand tu essaies d'entrer en relation avec quelqu'un qui te plaît me terrifiait. [...] Je me souviens très bien de la première fois. Ça faisait quelques semaines que je sortais avec une fille. [...] Un beau soir de "frenchage", elle me lâche: "fais-moi l'amour". De mémoire, dits comme ça, ce sont les mots les plus intenses que j'ai jamais entendus. Je pense lui avoir demandé d'enfiler le condom, et je me souviens très bien d'avoir regardé comment elle avait fait.

«  [...] Je pensais qu'elle attendrait la seconde fois pour me coacher, mais le problème, c'est qu'il n'y en a pas eu! »

-Jérémie, 42 ans, a perdu sa virginité à 19 ans

« J'attendais d'être en amour »

« J'ai eu une certaine intimité avec certains copains avant, mais je n'étais pas en amour, alors ça m'arrêtait. À un moment donné, vers 22 ans, j'ai eu le goût d'en finir et je me disais: ça va être fait. Mais à part ça, non, je ne sentais pas vraiment de pression. Je ne suis pas une fille influençable. Et puis, à 24 ans, j'ai rencontré quelqu'un de qui je suis tombée en amour par-dessus la tête. Pour moi, c'était le père de mes enfants. Et ç'a super bien été. Très respectueux.

« C'est sûr qu'il était surpris. Mais je ne regrette rien. C'est la meilleure décision que j'ai prise. Je suis contente de lui avoir donné ma virginité. J'étais mature. Ça c'est bien passé. Et j'ai même eu du plaisir. Et je sais que ça n'est pas toujours le cas. Mais je sais que je suis une espèce rare. Je suis contente d'avoir respecté mes valeurs et de m'être écoutée. [...] Finalement j'ai eu deux gars, et mon chum actuel est content que je n'en aie pas eu tant avant lui... »

- Catherine, 40 ans, a perdu sa virginité à 24 ans

La parole aux vierges

Virgin Territory est un docuréalité américain diffusé sur les ondes de MTV, mettant en scène 15 jeunes au début de la vingtaine qui, pour toutes sortes de raisons, sont encore vierges. Ils sont jeunes et beaux, mais parce qu'ils attendent le bon, la bonne, le mariage, ils luttent avec d'autres défis, bref, ils ont raté le bateau à l'adolescence, quand tous leurs amis vivaient leurs premières expériences.

>>> Visionner l'émission ici: http://www.mtv.ca/shows/virgin-territory/video/season-1/virgin-territory-s1-ep1/1729253/0/2

L'avis du psy

Le psychanalyste Maxime-Olivier Moutier voit régulièrement passer dans son cabinet des gens sans la moindre sexualité. « Il y en a plus qu'on pense », dit-il.

« Beaucoup de gens peuvent avoir des blocages, dit-il. Des hommes incapables de séduire des femmes. Moi, j'ai vu des gens de 70 ans qui n'avaient jamais eu de relation sexuelle! Des gens qui préfèrent vivre sans ça... »

Pourquoi? Parce que c'est « pas si facile que ça », parce qu'arrivé à un certain âge, certains craignent de ne pas être à la hauteur, de ne pas savoir s'y prendre ou, surtout, « de ne pas être capables de faire jouir une femme », explique le psychanalyste. « Il y a quelque chose qui relève de la fierté d'un homme. »

Pour les femmes, la virginité tardive peut s'expliquer par la vision de la sexualité comme quelque chose de violent - « elles ne veulent pas être prises pour un objet ». Certaines sont tout simplement insensibles au niveau des organes génitaux.

« La sexualité des gens, c'est toujours soit compliqué, tordu ou pervers. C'est quand même rare que quelqu'un ait une vie sexuelle sans le moindre problème. Il y a toujours une petite affaire... »

Le prince charmant et autres mythes

À chacun son motif. Certains sont encore vierges parce qu'ils n'ont pas rencontré la bonne personne, attendent le mariage, ont peur d'avoir mal ou de ne pas être à la hauteur. Mais cette fameuse « bonne personne », ce prince charmant, existe-t-elle vraiment?

La sexologue Valérie Morency voit d'un très mauvais oeil les comédies romantiques à l'eau de rose, où tout le monde est beau, tout le monde est gentil. « Le beau gars séduit la belle fille, et ils se retrouvent avec une belle maison, un chat, un chien et une belle relation sexuelle », ironise-t-elle. Le problème avec ces fictions? « Mais ce n'est pas ça la vraie vie! »

Or, si les films pornos sont régulièrement décriés, personne ne monte aux barricades pour dénoncer l'irréalisme des films romantiques. Et qui dit attentes dit aussi risque de déception. « Si on s'attend à ce que la relation soit comme dans les films, on risque d'être frustré. »

Le mythe de la douleur

Deuxième mythe à déboulonner: la douleur. Non, la douleur n'a rien à voir avec le fait d'être vierge ou pas. « C'est un beau mythe que je démystifie dans mes ateliers », poursuit la sexologue. C'est que la présence de sang est trompeuse. Bien souvent, l'hymen est déjà perforé. Ne serait-ce que pour laisser passer les menstruations. S'il y a douleur, ça n'est pas parce que la femme est vierge, donc, mais bien parce qu'elle n'est pas suffisamment lubrifiée. « La douleur est en lien avec le manque de préparation », martèle la sexologue. Un problème que tous peuvent facilement prévenir, avec un peu de doigté et, surtout, de lubrifiant.