Qu'il fasse -10 °C ou -25 °C, en dépit des risques de chute et d'engelures, l'hiver n'empêche pas bien des adeptes de course à pied de braver le froid pour pratiquer leur sport favori à l'extérieur. Mais quels en sont les réels avantages? Est-ce que la course hivernale est une activité périlleuse ou, au contraire, bénéfique?

Une saison de transition

Les coureurs profitent généralement de la saison hivernale pour s'entraîner à l'intérieur et parfaire leur musculation. Or, les séances de course extérieure ne sont pas négligeables, puisqu'elles peuvent être bénéfiques pour l'atteinte de résultats.

La coureuse élite et entraîneuse Arianne Raby fait partie des athlètes qui arpentent les rues, même en hiver. Non seulement elle aime cette pratique, dit-elle, mais elle y voit un net avantage. «Courir l'hiver permet d'aller chercher certaines qualités qui peuvent améliorer notre saison estivale. Personnellement, ça me renforce. Si j'ai passé mon hiver à courir dans la neige et au froid, quand le printemps arrive, j'ai l'impression d'être plus rapide, d'être plus dynamique dans ma foulée. J'ai aussi une bonne base musculaire parce que je l'ai travaillée tout l'hiver. On est quasiment chanceux d'avoir accès à cette saison de transition», lance-t-elle. 

Celle qui est considérée comme l'une des meilleures coureuses au Canada voit aussi la course hivernale comme un moyen d'éviter certaines blessures. «Il va de soi que les athlètes qui ont la possibilité de s'entraîner dans un environnement idéal à longueur d'année ont un avantage. Par contre, ils n'ont pas le bénéfice de travailler le changement de foulée.» 

«Comme la course implique un mouvement très répétitif, le fait de travailler les changements de foulée peut éviter de créer des blessures [tendinites, fractures de stress, blessures aux tendons et articulations, etc.].»

«Il y a également des muscles qui travaillent beaucoup plus fort en course hivernale en raison de la neige. C'est le cas de tous les petits muscles des chevilles et de tous les muscles stabilisateurs, qui sont plus sollicités. Comme on travaille ces muscles-là l'hiver, on est moins à risque de se blesser le reste de la saison», explique-t-elle.

En avril prochain, Michel Cusson participera pour la neuvième fois au marathon de Boston. Selon lui, arriver à cet événement au sommet de sa forme serait impossible sans courir dehors pendant l'hiver. «Pour faire un marathon, il faut s'entraîner en volume. Cela signifie au minimum une sortie de 25 km par semaine. Faire cela sur une piste intérieure de 250 m voudrait dire en faire 125 fois le tour. C'est long longtemps! Et le tapis roulant, je ne trouve pas que ça équivaut à de la course, c'est plutôt l'action de sautiller, sans projeter son corps vers l'avant. Je n'en suis pas un amateur», indique-t-il.

Adapter sa foulée et ses temps

Si les athlètes élites et coureurs avancés parviennent à pratiquer la course hivernale sans trop de difficulté, l'activité requiert tout de même un temps d'adaptation, même pour eux. La plupart évaluent à deux ou trois semaines le temps nécessaire pour s'habituer au nouvel environnement, à l'habillement, mais aussi à la réception du pied sur la neige et sur la glace.

Les premières sorties doivent se faire d'un pas de course beaucoup plus lent qu'à la normale, il ne faut donc pas s'attendre à performer autant. Selon Michel Cusson, «l'important, c'est l'intensité qu'on y met».

Les athlètes adoptent aussi une approche complètement différente, la saison froide venue. «L'hiver, j'ai tendance à moins regarder mon GPS. Au lieu de mesurer mes sorties en kilométrage, je les mesure en temps, souligne Arianne Raby. La raison en est que si j'essaie de faire le même temps l'hiver que l'été sur une certaine distance, c'est très difficile, et ça change complètement l'entraînement. Une séance qui devrait être un petit jogging modéré devient un vrai entraînement et il n'y a plus de récupération. Comme je cours tous les jours, ma récupération est active, mais je dois la respecter.»

Par ailleurs, de nombreux coureurs s'entendent sur le fait que les temps enregistrés à l'entraînement comptent peu. C'est plutôt ceux des compétitions qui sont importants. «À vrai dire, la seule raison pour laquelle je note mes entraînements l'hiver, c'est pour suivre l'usure de mes souliers. Sinon, quand je fais des séances d'intervalles, mon temps visé comprend une certaine fourchette, par exemple entre quatre minutes et quatre minutes et demie par kilomètre. C'est certain que l'hiver, je vais plus lentement, donc mon temps sera plus près de quatre minutes trente que de quatre minutes, mais l'important, c'est de rester dans cet intervalle de temps visé», explique Patrick Dion, coureur assidu depuis plusieurs années.

