Une nouvelle course de 4 km avait lieu le 18 octobre dernier sur le site de la baie de Beauport, à Québec. Pour participer, nul besoin de se qualifier. C'était une course amicale, sans pression, sans temps officiel, qui se terminait même par une séance de yoga collective.

En fait, le seul critère pour s'inscrire, c'était d'être... femme. Le nom de l'événement - la Course des femmes - le dit sans détour.

Rencontrées dans les bureaux de La Presse fin septembre, les organisatrices, Virginie Duval et Josée-Anne Sarazin-Côté, étaient tout sourire. Non seulement les deux amies se ressemblent-elles physiquement (elles se présentent comme des «sisters from another mother»), mais elles disent avoir développé une grande complicité depuis leur rencontre, il y a trois ans, alors qu'elles étaient toutes deux ambassadrices pour la marque Oakley.

C'est justement sur la complicité entre femmes qu'elles ont misé en créant au mois d'août Fit Hippie, une communauté de filles qui compte près de 4000 membres sur Facebook. La Course des femmes était leur premier événement.

«Veux, veux pas, souligne Josée-Anne Sarazin-Côté, l'énergie qui ressort quand on est une gang de filles est complètement différente. Dès qu'il y a des gars dans la place, tu fais attention à ce que t'as l'air, la compétition embarque un petit peu... Entre filles, c'est vraiment le fun. On s'encourage, on s'entraide, on s'en sacre d'avoir les cheveux tout croche.»

Selon Virginie Duval, Fit Hippie promeut l'équilibre. Les filles, dit-elle, ne se retrouvent pas toujours dans l'offre sportive actuelle, où l'activité physique est souvent vue comme une façon de maigrir et d'avoir un «six pack et des fesses d'acier».

Vague 100 % filles

Isolée, cette course 100 % filles?

Au contraire: au Canada comme aux États-Unis, où la course à pied atteint des sommets de popularité, on compte de plus en plus de défis destinés aux femmes uniquement.

Au Québec, la course À toi Lola, à Mont-Tremblant, a lancé le bal en 2007. D'autres ont suivi: le Défi des dames de coeur, à Québec, Une fille qui court, à Trois-Rivières, la Course Pharmaprix pour les femmes, à Montréal...

Et cette année, Dominique Langelier, productrice de la course À toi Lola, a lancé la Série canadienne de course pour femmes: trois nouvelles courses à Montréal, Ottawa et Sudbury ont connu leur première édition au cours des derniers mois.

C'est en participant à un triathlon, en 2006, que Dominique Langelier a réalisé qu'il y avait un besoin pour des défis 100 % féminins. Elle a été étonnée (et attristée) de voir si peu de femmes courir, et tant de femmes dans l'assistance, de l'autre côté de la clôture.

«Ce n'est pas seulement à 13, 14 ans qu'on n'a pas confiance en soi. C'est surprenant de voir le nombre de femmes qui sont intimidées quand elles se mettent en position de dépassement.»

Dominique Langelier souligne que les défis constituent parfois un tremplin pour participer à des épreuves mixtes. Elles soulignent néanmoins que les courses de femmes attirent aussi des coureuses de haut calibre. 

Sur la ligne de départ, des femmes craignent de ne pas être à la hauteur, de se faire dire qu'elles sont trop lentes, de finir la dernière, constate Karine Champagne, qui a laissé son poste de chef d'antenne à TVA Sports pour s'occuper à temps plein de Karine et ses MV, une communauté destinée à motiver les femmes à bouger pour se tenir loin de la dépression.

Les courses pour femmes sont moins perçues comme étant réservées à l'élite. «On a plus l'impression que c'est accessible à tout le monde, qu'on n'aura pas un regard d'une personne X ou Y sur la forme de notre corps, sur la vitesse de notre pas de course, dit Karine Champagne. Quand tu te retrouves entre femmes, tu as l'impression d'être comprise... et pas jugée du tout.»

Lorsque nous avons parlé à Karine Champagne, il y a trois semaines, elle était encore sur l'adrénaline. Elle revenait d'un week-end à New York avec près de 400 femmes membres de Karine et ses MV (qui en compte 25 000 sur Facebook!). L'impressionnante délégation a pris part à la course des divas, à Long Island, où les participantes, vêtues d'un tutu rose, ont l'honneur de recevoir leur médaille des mains d'un homme torse nu.

Karine Champagne, qui est à planifier l'organisation du premier défi «maison» de Karine et ses MV (prévu en mai), entend aussi laisser une place aux hommes, mais en tant que bénévoles. Les participantes, dit-elle, devaient toutes être des femmes.

«C'est vraiment très agréable d'être entre nous», conclut-elle.

Une attitude discriminatoire?

Des centres sportifs et des événements sportifs destinés aux hommes uniquement seraient difficilement concevables dans notre société, mais l'équivalent pour les femmes ne semble pas discriminatoire, si on se fie à la jurisprudence. Explication en quatre points.

LES ORGANISATIONS SPORTIVES SONT-ELLES TENUES D'ACCEPTER TOUT LE MONDE?

