Est-ce un art, un sport ou un spectacle érotique ? Cette activité qui consiste à danser et à faire des prouesses acrobatiques sur une barre verticale est en grande mutation, a-t-on pu constater au Championnat canadien de pole fitness, tenu à Toronto au début du mois de juin. Nous avons rencontré des adeptes en tout genre, qui représentent l’éclatement d’une activité autrefois réservée aux bars de danseuses et aux chambres à coucher, mais aujourd’hui présente dans des spectacles de cirque, et qui sera peut-être même un jour aux Jeux olympiques. Revisitons cette danse en trois portraits.

Kathy Kraft

62 ans

C’est après avoir vu une scène de danse à la barre verticale dans le film Snowden – la petite amie du lanceur d’alerte américain, Lindsay Mills, pratique ce type de danse – que Kathy Kraft a décidé de se lancer. « Ça avait l’air trop amusant ! »

Mais une fois devant la barre verticale, l’amusement a cédé la place à la peur. « Je ne pensais pas être capable de grimper. Ça me faisait plus peur que d’avoir la tête en bas. Un jour, j’ai réussi à me rendre jusqu’en haut et je n’ai plus eu peur de rien », raconte la Torontoise qui participait au Championnat canadien à titre de bénévole. Son rôle était justement de grimper pour nettoyer le poteau entre chaque performance.

Kathy a toujours préféré les activités non traditionnelles pour se tenir en forme. « Quand j’ai commencé le baladi, dans les années 90, c’était considéré comme un peu indécent », se rappelle celle qui a par la suite enseigné la danse orientale, ainsi que la salsa. Elle a fait mille métiers, de bibliothécaire à gardienne d’animaux. Aujourd’hui, elle a une petite entreprise de ménage et de surveillance de maisons.

Hypersexualisation et soixantaine n’ont pas tendance à rimer, dans notre société. Aussi Kathy n’a-t-elle jamais ressenti de jugement négatif de la part de sa famille ni de ses amis lorsqu’elle leur parle de ses activités de mise en forme.

« Si j’avais 20 ans, ce serait sans doute une autre histoire. Mais autour de moi, les gens sont plutôt admiratifs. Ma fille de 31 ans, qui préfère aller au gym, m’a dit que j’avais l’air d’être plus en forme qu’elle ! »

La lutte contre les préjugés qui collent au pole fitness semble avoir donné naissance à une communauté particulièrement inclusive et encourageante. « Je ne me sens jamais vieille quand je vais au studio, même si la moyenne d’âge se situe entre 20 et 35 ans. Il y a des femmes de toutes les formes, de tous les horizons. »

Au Championnat canadien, les récits de combats contre la dépression, l’anxiété et une image corporelle négative revenaient souvent dans les présentations des concurrents et des concurrentes. Dans le cas de Kathy, c’est un petit passage à vide qui l’a incitée à apprivoiser la barre verticale.

« Je me sentais un peu déprimée. Je venais de rompre avec mon compagnon et j’avais une envie secrète de l’impressionner avec mes prouesses. Le plus drôle, c’est que ça a fonctionné. Mais ça m’a aussi donné tellement de force et de confiance en moi que, finalement, j’ai réalisé que je n’avais plus vraiment envie de lui ! », raconte-t-elle en riant.

Mère de trois grands enfants – son aînée est la cinéaste Jasmin Mozaffari, lauréate du prix de la meilleure réalisation aux Écrans canadiens, en mars dernier, pour son long métrage Firecrackers –, Kathy se sent plus forte et plus libre que jamais.

Camille Desrochers

24 ans

Camille avait 16 ans lorsque son père a insisté pour qu’elle fasse du sport, n’importe quel sport, à ses frais. L’adolescente a choisi la danse à la barre verticale !

« Il ne voulait pas vraiment au début, en prétextant que c’était trop loin de la maison. Mais quand un studio est venu s’installer près de chez nous, à Pierrefonds, il n’a pas eu le choix », raconte la jeune femme.