La surface du sol étant souvent enneigée ou glacée, la course hivernale comporte aussi son lot de risques. Michel Cusson peut en témoigner, lui qui possède plusieurs collants et pantalons troués à la suite de chutes. Mais il est formel, le jeu en vaut tout de même la chandelle. Il dit même préférer la course à pied hivernale. «Il faut relativiser! Il n'y a pas des tempêtes tous les jours, et ce n'est pas glacé tous les jours non plus, surtout en milieu urbain, où les rues sont très bien déneigées.»

Les engelures constituent elles aussi un risque, mais cela non plus ne semble pas l'inquiéter. «On ne s'étonne pas de voir des gens en ski de fond, en patins ou qui font de la glissade. Pour moi, c'est la même chose. On a même moins de risque d'engelure en course à pied que dans les autres activités hivernales, car on est toujours en mouvement», nuance-t-il. Finalement, la course peut même faire apprécier l'hiver à ceux qui redoutent cette saison, comme Patrick Dion. «J'haïs l'hiver, je déteste avoir froid, je n'aime pas la neige, et je ne fais pas de sports d'hiver non plus. Mais courir me permet justement d'aller dehors. Et quand je cours, c'est le seul moment de l'hiver où je ne gèle pas!»

Conseils pour courir au froid

Courir dehors nécessite une certaine préparation, en plus d'un équipement approprié. Voici quelques trucs pour rendre l'activité bénéfique, tout en étant sécuritaire.

Hydratation et protection de la peau

Avec le froid hivernal, les sensations corporelles sont moins grandes. C'est vrai pour la soif ainsi que pour la peau. Il est donc important de s'hydrater autant que l'été, pour un effort équivalent. Les coups de soleil sont aussi fréquents, entre autres en raison de la réflexion du soleil sur la neige. Il est donc important de mettre de la crème solaire avant les sorties. Finalement, pour éviter les engelures, notamment au bout du nez, de la gelée de pétrole ou des crèmes spécialisées peuvent être appliquées.

Les vêtements au corps

Selon Michel Cusson, «si on sort courir et qu'on a froid tout au long de la séance, c'est signe qu'on n'était pas assez bien habillé. Mais si on a chaud dès qu'on sort, c'est parce qu'on est trop habillé. Normalement, on devrait avoir un peu froid au départ, puis se réchauffer après 5 à 10 minutes de course». Pour maintenir une bonne température corporelle, le secret est dans les couches de vêtements. Trois ou quatre couches peuvent être nécessaires. Par exemple, un t-shirt serré ou une camisole, puis un chandail à manches longues, suivi d'un manteau de type coquille ou coupe-vent.

Les extrémités

«Pour la tête, quand il fait très froid, je mets une tuque faite d'un tissu synthétique qui respire, comme le polyester. Quand c'est moins froid, j'opte pour un bandeau qui cache les oreilles, explique Arianne Raby. Pour les mains, les mitaines conservent mieux la chaleur que les gants. Mais comme on a souvent froid, car on sue, mon truc est de me traîner une deuxième paire de gants dans mon manteau et de les changer en cours de route. Puis, pour les pieds, par grands froids, mon secret est la paire de bas en laine mérinos. C'est génial, il n'y a rien de mieux que cela!»

Les chaussures

«La compagnie Skechers vient de lancer une gamme de chaussures pour la course hivernale. C'est ce que j'utilise pour les longues sorties ou les grosses bordées de neige, affirme Arianne Raby. Si mon pied ne risque pas d'être enseveli de neige ni mouillé, mes souliers de course habituels font très bien l'affaire. Pour ce qui est des crampons, personnellement, je n'en utilise pas, car je préfère faire travailler mon corps à cette adaptation, mais pour le débutant ou pour la personne un peu plus âgée qui a moins d'équilibre, ça peut être un bon investissement.»

L'obscurité

Les journées d'hiver ont le désavantage de présenter peu d'heures d'ensoleillement. Il n'est donc pas rare de devoir courir la nuit tombée, ce qui exige une certaine prudence. «La plupart de mes vêtements ont des réflecteurs, mais sinon, je vais moi-même ajouter un feu pour courir. J'essaie aussi de porter des couleurs vives le plus possible», explique Arianne Raby.

Planification et prudence

Michel Cusson prend plusieurs précautions lors de ses sorties hivernales. Il court la plupart du temps à la lumière du jour pour éviter de faire un faux pas et de se blesser. Il planifie ses sorties en fonction de la température et il effectue ses plus longs trajets en plusieurs boucles pour avoir la possibilité d'un retour rapide à la maison en cas de pépins. Finalement, il a l'habitude de courir avec un titre de transport sur lui.

PHOTO Martin Chamberland, LA PRESSE