Les organisations à but lucratif - sportives ou autres - sont soumises à la règle de l'égalité: elles doivent, en pratique, accepter tout le monde. «Si on exclut les hommes ou si on exclut les femmes, il faut pouvoir le justifier par un objectif légitime», explique Daniel Proulx, professeur titulaire à la faculté de droit de l'Université de Sherbrooke. Cet objectif, note le professeur, ne doit pas être discriminatoire, fondé sur des préjugés ou sur un désir d'exclure. Quant aux organisations à but non lucratif, la Charte des droits et libertés de la personne leur réserve le droit d'exclure certaines personnes si cela est justifié par le caractère charitable, philanthropique, religieux, politique ou éducatif de l'institution.

EXCLURE LES HOMMES PEUT ÊTRE MOTIVÉ PAR QUELS OBJECTIFS «LÉGITIMES»?

La question a été abordée dans un jugement du Tribunal des droits de la personne de Colombie-Britannique rendu en 2006. Un homme, Ralph Stopps, avait contesté le fait de s'être fait refuser une carte de membre au gym Just Ladies Fitness, à Vancouver. En rejetant sa plainte, le Tribunal avait conclu que ce centre d'entraînement offrait un endroit «sécuritaire» pour les femmes, libre du «regard masculin» et d'une présence majoritairement masculine, contexte dans lequel des femmes pourraient se sentir «jugées», «intimidées» ou «embarrassées». Le Tribunal avait aussi remis en question le préjudice réel subi par M. Stopps, qui avait accès à plusieurs autres gyms pour s'entraîner.

Y A-T-IL EU DES PLAINTES AU QUÉBEC?

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec a reçu quelques plaintes, mais aucune ne s'est rendue devant le tribunal. «En général, la Commission cesse d'agir dans ce type de dossier, comme le lui permet la Charte, nous indique-t-on à la Commission. Il faut comprendre qu'une plainte recevable doit comprendre un motif interdit en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne, un domaine et enfin un préjudice.»

EST-CE DISCRIMINATOIRE DE FORMER DES ÉQUIPES SPORTIVES SUR LA BASE DU SEXE?

«Au départ, l'égalité, ça veut dire le même traitement... sauf si le même traitement conduit à la discrimination», note le professeur Daniel Proulx. C'est exactement le cas dans les équipes sportives: «Après l'âge de 12 ans, la masse musculaire des garçons augmente tellement par rapport à celle des filles que les filles auraient peu de chances d'être sélectionnées dans les équipes sportives, illustre-t-il. C'est pour ça qu'il y a des équipes de garçons et des équipes de filles après l'âge de 12 ans.»

PHOTO ÉDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Le malaise pris pour cible

L'offre sportive réservée aux femmes uniquement a-t-elle sa raison d'être? Quatre féministes nous répondent.

«Si c'est pour des raisons de sécurité, de confort, de bien-être, on ne peut aller contre ça puisque c'est une question d'appréciation personnelle. Je le comprends, mais ça me heurte quand même parce que je suis plutôt pour la mixité. Si des femmes se sentent mal à l'aise, intimidées ou simplement pas bien, c'est dommage. Ça révèle qu'on n'a pas réussi la cohabitation sur ce plan-là, ça témoigne d'une impossibilité de se côtoyer sans heurts, ce qui n'est jamais une bonne nouvelle. C'est malheureux, mais c'est quand même mieux que de ne pas y aller.» - Pascale Navarro, journaliste et auteure

«Je pense que oui. La relation des femmes avec le sport n'est pas si évidente que ça. D'une part, on leur demande d'être belles et l'exercice est souvent associé à une façon d'atteindre une certaine apparence. D'autre part, on cultive cette idée que la faiblesse du corps est quelque chose d'important chez les femmes. On leur réserve donc des endroits pour les encourager à faire du sport pour le plaisir et pour se débarrasser un instant du jugement qui pourrait être porté sur elles. Je ne sais pas si c'est souhaitable, mais de toute évidence, ça doit répondre à un besoin.» - Aurélie Lanctôt, étudiante en droit

«Définitivement. Dans les centres d'entraînement dits "pour elle", les femmes peuvent trouver des services et des suivis qui leur sont adaptés, mais soyons honnêtes, plusieurs s'y trouvent simplement plus confortables. Des positions ou des exercices peuvent être intimidants lorsqu'on se sent regardée par le sexe opposé. Les femmes ne répondant pas aux stéréotypes de beauté standard ou plus âgées peuvent se sentir intimidées, jugées ou observées par les hommes présents. La certaine dynamique de séduction qui existe dans les centres d'entraînement mixtes peut ajouter une pression supplémentaire sur les femmes pour être charmantes et de belle apparence même lorsqu'elles s'entraînent.» - Manon Massé, députée de Québec solidaire

«En 1990, Judith Butler publie Gender Trouble, un ouvrage désormais classique. Comment penser le genre et la sexualité? Butler nous permet de nuancer comment l'alternative femme/homme stigmatise les individus qui ne s'y identifient pas. Si la catégorisation sexuelle est construite, il demeure tout de même que certains espaces sont encore propices à des rapports de domination. Il semble donc important d'avoir encore accès à certains espaces sécuritaires. Au quotidien, par exemple dans les gyms, ces lieux permettent de freiner des formes de violence sexuelle, de harcèlement ou d'intimidation. En ce sens, cette division peut s'avérer utile.» - Léa Clermont-Dion, étudiante à la maîtrise en idées politiques et auteure

Photo: André Pichette, La Presse

Léa Clermont-Dion