Gymnases fermés, ligues suspendues, compétitions annulées : athlètes aguerris et sportifs improvisés, poussés au bord de l’implosion par le confinement, sont nombreux à nouer leurs lacets pour se jeter à corps perdu dans la course à pied, une des rares options sportives encore sur la table. Une corde salutaire incontestablement saine, mais sur laquelle il ne faudra pas trop tirer. Conseils de thérapeutes.

Une simple balade en ville permet de constater le foisonnement printanier de coureurs depuis le début de la crise — provoquant parfois l’ire des badauds, frôlés dans la rue. Certains s’y initient. D’autres, privés de leur sport habituel, se sont rabattus sur cette activité simple et abordable. Une excellente initiative pour conserver sa santé physique et mentale ; à condition de se fixer un cadre.

Les gens veulent profiter du temps libre pour se mettre en forme, et c’est clair que beaucoup d’entre eux en font plus que leur tolérance maximum en ce moment. Quand nos cliniques vont rouvrir, on s’attend à un gros boom de visites de personnes blessées.

Blaise Dubois, physiothérapeute et fondateur de la Clinique du coureur

En effet, le contexte du confinement réunit des ingrédients augmentant les risques de franchir une ligne rouge, aussi bien pour les sportifs habitués que pour les néophytes de la basket : temps disponible, éclatement des repères habituels, besoin d’évacuer le stress de la réclusion, programmes d’entraînement et objectifs de compétitions chamboulés, etc.

« On pourrait avoir des symptômes comme quoi on en fait trop, mais le contexte exceptionnel, avec le travail et les enfants à la maison, brouille peut-être les cartes », souligne Daphné Laurin-Landry, psychologue spécialisée en sport et en santé mentale. Elle précise que certains professionnels stimulés par la performance au travail, et temporairement mis à pied, pourraient être tentés de transférer leur besoin de productivité dans le domaine sportif. Sans encadrement, le risque de se faire plus de mal que de bien serait encore plus prégnant.

Recourir aux programmes

Pour prévenir les blessures musculo-squelettiques découlant d’un excès d’enthousiasme, des physiothérapeutes rompus aux cas de surcharge et autres surmenages suggèrent diverses stratégies. Pour Blaise Dubois, la quantification du stress mécanique et le dosage de la progression sont indispensables. 

C’est individuel, il faut écouter comment son corps répond, car certaines personnes peuvent progresser plus vite, d’autres plus lentement.

Blaise Dubois, physiothérapeute et fondateur de la Clinique du coureur

Il recommande aussi de consulter les programmes proposés sur le site de la Clinique du coureur.

Le physiothérapeute et kinésiologue Simon Rivest abonde, proposant par exemple d’instaurer un pourcentage d’augmentation de la charge hebdomadaire. « Après votre séance d’entraînement, cotez votre effort sur une échelle de 0 à 10, en tenant compte de l’intensité et de la vitesse, puis multipliez le chiffre par le nombre de minutes de votre séance. Cela donne un résultat. Faites la somme de tous ces résultats à la fin de la semaine pour obtenir votre charge d’entraînement. On peut ensuite essayer d’augmenter de 10 % cette charge la semaine suivante. C’est un programme qui s’applique bien aux activités cardiovasculaires, comme la course », explique-t-il.

Des risques différents

M. Rivest distingue le coureur improvisé du sportif endurci. Le premier, surtout s’il était plutôt sédentaire, est particulièrement exposé à des blessures musculo-squelettiques (tendinites, inflammations musculaires, etc.) en cas de hausse brutale d’activité. « Il doit bien comprendre que dans l’alternance marche/course, la minute de course n’est pas une minute de sprint », dit-il. 

Selon lui, les cyclistes qui se mettent à la course devraient aussi jouer de prudence, car leur santé cardiovasculaire leur permet de pousser la machine, mais l’impact tendino-osseux s’avère différent et bien plus important que celui du pédalage.

Les sportifs expérimentés, dont la mécanique musculo-squelettique tiendra mieux le coup, devront rester attentifs aux signes de la fatigue aiguë, voire du surmenage, soit une baisse d’énergie générale et un temps de récupération plus long qu’à l’accoutumée (plusieurs jours, voire semaines) : le corps entier, stressé, est affaibli. « Un sportif qui avait déjà un volume d’entraînement, qui se retrouve avec beaucoup plus de temps et perd la structure de son planning, pourrait aller au-delà de ce que son physiologique va pouvoir soutenir », prévient M. Rivest. Lui et M. Dubois considèrent toutefois que les coureurs sont moins à risque, souvent freinés par une blessure « mécanique » avant d’atteindre ce stade ; mais un cycliste ou un triathlonien — lequel peut persister en alternant entre les disciplines en cas de blessure localisée — y sont davantage exposés.

Des signes à écouter

« La course n’est pas un sport très confortable, c’est donc normal d’avoir des inconforts, mais une franche douleur ne devrait pas être tolérée », précise Simon Rivest. En cas de blessure liée à une surcharge, on se met au repos et on surveille. Blaise Dubois propose de faire des « activités de transfert » pour conserver un entraînement du cardio ; par exemple, si le tendon d’Achille est affecté, s’orienter vers le vélo, moins stressant pour cette zone.

L’état du mental est aussi à observer. 

Il faut s’écouter, prendre le temps d’être connecté avec son esprit, son cœur et son corps. A-t-on des douleurs, se sent-on plus irritable, ou au contraire notre humeur est-elle meilleure ? Arrive-t-on à se concentrer ?

Daphné Laurin-Landry, psychologue

Les trois spécialistes insistent, durant ces temps de délitement organisationnel, sur la structuration des entraînements, avec des objectifs, des repères, des projets, sans négliger les phases de récupération. « Les repos sont extrêmement importants, tout autant que la phase active », conclut Simon Rivest.

> Consultez les programmes d’entraînement de la Clinique du coureur