« Ce qui m’intéressait, c’était le côté acrobatique de la pole. J’avais une amie qui pratiquait au Studio Phénix, près de Berri-UQAM, et je trouvais que ça avait l’air très cool comme exercice. »

Avec son petit gabarit, Camille a eu de la facilité à se hisser en haut de la barre verticale et elle a progressé très vite. Le Championnat canadien était sa deuxième compétition seulement, mais déjà, elle était classée dans la catégorie des pros. La Montréalaise a d’ailleurs obtenu la deuxième place.

À la barre, le style de Camille est très contemporain. Elle se démarque en ne portant ni pleaser shoes (ces échasses qui évoquent immanquablement la danse érotique), ni maillot ultrasexy, ni maquillage extravagant. Son athlète de pole préférée est la très impressionnante Olga Trifonova, une jeune Russe qui a commencé à l’âge de 8 ans et a remporté plusieurs titres.

Par ailleurs, l’International Pole Sports Federation souhaiterait que la barre verticale se retrouve aux Jeux olympiques. Le prochain Championnat mondial se tient à Montréal, au mois d’octobre. Le Cirque du Soleil a adopté la barre suspendue, dans le spectacle Corteo, notamment. Tranquillement, la barre devient grand public.

Bien qu’elle donne quelques cours par semaine au Studio Phénix, Camille ne compte pas se consacrer entièrement à son art. « C’est très difficile de gagner sa vie avec ça, surtout au Québec et au Canada, où le marché est très peu développé, si on compare à l’Europe. À part les propriétaires de studio, ceux et celles qui enseignent le pole dancing ont deux emplois. »

En septembre, l’étudiante commencera sa maîtrise en sexologie. Elle souhaite faire de la recherche et de l’intervention dans le domaine de la violence dans les relations amoureuses chez les jeunes. En parallèle, Camille continuera de cultiver sa confiance en elle et son sentiment d’accomplissement à la verticale.

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Ty Andersen

28 ans

Le jour, Ty enseigne aux jeunes de septième et huitième années d’une école de Toronto. Les soirs et les week-ends, il se libère de son veston et des conventions, puis enlace la barre verticale.

Être un homme dans le milieu du pole dancing, c’est encore moins simple. Dans le cadre de sa campagne #Iloveyouhater, Sprite a d’ailleurs proposé un excellent clip d’une minute et demie mettant en vedette Alberto Del Campo. Le champion du « pole art » et artiste du Cirque du Soleil y exécute une routine tandis qu’un narrateur se moque de lui, le traitant de pervers.

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À l’école, Ty ne parle pas de ses loisirs « hors normes ». « J’ai parfois organisé des petites activités de cirque avec les élèves, mais ça s’arrête là. Le problème, ce n’est pas les jeunes, qui sont plutôt ouverts d’esprit. C’est les parents. Dans leur tête, le pole dancing reste associé à la vulgarité et à l’hypersexualisation. »

Sa performance au Championnat canadien, elle, ne pigeait pas du tout dans le répertoire érotique. Avec son short blanc, ses bretelles et ses joues rosies, Ty s’est glissé dans la peau d’un pantin aux mouvements saccadés.

Cela dit, le jeune homme n’est pas du tout contre les expressions plus sensuelles de son activité physique de prédilection. « J’aime aussi explorer les émotions liées à l’érotisme masculin. Il n’y a pas de mal à ça. Dans le cours Erotic Expression, qui se donne au studio Vitality, les participants et participantes sont invités à bouger très librement sur un thème, une idée, une émotion. »

C’est à Londres que Ty a découvert la pole, il y a quelques années. Pour se tenir occupé et agrandir son cercle social, il s’était joint à une troupe de danse pour hommes gais. Puis la compagnie a ouvert un studio de pole dans la capitale britannique.

« J’avais déjà un intérêt pour tout ce qui touchait à la danse et à la gymnastique. Dès que je me suis mis la tête à l’envers à la barre, j’ai adoré ça et je suis devenu accro. J’ai pratiqué plusieurs sports dans ma vie, mais aucun ne m’a permis de me surpasser comme le pole fitness. C’est très, très motivant. »

Lorsqu’il est retourné vivre à Toronto, il y a deux ans, Ty a cherché un studio de pole avant de chercher un appartement ! Il ne peut plus s’en passer. La barre verticale, c’est un peu son yoga. « Je ne pense à rien d’autre. Je vis pleinement le moment présent. »

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