(Montréal) Bien qu’ils soient encore nombreux à se préoccuper de leur poids, le discours des Québécois sur l’image corporelle s’attarde de plus en plus à l’acceptation de son corps et au bien-être plutôt qu’à l’obsession de la minceur.

Selon un sondage Léger mené en août dernier auprès de 1808 personnes pour le compte du collectif ÉquiLibre, dont les résultats ont été dévoilés plus tôt cette semaine, une « proportion importante » des Québécois de 14 ans et plus sont insatisfaits de leur corps.

Près de deux répondants sur trois (62 %) ont affirmé vouloir maigrir, et ce, sans égard au chiffre que leur renvoie leur balance. De plus, 42 % des personnes sondées se sont aussi dites angoissées ou stressées en raison de leur poids ; une proportion identique a confié ressentir de la pression pour ressembler aux standards de beauté.

Ce mécontentement se traduit chez plusieurs par une obsession de contrôler leur poids (36 %) ou leur alimentation, notamment en limitant ou en diminuant la quantité de nourriture ingérée (46 %).

ÉquiLibre considère que ce dernier constat est alarmant et témoigne « du combat constant avec les aliments, et fait obstacle au développement d’une relation positive avec la nourriture ».

La culpabilité de ne pas faire davantage d’activité physique rongerait par ailleurs plus d’une personne sur deux (57 %). De plus, 40 % des répondants affirment même être soumis à certaines pressions pour bouger plus.

C’est très préoccupant quand on sait que des gens sont stressés ou angoissés, que la gestion de leur poids vient à dominer leur vie ; on n’est plus dans la simple préoccupation de notre apparence.

Andrée-Ann Dufour-Bouchard, nutritionniste et cheffe de projets chez ÉquiLibre

Mickaël Bergeron, journaliste, conférencier et auteur de l’essai La vie en gros, n’est pas surpris des résultats de l’enquête. « Aussi bien dans les magazines que dans les médias, on constate qu’il y a une espèce d’obsession à la fois individuelle et collective sur le poids. Malheureusement, ça s’accompagne trop souvent de méconnaissance sur les liens entre poids et santé. »

« Les gens se mettent beaucoup de pression pour correspondre à des standards très subjectifs qui n’ont pas toujours à voir avec la santé », ajoute celui qui plaide pour davantage de sensibilisation et d’éducation à grande échelle pour déboulonner les mythes persistant autour du poids.

Résister à la culture des diètes

Les préoccupations soulevées par les répondants au sondage sont encouragées par ce qu’ÉquiLibre appelle « la culture des diètes », surtout à cette période de l’année où les résolutions concernant la perte de poids sont légion.

Auteure du blogue Le Beau Désordre et en rémission de plus d’une vingtaine d’années de troubles alimentaires, la Granbyenne Karine Nadeau s’est dite estomaquée des chiffres révélés par ÉquiLibre. « C’est encore une trop grande proportion de la population pour qui leur image corporelle est un enjeu, estime-t-elle. En même temps, nous sommes bombardés tous les jours d’images qui nous disent qu’on doit rentrer dans un moule. Mais la réalité est bien différente. »

Les individus inquiétés par leur poids et leur image corporelle seraient aussi plus vulnérables au marketing de l’industrie de l’amaigrissement, qui formule parfois des promesses intenables.

« La tendance à vouloir se mettre au régime est encore très présente, reconnaît Mme Dufour-Bouchard. Ce qui a évolué, c’est qu’on parle de plus en plus des risques des régimes et des restrictions sévères. »

Or, l’industrie de l’amaigrissement s’est aussi adaptée à ce discours, en promettant des « approches bienveillantes et sans culpabilité », ajoute Mme Dufour-Bouchard. « En réalité, ça reste le même message : essayer de contrôler son poids avec une recette toute faite qu’on essaie d’appliquer à tout le monde de la même manière. »

Pour un discours sur le corps défocalisé de l’apparence

De plus en plus de voix s’élèvent contre la pression d’avoir un corps parfait et contre les images corporelles irréalistes qui circulent sur les réseaux sociaux.

D’ailleurs, une enquête de Léger réalisée au Québec pour l’organisme ÉquiLibre révèle que 69 % des répondants estiment qu’il « y a trop de commentaires sur le poids et l’apparence des gens sur les réseaux sociaux » et 58 % que les médias parlent trop de poids.

Cette lassitude face au discours sur le poids démontre bien l’évolution des mentalités et la sensibilisation des gens aux méfaits de la culture des diètes.

Andrée-Ann Dufour-Bouchard, nutritionniste et cheffe de projets chez ÉquiLibre

« En même temps, ce n’est pas la faute aux réseaux sociaux en tant que tel, nuance Mickaël Bergeron, journaliste et auteur. Autant qu’ils sont un problème en servant de propagateur pour des normes sociales comme le poids idéal, autant c’est une plateforme qui peut servir à les déconstruire. »

En réaction au culte de la minceur s’est imposé le mouvement de la positivité du corps, il y a de cela quelques années. « Ça visait surtout à démontrer la diversité corporelle et à promouvoir l’amour de son corps, explique Mme Dufour-Bouchard. Mais ça entretenait l’idée que le corps doit être trouvé beau, que celui-ci doit être aimé ; c’est un objectif qui peut être difficile à atteindre pour certaines personnes. »

« Il y a une vague commune vers la bienveillance envers soi, envers l’autocompassion, ça fait tellement du bien c’est rafraîchissant ! s’exclame la blogueuse bromontoise Karine Nadeau, qui a souffert de troubles de compulsivité alimentaire pendant vingt ans. On peut tellement être bien dans notre corps dans notre tête. La beauté, ça se joue pas juste par le physique. »

Un nouveau discours a donc émergé plus récemment, celui-là en lien avec la fonctionnalité du corps, préférée à son apparence.

La réponse à la positivité du corps est la neutralité corporelle, où on reconnaît plutôt que notre corps est capable d’accomplir plusieurs choses. Bref, on aime ce qu’il nous permet de faire plutôt que ce dont il a l’air.

Andrée-Ann Dufour-Bouchard, nutritionniste et cheffe de projets chez ÉquiLibre

« Cette manière de percevoir notre corps peut nous encourager différemment à prendre soin de lui dans une optique différente que de vouloir changer sa silhouette, ajoute-t-elle. Ainsi, on va être moins porté à restreindre le nombre de calories qu’on ingère, mais à vouloir mieux manger ; on va vouloir faire de l’exercice non pas pour maigrir, mais pour être plus en forme, par exemple. »

La formule gagnante, oui de se trouver beau comme on est, mais en même temps, t’es capable d’aimer ton corps sans être capable d’aimer toutes les parties de ton corps, convient Karine Nadeau. Mon corps m’a offert deux enfants ; je l’apprécie aujourd’hui. Mes bras, je les aime pas, mais en même temps, grâce à eux je peux jouer de la guitare, prendre mes enfants dans mes bras, serrer les gens que j’aime. »

Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.