L'utilisation de poupées électroniques - ou bébés simulateurs - afin de réduire l'incidence de grossesses chez les adolescentes provoquerait plutôt l'effet contraire, ont observé des chercheurs australiens. Les résultats de leur étude ont récemment été publiés dans la revue scientifique The Lancet.

Un bébé simulateur, c'est quoi?

Le bébé simulateur est utilisé dans plus de 90 pays, dont le Canada, avec l'objectif principal de réduire l'incidence de grossesses précoces. Cette poupée munie de senseurs pleure pour diverses raisons: pour que sa couche soit changée, parce qu'elle a soif, pour faire un rot ou tout simplement parce qu'elle veut être bercée. L'adolescente qui prend soin de ce faux bébé porte un bracelet électronique qu'elle doit glisser sur le senseur correspondant au soin offert. La qualité des soins peut ainsi être comptabilisée à la fin de l'expérience.

Méthodologie en bref

De 2003 à 2006, les chercheurs de l'Université d'Adélaïde, en Australie, ont suivi 2834 adolescentes âgées de 13 à 16 ans dans 57 écoles: 1267 élèves ont pris soin d'un bébé simulateur pendant six jours (avec programme de prévention), tandis que 1567 de leurs consoeurs ont uniquement participé au programme de prévention standard (sans bébé simulateur). Les chercheurs ont recoupé les données des hôpitaux et des cliniques d'avortement en lien avec les écoles participantes, jusqu'à ce que les sujets aient atteint l'âge de 20 ans.

Des résultats étonnants!

Chez les adolescentes ayant pris soin d'un bébé simulateur, le risque de grossesse précoce était augmenté de 36 % par rapport aux filles du groupe contrôle. Chez 8 % des jeunes femmes avec bébé simulateur, on a signalé au moins une naissance (contre 4 % dans le groupe contrôle). Jusqu'à 9 % des filles avec bébé simulateur ont eu recours à un avortement, contre 6 % dans le groupe contrôle. «Nos résultats montrent que le programme n'est pas efficace pour réduire le nombre de grossesses chez les adolescentes», confirme par courriel Sally Brinkman, épidémiologiste et auteure principale de l'étude.

Au Québec

«L'étude australienne a été très bien menée. Toutefois, elle a le défaut de ne mesurer que le nombre de grossesses précoces, sans s'attarder aux apprentissages et aux changements d'attitude », indique Julie Marcotte, professeure au département de psychoéducation à l'UQTR. Elle-même a développé un programme de sensibilisation à la parentalité précoce qui comprend une expérience avec des bébés simulateurs. Depuis 2009, ce programme a été offert à quelques reprises à des adolescentes du Centre jeunesse de Québec. « Notre objectif n'est pas de prévenir la grossesse, mais de développer des habiletés chez des filles déjà à risque et de les amener à prendre une décision plus éclairée. Dans un monde idéal, on souhaiterait qu'elles repoussent la grossesse jusqu'à ce que les bonnes conditions soient réunies.» Au Québec, les bébés simulateurs sont utilisés de façon anecdotique.

La réplique du fabricant

Reality Works, fabricant de la poupée RealCare, n'a pas tardé à réagir aux résultats australiens et déplore la faiblesse de l'étude. La recherche a été menée alors même que l'Australie bonifiait la prime à la natalité destinée aux nouveaux parents, augmentant ainsi le taux de naissance, indique-t-on sur le site web de l'entreprise. «Notre étude était randomisée avec groupe contrôle, le bonus aurait donc influencé les résultats de façon similaire dans les deux groupes. Et ce bonus n'était offert qu'aux parents d'enfants déjà nés», indique Sally Brinkman. Le fabricant souligne que le nombre de grossesses chez les adolescentes a décliné de façon importante aux États-Unis depuis la création du programme, en 1995. Il est aujourd'hui offert dans les deux tiers des circonscriptions scolaires. Or, ce déclin est remarqué ailleurs, avec ou sans poupées.

Grossesses précoces en déclin au Québec

En 2015, 1542 petits Québécois sont nés de mères adolescentes (de 15 à 19 ans), sur un total de 86 800 dans la province. C'est ce qu'indiquent les données de l'Institut de la statistique du Québec. En 2015, le taux de fécondité était de 6,7/1000 chez les adolescentes, alors qu'il était de 20/1000 au début des années 90.